Un enjeu majeur
L’Andeva et la Fnath ont demandé aux syndicats de ne pas signer le protocole d’accord sur les risques professionnels.
Ce texte renonce à la réparation intégrale des préjudices et pérennise une réparation forfaitaire défavorable aux victimes du travail par rapport aux victimes de la route ou du sang contaminé.
Il y avait trois raisons de ne pas le signer :
1) Il raisonne « à coût constant » : toute mesure nouvelle sera compensée non par une hausse des cotisations patronales à la branche AT-MP, mais par une baisse des autres dépenses de la branche (exemple : sa contribution à la pré-retraite amiante).
2) Il se prononce pour une « sécuri-sation juridique » des employeurs, en redéfinissant leur responsabilité en matière d’AT-MP, ce qui modifierait à leur profit le cadre fixé par la jurisprudence de la cour de cassation pour la faute inexcusable de l’employeur.
3) Il échange d’hypothétiques améliorations contre une « délimitation de la réparation complémentaire », bornant par avance le montant des indemnités versées par des tribunaux ou par le Fiva.
Nous ne connaissons pas encore l’issue de ces négociations. Quoi qu’il en soit, nous ferons tout pour barrer la route à ces projets dangereux.
La Fnath et l’Andeva demandent aux organisations syndicales de ne pas signer le protocole d’accord
Nous publions ici le texte intégral de la lettre adressée par Marcel Royez, secrétaire général de la Fnath et François Desriaux à toutes les organisations syndicales
Paris, le 17 mars 2007
Aux Confédérations syndicales :
CGT, CFDT, CGT-FO, CFE-CGC, CFTC
Monsieur,
La Fnath et l’Andeva ont analysé très minutieusement le protocole d’accord sur la prévention, la tarification et la réparation des risques professionnels, négocié entre les partenaires sociaux.
Nos deux organisations sont très inquiètes du contenu de ce texte, qui porte les germes d’une remise en cause des avancées législatives, règlementaires et jurisprudentielles, obtenues au cours des douze dernières années, notamment à travers la bataille judiciaire de l’amiante.
En conséquence, elles souhaitent faire connaître aux négociateurs leurs réflexions et leurs craintes sur ce texte.
S’agissant de la prévention et de la tarification, il ne nous apparaît pas que les dispositions contenues dans ce protocole soient à la hauteur des enjeux de santé au travail actuels. La majorité d’entre elles se borne à rappeler des principes généraux déjà inscrits dans la réglementation. Les avancées attendues, comme par exemple, une tarification incitant davantage les entreprises à investir dans la prévention, ne figurent pas dans ce texte. Nous faisons un constat identique en ce qui concerne la prévention des risques professionnels dans les TPE-PME, pour lesquelles le protocole aligne des vœux pieux sans réelle mesure concrète capable de remédier à la situation préoccupante dans ce type d’entreprise.
Ensuite, ce protocole entérine, de fait, le refus de la réparation intégrale pour les victimes d’accident du travail et de maladie professionnelle, alors que c’est un droit fondamental reconnu aux victimes et inscrit dans la résolution 75-7 du conseil de l’Europe. Sous couvert de mettre en place une « réparation forfaitaire personnalisée et améliorée », ce texte ne propose pratiquement aucune amélioration de la législation actuellement en vigueur. Cela condamne les victimes de risques professionnels à ne pas bénéficier des évolutions de la société en matière d’indemnisation du dommage corporel, qu’il s’agisse des victimes d’accidents de la route, des victimes de l’amiante ou du sang contaminé.
Cela confirme que ces victimes constituent une catégorie à part. Cela ferme la porte, sans doute pour longtemps, aux différentes invitations lancées à l’occasion de l’affaire de l’amiante par plusieurs institutions - Cour de cassation, Cour des comptes, rapport Masse et suivants faits devant le conseil supérieur de la prévention des risques professionnels – ou lors de la création du fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante.
Par ailleurs, le protocole soumis à l’approbation des organisations syndicales, comporte trois risques majeurs.
1. Tout d’abord, les mesures proposées en matière de réparation sont subordonnées à des « transferts financiers ». Ainsi serait satisfaite une vieille revendication du patronat consistant à raisonner à coût constant, c’est-à-dire à améliorer le sort des uns au détriment du sort des autres. Concrètement, la branche AT-MP entend faire l’économie du versement au FCAATA pour la pré-retraite amiante et à la branche maladie pour la sous-déclaration des maladies professionnelles ; même si cette précision a disparu de la rédaction finale, les intentions demeurent. La portée de la mesure concernant le FCAATA est lourde de conséquences puisque cela consisterait à vider de sa substance l’unique dispositif de départ anticipé pour espérance de vie réduite. Cela anéantirait tous les espoirs de voir aboutir les négociations sur la pénibilité. En outre l’idée de subordonner les dépenses nouvelles à l’équilibre de la branche est à l’opposé de la logique actuelle qui subordonne le niveau des cotisations des employeurs aux dépenses, ce qui constitue l’un des leviers de la prévention.
2. Dans le texte, la formulation « sécurisation juridique de la mise en œuvre de la responsabilité de l’employeur en matière d’AT-MP » engagerait immanquablement les partenaires sociaux à remettre en cause le bénéfice de la dernière jurisprudence en matière de faute inexcusable de l’employeur. En effet suite aux milliers de procédures engagées par les victimes de l’amiante devant les TASS, la cour de cassation a redéfini le 28 février 2002, la faute inexcusable de l’employeur comme « un manquement à l’obligation de sécurité de résultat ». Une telle remise en cause, porterait un coup sévère à l’indemnisation des victimes en supprimant la seule voie d’accès à une réparation quasi-intégrale pour les victimes d’AT-MP. De plus, elle entraînerait par contrecoup un recul de la prévention.
3. Enfin, dans le même paragraphe du texte,
la formulation « délimitation de la réparation complémentaire qui serait due au titre de cette responsabilité » doit s’analyser comme une limitation par avance de l’évaluation des dommages subis par les victimes et du montant des indemnités qui leur seraient versées. Autant dire que cela reviendrait à remettre en cause l’appréciation souveraine des préjudices des victimes par les tribunaux et entraînerait inévitablement des répercussions sur les dispositifs existants.
Au final, ce texte conditionne d’hypothétiques améliorations à des reculs importants dont la portée va bien au-delà de questions financières et qui anéantiraient les avancées obtenues ces dernières années. Vous comprendrez que nous ne pouvons que désapprouver un tel texte, qui ne manquerait pas d’être totalement incompris des victimes du travail comme des salariés concernés.
Pour toutes ces raisons, la Fnath et l’Andeva demandent solennellement à toutes les organisations syndicales qui ont participé à ces négociations de ne pas signer ce protocole d’accord.
Nous restons à votre disposition pour toute explication complémentaire, et vous prions d’agréer, Monsieur le Secrétaire général, l’expression de nos sentiments les meilleurs.
Pour la Fnath Le secrétaire général Marcel ROYEZ |
Pour l’Andeva Le Président François DESRIAUX |
Réparation intégrale et réparation forfaitaire
Les victimes d’accidents ou de maladies subissent de nombreux préjudices : le déficit fonctionnel (l’incapacité), les pertes financières, la souffrance physique et morale, la perte de qualité de vie (préjudice d’agrément), le préjudice esthétique (cicatrices, amaigrissement), le préjudice sexuel.
Les victimes d’accidents de la route ou du sang contaminé ont droit à une réparation intégrale de tous ces préjudices.
Les victimes de l’amiante sont indemnisées en routine de ces préjudices par le Fiva.
Mais, pour une victime du travail, la sécurité sociale indemnise seulement le déficit fonctionnel et sur une base forfaitaire : à un taux d’incapacité de 40% correspond une rente de 20%.
Article paru dans le Bulletin de l’Andeva N°22 (avril 2007)