Plusieurs centaines de fois condamnée, la société Eternit réussit un véritable tour de force : elle échappe à toute sanction financière et réussit même à gagner de l’argent !
Chez Eternit, les victimes se comptent par milliers. La fabrication d’amiante-ciment a laissé derrière elle un interminable cortège de maladies et de deuils. Face à cette hécatombe industrielle, des centaines d’actions en faute inexcusable de l’employeur ont été engagées et gagnées devant les tribunaux des Affaires de la Sécurité sociale (les TASS) par des victimes de Thiant, d’Albi, d’Eternit Caronte ou de la mine de Canari…
Avec l’aide de ses juristes l’entreprise a alors mis au point un stratagème qui lui permet - malgré ces condamnations répétées - d’échapper à la sanction financière résultant de la reconnaissance d’une faute, et même - au bout du compte - de réaliser des gains financiers.
Des maladies « inopposables »...
« Lorsqu’elle a compris qu’elle avait perdu sur le terrain de la faute inexcusable, explique maître Sylvie Topaloff, avocate des victimes, l’entreprise a changé de stratégie : son adversaire est devenu la Caisse primaire à qui elle reproche de ne pas avoir conduit la procédure de reconnaissance de façon contradictoire. Sous prétexte par exemple que l’avis médical ne lui aurait pas été notifié en recommandé, la société Eternit parvient à faire juger que la maladie professionnelle ne lui est pas « opposable ». »
Grâce à cette manœuvre, la charge financière d’une condamnation pour faute inexcusable de l’employeur ne repose pas sur l’employeur fautif. Elle est mutualisée et c’est la collectivité des employeurs qui est mise à contribution dans le cadre de la branche AT-MP de la Sécurité sociale. La sanction devient alors pratiquement indolore pour l’employeur responsable.
...aux maladies escamotables
Mais il y a encore plus fort : étant inopposables à l’entreprise, ces maladies professionnelles deviennent carrément inexistantes pour le calcul des cotisations patronales !
Sylvie Topaloff démonte le mécanisme de ce tour de passe-passe juridique : « Au travers de ces inopposabilités, la société Eternit obtient la réduction du nombre de maladies professionnelles déclarées dans l’entreprise chaque année. Or, le montant de la cotisation Accidents du Travail / Maladies Professionnelles d’une entreprise est calculé en fonction du nombre de maladies professionnelles déclarées. Au travers des décisions d’inopposabilité, Eternit a pu faire supprimer de son compte maladies professionnelles annuel l’essentiel des maladies professionnelles initialement déclarées »
Les résultats de ce formidable escamotage sont spectaculaires :
Eternit a pu obtenir :
en 2003 : un remboursement de cotisations de 1.538.000 euros,
en 2004 : un remboursement de 130.000 euros,
en 2005 un remboursement de 235.000 euros...
« non seulement des centaines de décisions de faute inexcusable de l’employeur n’auront eu aucune conséquence financière pour la société Eternit, conclut Sylvie Topaloff. Mais, plus encore, en faisant valoir des vices de procédure dans le cadre de l’instruction de ces dossiers par le CPAM, elle a gagné de l’argent... »
Article paru dans le Bulletin de l’Andeva N°22 (avril 2007)