JUGER TOUS LES RESPONSABLES

Amisol, Normed et Sollac, Eternit, Jussieu, Condé... les décisions de justice se sont multipliées ces derniers mois sur l’instruction du procès pénal de l’amiante. Et leurs résultats sont contrastés :
- victoire pour Amisol, dont le patron est remis en examen après un arrêt de la Cour de cassation,
- victoire mêlée d’amertume pour Eternit dont les directeurs sont remis en examen, mais dont le grand patron, décédé en juillet, échappera à la justice des hommes,
- incertitude pour Jussieu et la Normed, où les mises en examen des membres du CPA (outil de lobbying créé et manipulé par les industriels de l’amiante avec la caution des pouvoirs publics) et celles des membres de la haute administration ont été annulées par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris,
- bataille au finish pour Condé, où la la cour d’appel de renvoi, avec le soutien scandaleux du Parquet, résiste à la Cour de cassation.

La bataille pour que tous les responsables soient jugés n’est pas encore gagnée.


LA VICTOIRE DES VICTIMES D’AMISOL

Claude Chopin, le dernier directeur d’Amisol (Clermont-Ferrand) devra rendre des comptes à justice ! Tel est le sens de l’arrêt rendu le 24 juin par la Cour de cassation, qui vient une nouvelle fois de désavouer la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris. Pionnières du combat contre l’amiante en France, les ouvrières d’Amisol demandent qu’il soit rapidement renvoyé devant un tribunal correctionnel.

Dans cette usine où l’amiante était chargé à la fourche, l’air des ateliers était saturé de fibres mortelles, que les ouvrières et les ouvriers respiraient jour après jour.
« Usine délabrée, cauchemardesque », « l’horreur et le retour à Zola  », disent les témoins. Les photos de l’époque – hallucinantes – le confirment. Ces conditions de travail effroyables sèment encore aujourd’hui la maladie, la souffrance et la mort parmi le personnel.

Le patron connaissait bien le danger

Fils de l’actionnaire principal, Claude Chopin avait été directeur de l’usine de juillet à décembre 1974, dans les six derniers mois précédant sa fermeture. En réclamant un non-lieu, il pensait échapper à ses responsabilités, en prétendant qu’il ignorait le danger et qu’il n’avait eu ni le temps ni les moyens financiers de protéger le personnel.

Il avait le choix d’arrêter les machines

En réalité, il connaissait depuis des années l’empoussièrement massif des ateliers. Dès sa prise de fonction il avait été confronté à une grève qui aurait dû l’alerter sur les conditions de travail. Il savait que l’inspection du travail avait mis en demeure la direction d’Amisol d’effectuer des mises en conformité ou de fermer et qu’elle avait lancé une procédure judiciaire en référé contre l’entreprise.
Il avait encore le choix d’arrêter les machines à défaut d’installer les protections nécessaire. En ne le faisant pas, il a sciemment exposé le personnel à un risque mortel.
Mais la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris avait estimé qu’aucune charge ne pouvait être retenue ni contre lui ni contre quiconque et a prononcé un non-lieu le 8 février 2013.
Cet arrêt scandaleux, rendu avec le soutien du Parquet, avait provoqué l’indignation et la colère des ouvrières d’Amisol.
Elles avaient saisi la Cour de cassation qui leur a donné gain de cause le 24 juin 2014.
Les considérants de l’arrêt rendu par la Haute juridiction méritent une attention particulière.

Une violation du Code du travail

Pour écarter le délit d’homicide involontaire, la chambre de l’instruction avait considéré, que les articles R. 232-10 et suivants du code du travail énoncent des mesures générales afin d’assurer la propreté des locaux et non des mesures particulières afin de protéger les travailleurs du risque de l’amiante.
La Cour de cassation a jugé que ces articles ne se contentent pas d’énoncer des généralités car ils obligent l’employeur à prendre des mesures qui «  imposent, dans les emplacements affectés au travail, d’une part, des mesures de protection collective assurant la pureté de l’air nécessaire à la santé des travailleurs tenant à des modalités particulières de nettoyage, à l’installation de système de ventilation ou d’appareils clos pour certaines opérations, d’autre part, dans le cas où l’exécution de ces mesures serait reconnue impossible, des appareils de protection individuelle appropriés mis à la disposition des travailleurs, et caractérisent ainsi l’obligation particulière de sécurité prévue par la loi ou le règlement ».

Renvoyer vite Claude Chopin en correctionnelle

Cette position dépasse le cas particulier et aura des conséquences dans d’autres affaires. Mais elle permet déjà de rétablir la justice dans une procédure dont la durée constitue une épreuve pour les victimes et leurs familles.
Elles attendent que la cour d’appel de renvoi suive l’arrêt de cassation et que le dernier directeur d’Amisol soit rapidement renvoyé en correctionnelle pour
être jugé.


NORMED-SOLLAC
« Nous avons été reçus comme des délinquants »

Dans le dossier Normed, la première plainte avait été déposée en 1997. La juge Bertella-Geffroy avait mis en examen deux anciens directeurs d’établissement ainsi que Jean-Luc Pasquier, ancien responsable du bureau CT4 au sein de la Direction du Travail. Ce dernier a saisi la chambre de l’instruction d’une demande d’annulation de sa mise en examen avec les arguments qu’il avait déjà avancés dans le dossier de Condé-sur Noireau.

« Le 6 novembre dernier, nous étions plusieurs centaines devant le pôle de Santé publique à Paris pour déposer 1148 nouveaux dossiers de victimes et d’ayants droit de Normed et de Sollac, explique Pierre Pluta, lui-même ancien ouvrier de la Normed. Des délégations étaient venues du Nord-Pas-de-Calais et de toutes les régions de France.

Nous voulions rencontrer les magistrats instructeurs pour leur remettre ces 1148 dossiers, faire le point avec eux sur l’état de l’instruction, leur demander quels étaient leurs moyens et leurs souhaits..Ils avaient déjà vu nos avocats, mais n’ont pas voulu ce jour-là rencontrer directement les victimes. Nous sommes repartis avec les dossiers ! En février nous avons écrit aux juges d’instruction pour redemander que des victimes soient reçue avec l’Andeva. Nous n’avons à ce jour reçu aucune réponse.

Le 16 mai, dans le dossier Normed, la demande d’annulation de la mise en examen de Jean-Luc Pasquier a été examinée par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris.

Nous avons loué un car pour nous rendre au Palais de Justice. Nous avons été reçus comme des délinquants. à notre descente de car, les policiers étaient trois fois plus nombreux que nous. Ils nous ont barré le chemin du Palais de Justice. Marjorie n’a même pas pu approcher du Palais de Justice où l’on plaidait le dossier de son mari, ouvrier de la Normed, mort d’un mésothéliome. Elle était indignée. Nous sommes restés bloqués sur le trottoir, à plusieurs centaines de mètres...

Fidèle à elle-même, la juge Bernard a annulé la mise en examen de Pasquier. Nous avons fait un pourvoi en cassation. Les deux directeurs restent mis en examen.

Dans le dossier Sollac, la plainte a été déposée par la famille d’une victime décédée à 51 ans d’un mésothéliome. L’instruction semble toujours au point mort, en attente d’éventuelles mises en examen. Pourtant les ravages de l’amiante à la Sollac sont une réalité. Sur les 1148 dossiers que nous avons préparés pour les juges d’instruction, il y en a 466 de la Sollac, dont 83 décès. »

 

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Article paru dans le Bulletin de l'Andeva n°46 (septembre 2014)