L’amiante a longtemps été utilisé pour filtrer des liquides alimentaires comme le vin, l’huile ou la bière. En 1976, l’UFC Que Choisir publiait une fracassante enquête sur l’amiante dans le vin. Quatre ans plus tard les pouvoirs publics se décidaient enfin à interdire cet usage des filtres amiantés.

« Sur 29 crus de consommation courante, 15 contiennent de l’amiante provenant du filtrage. » Tels sont les inquiétants résultats de l’enquête menée en 1976 par l’UFC Que choisir.
Soupçonnant ce produit d’être cancérogène, l’association de consommateurs appelle au boycott des marques qui continuent à utiliser ce procédé. 
La contre-offensive est immédiate : les « pinardiers  » lui réclament cinq millions de dommages-intérêts... 
Le 10 novembre 1976, Cyril Latty, président de l’Association française de l’amiante (AFA) écrit aux ministres de la santé, de l’économie et de l’agriculture pour dénoncer une polémique «  démagogique et politique  » sur un sujet «  rendu artificiellement brûlant  ». Selon lui, « dans l’état actuel des connaissances il n’y a pas lieu de penser que ces procédés puissent présenter un risque pour la population.  »

Un mois plus tard, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) confirme la cancérogénicité des fibres d’amiante par inhalation, mais considère qu’il n’y a pas assez de données probantes pour la toxicité par ingestion. Il recommande toutefois par précaution de proscrire l’utilisation de filtres en amiante pour le vin et la bière. Sur 16 échantillons de vins examinés par ses experts, 8 étaient contaminés par l’amiante, avec jusqu’à 100 millions de fibres dans une seule bouteille de vin !
Les industriels de l’amiante s’opposent à l’interdiction   : la toxicité de l’amiante ingéré n’étant pas prouvée « le doute doit profiter au consommateur.  » (dans le doute, empoisonne toi !)

Quatre années passent.

Le 12 mars 1980 une circulaire ministérielle précise que «  l’emploi de l’amiante comme matériau de filtration ne saurait être admis, en raison des risques de rémanence des fibrilles d’amiante, même dans le cas de filtrations répétées.  »
Les industriels réagissent. Au nom de la Chambre syndicale de l’amiante Cyrill Latty demande au ministre de «  rapporter cette mesure, que rien ne justifie  » et d’attendre - avant toute décision - les résultats d’une étude menée par l’industrie de l’amiante sur «  les effets de l’administration de l’amiante par voie orale chez le rat.  »

Il revient à la charge en brandissant l’effarant rapport d’un obscur « Comité scientifique pour l’alimentation humaine » qui soutient que l’utilisation de filtres d’amiante « réduit la teneur en fibres d’amiante dans le liquide filtré » !
Le 13 novembre 1980 l’Association française de l’amiante tient à Beaune une «  journée d’échanges et d’informations entre scientifiques, représentants de l’Administration, oenologues et professionnels  ». 
Présidée par le professeur René Truhaut, elle comporte la visite d’une usine de fabrication de filtres et celle de l’établissement d’un négociant en vins. L’histoire ne dit pas s’il y a eu dégustation...

Durant cette journée, plusieurs orateurs citent des faits alarmants : deux cas de mésothéliome d’ouvriers des chais figurent sur un registre des mésothéliomes. Le professeur Bignon évoque onze cas depuis 1976 pour le seul hôpital intercommunal de Créteil.
Cela n’empêche pas Daniel Bouige, secrétaire de la chambre patronale de l’amiante, membre de l’Asbestos international Association et pilier du Comité permanent amiante (CPA), de rassurer son monde : « Compte tenu de la très courte durée effective » de manipulation des plaques filtrantes « par rapport à la durée du travail totale de l’opérateur » la valeur moyenne de l’exposition reste « insifigniante ».
Des études épidémiologiques évoquent un taux accru de cancers gastro-intestinaux chez les travailleurs fortement exposés. Qu’on se rassure ! Les études sur l’animal ne confirment pas ce risque !
En décembre 1980, Cyril Latty intervient une nouvelle fois auprès du ministre pour dénoncer «  l’illégalité  » de la circulaire et brandir la menace de poursuites judiciaires au motif que «  la charge qui lui est imposée dans l’intérêt général lui fait supporter un préjudice anormal et grave  » dont elle serait fondée à « solliciter l’indemnisation ».

Les industriels de l’amiante perdront ce combat douteux. Leur formidable campagne de désinformation et de pressions sur les pouvoirs publics a réussi à retarder de quatre ans l’interdiction des filtres amiante pour le vin. Elle n’a pas obtenu que cette mesure soit annulée. 
35 ans plus tard, des anciens ouvriers des chaix meurent encore de l’amiante.


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°47 (janvier 2015)