DE L’INDIGNATION à LA RIPOSTE

A Casale Monferrato, 30 ans après la fermeture d’Eternit, on compte aujourd’hui un nouveau cas de mésothéliome par semaine.
Trois jours après le jugement, le quotidien La Stampa annonçait que la catastrophe prescrite et impunissable de Schmidheiny avait causé le décès de trois nouvelles victimes, tuées par l’amiante : Maria Luisa, Vincenzo et Emilio.
Dans l’interminable liste des disparus de l’amiante, le plus jeune, contaminé dans l’enfance, n’avait que 28 ans...
Si quelque part au monde le mot « catastrophe  » a un sens, c’est bien ici.
La première exigence des Casalais, avant l’indemnisation des vivants, c’est la justice pour leurs morts.
Après les condamnations en première instance et en appel, ils attendaient que la Cour de cassation confirme ces arrêts.
Son verdict a été ressenti comme un coup de poignard, une négation des souffrances de la maladie et du deuil.
Il a provoqué l’indignation et le soulèvement citoyen d’une ville entière, bien décidée, s’il le faut, à soulever l’Himalaya pour obtenir justice.

 


CASALE MONFERRATO
Contre l’injustice, la mobilisation générale

La nouvelle du verdict tombe le mercredi soir à 21 heures. A Casale, elle se répand comme une trainée de poudre.
Dès le jeudi matin, alors que les dirigeants de l’Afeva sont encore à Rome, une révolte citoyenne s’organise dans une ville secouée d’indignation. Les kiosques à journaux sont pris d’assaut. Madame Titi Palazetti, maire de la ville, décrète une journée « ville en deuil  ». Les commerçants baissent leur rideau de fer. Sur les édifices publics les drapeaux sont en berne. Les cloches des églises sonneront le tocsin. Une affiche, imprimée à la hâte, porte ces simples mots : « Eternit, combien de fois doivent-ils encore tuer ? ». Elle est bientôt sur tous les murs.
Dans la ville un cortège spontané s’organise. Plusieurs milliers de personnes descendent dans la rue. L’affiche devient pancarte. Les lycéens descendent dans la rue. Tous ont un proche, un voisin ou un ami tué par l’amiante. Ils sont la conscience et l’avenir de la cité.
Les membres de l’Afeva et des délégations internationales, de retour de Rome, arrivent en car à Casale à la nuit tombée.
Une surprise les attend. Sur la place une centaine de personnes sont venues les accueillir. Avec simplicité et émotion, la maire de la ville serre chacun et chacune dans ses bras en lui disant quelques paroles d’encouragement. Puis chacun va sa coucher car la journée du lendemain s’annonce chargée.

 


COMMUNIQUÉ
après l’arrêt de la Cour de Cassation
Casale Monferrato, le 21 novembre 2014

Nous exprimons la plus ferme indignation et notre désaccord total avec l’arrêt honteux et injuste rendu par la Cour de cassation italienne le 19 novembre.
Schmidheiny, PDG et co-propriétaire d’Eternit Italie avait été condamné en appel à 18 années de prison pour avoir commis avec une intention frauduleuse une catastrophe humaine et environnementale permanente. En cassation, ce n’est pas l’innocence du milliardaire suisse qui a été reconnue mais la prescription de son crime. En fait, le procureur général et même son propre avocat ont admis sa culpabilité.
C’est une monstruosité et une honte de considérer comme prescrit un crime qui a déjà provoqué plus de 3000 victimes, et qui dans la seule ville de Casale, tue encore une personne par semaine. Aujourd’hui encore cette catastrophe a fauché une enième victime.
C’est pourquoi cet arrêt viole les principes fondamentaux des Conventions sur les droits de l’homme : les garanties que la loi donne à l’accusé ne peuvent en aucune manière effacer le droit à la justice de milliers de victimes. La responsabilité personnelle pour une criminalité industrielle aussi grave ne peut être annulée par des arguties juridiques.
La lutte ne s’arrête pas là. Nous impulserons toutes les actions légales et toutes les mobilisations sociales possibles dans le monde entier, y compris de nouvelles actions judiciaires contre Eternit, comme le nouveau procès pour homicide volontaire qui commencera prochainement à Turin.
La coordination internationale réunie à Casale le 21 novembre exprime sa solidarité aux victimes et aux familles de Casale et du monde entier. Ce verdict honteux ne nous arrêtera pas.
La coordination internationale des associations de victimes de l’amiante et des familles, la CGIL, la CISL, l’UIL des représentants syndicaux de divers pays, des juristes et des experts.

- AFEVA (Italie)
- ANDEVA (France)
- ABREA (Brésil)
- ABEVA (Belgique)
- FEDAVICA (Espagne)
- ASAREA (Argentine)
- UAO (Suisse)
- ASBESTOS VICTIMS SUPPORT GROUP
FORUM UK (Grande-Bretagne)
- A-BAN (Japon)
- BAN ASBESTOS NETWORK ASIA (Asie)
- L’ADAO (Etats Unis) et l’EWHN Secretary (Europe) soutiennent cet appel.

 


L’AFeVA RENCONTRE LES PLUS HAUTES INSTITUTIONS

Bruno Pesce avait espéré que l’électrochoc de l’arrêt rendu par la Cour de cassation provoquerait une prise de conscience et un «  sursaut  » dans la société italienne. Cet espoir n’était pas vain.

L’injustice était si manifeste qu’elle a percuté la magistrature et le monde politique italien jusqu’au sommet de l’Etat. L’AFeVA a réagi très vite, en s’adressant au président du Sénat, au président de la chambre des députés, au président du conseil des ministres et au conseil supérieur de la magistrature, pour leur demander d’entendre « le cri que lancent les 3000 victimes d’Eternit  ».

« L’Etat italien doit être aux côtés des victimes »

Le 25 novembre ont eu lieu des rencontres avec ces institutions et les présidents des commissions de la Justice, de l’Environnement et du Travail. Toutes les composantes de la majorité et de l’opposition étaient présentes.
L’AFeVA a demandé que «  l’Etat se constitue partie civile aux côtés des victimes  » dans le procès Eternit-bis et qu’il légifère pour empêcher qu’une interprétation défavorable de la prescription du délit par les magistrats n’aboutisse à « supprimer le droit des victimes à la justice, au nom des garanties et finalement de l’impunité accordées à l’accusé ».
L’association a demandé à l’Etat italien « d’engager des procédures afin de récupérer les sommes dues aux victimes auprès des juridictions internationales  ».

Indemnisation, dépollution, recherche

L’association a mis à profit ce contact avec les plus hautes autorités de l’Etat pour évoquer d’autres demandes telles que l’élargissement du Fonds d’indemnisation aux victimes environnementales, le déblocage du «  Plan national amiante » décidé en 2012, et des financements suffisants pour la dépollution, au niveau national, régional et local.
Les maires de Casale et de Cavagnolo ont réclamé des moyens pour la dépollution.
L’AFeVA demande une amélioration des parcours de soins du mésothéliome et un renforcement de la coordination nationale et internationale des recherches sur cette maladie.

Un premier accueil favorable

Tous les interlocuteurs ont manifesté leur solidarité.
Le premier ministre a annoncé que l’Etat se porterait partie civile dans le prochain procès Eternit.
Des projets de loi vont être discutés sur la prescription et l’intégration spécifique du crime de catastrophe environnementale dans le code pénal.
La présidente de la commission de la Justice s’est prononcée en faveur d’une aide financière de l’Etat aux victimes pour les procédures au pénal et au civil.
L’AFeVA se félicite de ces avancées. «  Reste à vérifier que ces engagements seront tenus et que ces promesses se traduiront par des actes » indique-t-elle dans un communiqué.

 


Bientôt un procès « Eternit-bis »

Schmidheiny n’en a pas fini avec la justice italienne. Le lendemain du verdict, le procureur Raffaele Guariniello a annoncé un procès «  Eternit-bis  » regroupant les dossiers de 213 victimes. L’incrimination retenue n’est pas la « catastrophe environnementale », injustement déclarée prescrite par la Cour de cassation, mais l’homicide.
« J’espère que les vicimes ne perdront pas confiance en la justice, a déclaré le procureur. Un chapitre se clôt, un nouveau chapitre s’ouvre. Nous n’en démordrons pas. Nous sommes prêts à avancer. Les familles ne doivent pas désespérer. »

Saisir la Cour européenne des Droits de l’Homme ?

Lors de l’Assemblée à Casale, David Hussman a évoqué la condamnation de l’Etat suisse sur le problème de la prescription, suite à une action engagée au civil par des victimes helvétiques.
Ce type d’action est-il envisageable au pénal ? Il est sans doute trop tôt pour le dire. La question mérite d’être étudiée, après examen approfondi des attendus du jugement.