LA TECHNIQUE ET L’ETHIQUE

L’INSERM a annoncé le 31 octobre qu’une équipe de chercheurs dirigée par Paul Hofman (Unité 1081/Université de Nice) venait de faire «  une avancée significative dans le domaine du diagnostic précoce des cancers invasifs  ».
Il indique qu’un test sanguin permet de repérer des cellules cancéreuses circulantes chez des personnes à risque de développer un cancer du poumon et cela « plusieurs mois et dans certains cas plusieurs années avant que le cancer ne devienne détectable par scanner », ce qui devrait faciliter une «  éradication précoce de la localisation primitive du cancer ».
Face à une telle annonce, une association comme l’Andeva est toujours partagée entre l’espoir d’une avancée médicale majeure et le souci de ne pas donner de fausses joies.
Merci à Paul Hofman d’avoir accepté de présenter ses travaux dans le Bulletin de l’Andeva et de nous livrer son point de vue sur l’intérêt mais aussi sur les problèmes éthiques que peut soulever cet outil de diagnostic ultra-précoce du cancer bronchopulmonaire.


PAUL HOFMAN (CHU de NICE)
« Cette technique est très prometteuse, mais nous devons rester prudents »

Votre équipe de l’INSERM a réalisé une étude sur la détection précoce du cancer broncho-pulmonaire en partenariat avec une société privée.

Paul HOFMAN : Des études chez l’animal ont montré que les tumeurs invasives diffusent dans le sang des cellules cancéreuses depuis les toutes premières étapes de leur formation.
Nous avons utilisé la méthode ISET 1 pour isoler et analyser ces « cellules sentinelles » circulantes avant même que la tumeur ne soit détectable au scanner. Ces cellules sont rares. Elles partent de la tumeur primitive et reviennent s’y nicher.

Comment fait-on pour isoler ces cellules ?

Paul HOFMAN : On prélève dix centimètres cubes de sang qu’on fait passer sur un filtre en polycarbonate à pression négative. Ce filtre laisse passer les globules blancs et retient les cellules cancéreuses dont la taille est plus importante.
C’est comme si l’on passait un mélange de sable et de graviers sur un tamis qui ne retiendrait que les graviers.
Puis on colore ces cellules pour en faire une analyse cytologique et morphologique en microscopie optique. La filtration doit avoir lieu deux à trois heures après la prise de sang. Les résultats sont disponibles une demi-heure après. Cette méthode est simple, spécifique et sensible.

Ce test sanguin est déjà ancien.

Oui, les premiers travaux ont été publiés en 2000, à l’initiative d’une unité de l’INSERM. Un litige sur les brevets avec une première société privée a retardé sa mise en oeuvre.

Comment ont été recrutés les participants à cette étude ?

Nous avons choisi une population à haut risque de cancer, avec des sujets qui ont à la fois une broncho-pneumopathie chronique obstructive sévère et un tabagisme important.

Quel est le coût de ce test ?

Quelques centaines d’euros. Il est commercialisé par la société Rarecells Diagnostics. Je précise que ni moi ni aucun membre de notre famille n’avons d’intérêts dans cette société.

Quel est le bénéfice médical de ce repérage précoce ?

Seuls 15% des cancers bronchopulmonaires sont diagnostiqués à un stade de maladie localisée.
Les 5 cancers bronchopulmonaires repérés par ce test et confirmés ultérieurement par un scanner ont été opérés à un stade précoce, sans récidive à ce jour.

Mais tous les cancers bronchopulmonaires ne sont pas opérables.

Effectivement. Les cancers à petites cellules (15% des cas) sont chimiosensibles et se traitent pas chimiothérapie. Pour les autres (85%) une opération peut être envisagée s’ils sont détectés assez tôt.

Sur quels critères avez-vous choisi la périodicité des examens (une prise de sang et un scanner par an) ?

Nous avons consulté des radiologues. Nous avions le souci de limiter l’irradiation et d’avoir un rapport coût-bénéfice acceptable.
Notre démarche a été assez empirique.

La méthode ISET peut repèrer des cellules cancéreuses circulantes. Permet-elle d’identifier la nature d’un cancer ?

Cela dépend du type de cancer et de la fiabilité des marqueurs. Pour le mélanome malin par exemple, il y a des marqueurs très spécifiques. mais ce n’est pas le cas pour tous les cancers.
Pour le cancer bronchopulmonaire il n’y a pas de marqueur avéré, mais on sait que la probabilité est très forte quand on associe tabagisme et BPCO.
Pour affiner le diagnostic de certains cancers on utilise plusieurs marqueurs. Des recherches sur les signatures génomiques sont également en cours.

Cette étude permet-elle d’exclure l’éventualité de faux positifs (repérage de cancers inexistants) ou de faux négatifs (cancers non repérés) ?

Non. Cette technique nécessite une analyse morphologique très fine. En 2011, nous avons mené une étude comparative des observations d’une dizaine de chercheurs. Les variations entre opérateurs étaient faibles. En fait, la fiabilité. des observations dépend beaucoup de l’expérience de l’opérateur.

Pour 163 personnes ayant une BPCO, les tests ont été négatifs Peut-on en conclure qu’elle n’auront jamais de cancer ?

Non, le test nous renseigne sur la situation à un moment donné, mais ne permet pas de prédire l’avenir.

Votre étude a-t-elle une puissance statistique suffisante pour qu’il soit possible d’en tirer des conclusions définitives ?

100% des patients ayant eu un test positif ont développé un cancer du pourmon.
Ces résultats sont prometteurs, mais à ce stade nous devons rester très prudents.
Il serait prématuré, à partir du cas de ces 5 patients, d’en conclure aujourd’hui que cette méthode a une valeur prédictive de 100%. Nous souhaitons étendre la cohorte à un plus grand nombre de personnes.

Le test sanguin a permis de détecter des cellules cancéreuses plusieurs années avant qu’elles ne soient visibles et localisables au scanner. L’annonce d’un tel résultat ne risque-t-elle pas d’avoir des effets anxiogènes majeurs ?

Elle peut effectivement bouleverser la vie de la personne qui la reçoit et lui donner l’impression qu’elle vit désormais sous une épée de Damoclès.
Il est important de rappeler que nous sommes ici dans le cadre strictement défini d’un protocole de recherche clinique, avec consentement éclairé des participants. Ils savent à l’avance qu’ils auront une prise de sang et un scanner par an et qu’ils ne seront pas informés des résultats des tests sanguins.
Si le scanner repère un nodule, il sera surveillé pour voir si sa taille évolue. Si le diagnostic de cancer est posé, le patient sera pris en charge.
C’est une question éthique qui doit être traitée avec une grande vigilance. J’ai une formation initiale d’oncologue. Je connais par expérience la vulnérabilité des patients à qui l’on promet des remèdes-miracles.
Pour nous, chercheurs, il y a une juste balance à trouver entre l’enthousiasme et la frilosité.
Nous devons rester prudents et faire attention aux messages publics qui sont délivrés. L’éthique doit prévaloir sur la logique commerciale.


L’étude et ses résultats

Un article paru dans la revue Plos one d’octobre 2014 donne les informations suivantes :
L’étude réalisée a commencé en 2008 dans le cadre d’une expérimentation clinique.
Elle a porté sur 245 gros fumeurs dont 168 étaient atteints d’une BPCO (broncho-pneumopathie chronique obstructive). Ils ont subi tous les ans un test sanguin ISET (Isolation by SizE of Tumor cells) et un scanner.
5 cancers broncho-pulmonaires ont été repérés par ce test chez les patients atteints d’une BPCO, plusieurs mois, voire de 1 à 4 ans avant que la tumeur ne soit visible au scanner. Tous ont ètè opérés à un stade précoce. Aucun n’a fait jusqu’à présent de récidive.
Aucun cas de cancer n’a été repéré chez les personnes dont le test sanguin avait donné un résultat négatif.


Article paru dans le bulletin de l’Andeva n°47 (janvier 2015)