POURQUOI CE FORUM ?

Accompagner au jour le jour une personne gravement malade n’est pas chose facile. L’arrivée d’un cancer a souvent d’importantes conséquences sur la vie familiale.
Ceux qu’on appelle les « aidants familiaux  » sont en première ligne  : ils encaissent des chocs émotionnels douloureux, ils gèrent des rapports parfois difficiles avec les médecins, résolvent une multitude de problèmes matériels et administratifs. Un parcours qui peut être épuisant si l’on ne reçoit ni soutien psychologique ni aide matérielle.
Des bénévoles aussi, confrontés aux souffrances physiques et morales des victimes et des familles peuvent être déstabilisés.
A partir de ce constat, la ville de Cherbourg a eu la bonne idée de créer ce forum Santé.
Forte d’une expérience dans ce domaine qui remonte à 2008, l’Adeva Cherbourg a participé aux débats.


Ce soir là, à l’Hôtel de ville de Cherbourg, quatre femmes  :  épouses, filles et mères de victimes - sont venues témoigner. Elles ont relaté quatre expériences vécues, difficiles et douloureuses, d’accompagnement de proches dans la maladie et parfois jusqu’à la fin de vie. Elles ont aussi raconté comment elles avaient trouvé la force de faire face à des situations dures et complexes et de surmonter des difficultés dont certaines se poursuivent encore aujourd’hui. Chantal, bénévole de
l’Adeva Cherbourg, était l’une d’elles.

Chantal a toujours accompagné son mari, depuis le dépistage d’une maladie bénigne liée à l’amiante en 2004 jusqu’à son décès d’un mésothéliome en 2009.Durant les quatre mois qui ont précédé le décès, Chantal, ancienne infirmière, a décidé en accord avec son mari d’assumer seule son accompagnement dans la maladie, et ce jusqu’à la fin.
Après le décès de son mari, Chantal s’est engagée auprès de la maison des usagers de l’hôpital du Cotentin. Mais elle ne s’y est pas sentie aussi utile qu’elle l’aurait pensé. C’est en se remémorant sa propre expérience d’accompagnante qu’elle a compris pourquoi Lorsqu’on doit gérer au jour le jour la maladie grave d’un proche, lorsqu’on est plongé corps et âme dans le drame et dans l’urgence, on n’est pas prêt à parler, à échanger. C’est trop tôt, il y a trop à faire, trop de décisions à prendre. Impossible de trouver en soi le recul nécessaire à l’analyse.
Pour elle, ce n’est donc pas à l’hôpital que la parole des accompagnants arrivera à se libérer, et que ceux-ci parviendront à entamer le bilan intérieur de ce qu’ils ont vécu, mais plus tard, et dans un cadre plus neutre.
Voilà pourquoi elle s’est engagée dans le projet dirigé par la psychologue Maguy Vrignaud.


MAGUY VRIGNAUD, PSYCHOLOGUE
« Je fais circuler la parole. Le but est que les participants partagent leurs expériences et se soutiennent réciproquement »

Maguy Vrignaud est psychologue. Elle a été détachée à l’Adeva Cherbourg par l’Hôpital du Nord-Cotentin. Une fois par mois, elle prend en charge un groupe de parole dans les locaux de l’Adeva. Elle nous explique le pourquoi et le comment de ces échanges collectifs.

Comment ce projet a-t-il vu le jour ?

Tout est venu de la convention passée entre l’Adeva Cherbourg et l’hôpital Pasteur. Suite à cela, un premier cycle de groupes de parole a démarré en 2008. L’idée motrice était d’apporter un soutien psychologique groupal aux personnes endeuillées. Ce groupe a pris fin car les participants étaient davantage demandeurs d’un accompagnement individuel afin d’approfondir certaines problématiques.
Aujourd’hui encore, je viens à l’Adeva une matinée par mois pour rencontrer individuellement les gens qui le souhaitent. J’ai également la possibilité de recevoir ces personnes à l’hôpital.
L’idée des groupes de parole a été relancée très récemment, en 2014. Cette fois ci, la demande est venue des secrétaires de l’association qui ont perçu une demande d’accompagnement groupal et ont répertorié la liste des personnes souhaitant participer à un groupe.

Comment cela se passe-t-il concrètement ?

Nous avons constitué un groupe d’une dizaine de personnes intéressées par ce type d’accompagnement. Ils ne sont pas tous présents à chaque réunion mais en ont la possibilité. Le groupe se réunit une fois par mois dans la salle de l’Adeva. Les réunions sont très libres.

Comment définiriez-vous votre rôle ?

Je suis chargée d’encadrer et d’animer le groupe mais je m’interdis d’être trop dirigiste. L’objectif est que ce soient les participants qui s’apportent un soutien mutuel. D’ailleurs, les sujets de conversations sont choisis par les participants eux-mêmes. Ensuite, je m’efforce de faire circuler la parole entre eux. J’essaye également de faire en sorte que tout le monde puisse bénéficier d’un espace de parole, même s’il n’y a aucune obligation. Celui ou celle qui ne se sent pas capable d’intervenir, que ce soit par timidité ou parce que l’émotion du moment est trop forte, ne doit pas être poussé à le faire. Le but est de faire en sorte que les participants partagent leurs expériences et se soutiennent réciproquement.

Forment-ils un groupe homogène ?

Non, et c’est tout l’intérêt. Certains sont endeuillés depuis plusieurs années, d’autres depuis quelques mois seulement.. Du coup, ceux qui ont du recul apportent de l’espoir aux autres en leur montrant qu’il y a une issue à la souffrance et qu’eux aussi parviendront, avec le temps, à retrouver le goût de la vie et des plaisirs simples. Par ailleurs, le fait de se découvrir tant de points communs, tant de similitudes dans leurs parcours respectifs les fait se sentir moins seuls.


Même si chacun vit son deuil d’une manière différente…

En effet. Pour certains, ce sera plus long et pénible que pour d’autres. Certains vont demeurer longtemps dans la culpabilité du survivant, pendant que d’autres vont plus rapidement s’autoriser de petits moments de bonheur. Je me souviens d’un couple qui avait pour projet de vendre sa maison et de s’installer en appartement. Lorsque le monsieur est mort peu de temps après, sa femme a continué ce projet et quitté la maison car elle ne pouvait pas rester dans ce lieu trop chargé affectivement. Au contraire, d’autres vont conserver les lieux presque en état. Ils vont jusqu’à laisser la veste du conjoint disparu au porte-manteau, ou conserver sa voix sur un répondeur, car cela leur donne l’impression qu’il est toujours présent. Tous les cas sont différents, même si, au final, il faudra bien « laisser partir » celui qui n’est plus là.


L’ADEVA CHERBOURG

Elle recense plus de 1300 adhérents.
Deux salariées y travaillent ainsi qu’une dizaine de bénévoles.
Elle s’est créée en 1996. Elle a été lontemps présidée par Didier Sayavera. Didier était aussi membre du conseil d’administration, puis du bureau de l’Andeva et a représenté la CGT au conseil d’administration du Fiva. Il nous a quittés en 2012, emporté par une grave maladie.
Le domaine de l’aide aux accompagnants et aux aidants n’est pas un sujet nouveau pour l’association.
Dès 2008, elle débutait une collaboration avec une psychologue de l’hôpital Pasteur et inaugurait un groupe de parole pour les conjoints de victimes décédées de l’amiante.
Sa légimité dans ce domaine est ancienne. Elle s’est traduite par la tenue d’un stand et par la participation de Chantal, bénévole de l’Andeva au débat organisé le 24 novembre à l’Hôtel de ville.
Si l’Adeva Cherbourg n’a pas initié ce projet de forum, elle s’y est largement impliquée car elle y avait toute sa place.



Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°47 (janvier 2015)