Un décret du 11 octobre 2013 autorisait l’inspection du travail à délivrer des dérogations « amiante » pour l’emploi de jeunes de 15 à 18 ans exposés aux niveaux 1 et 2 d’empoussièrement réglementaires. L’Andeva avait engagé un recours pour abus de pouvoir. Le Conseil d’Etat a retoqué le décret, abaissant ainsi la limite maximum de 6000 à 100 fibres d’amiante par litre d’air.

LE CONSEIL D’ETAT A DIT : NON !

« Vous êtes allés trop loin ! » C’est en substance ce que le Conseil d’Etat a dit au gouvernement dans son arrêt du 18 décembre 2015.

Les décrets 2013-914 et 2013-915 du 11 octobre 2013 autorisaient un employeur ou le directeur d’un établissement scolaire à affecter - par dérogation de l’inspecteur du travail - des jeunes de 15 à 18 ans à des travaux dangereux normalement interdits.

Pour l’amiante, pouvaient ainsi faire l’objet d’une dérogation « des opérations susceptibles de générer une exposition à un niveau d’empoussièrement de fibres d’amiante de niveau 1 ou 2 » (*).

L’Andeva a jugé cette dérogation déraisonnable et dangereuse

Depuis le 1er juillet 2015, la valeur limite d’exposition professionnelle (VLEP) dans l’air inhalé par un travailleur dans sa protection respiratoire est de 10 fibres d’amiante par litre d’air.

La Direction générale du travail elle-même estime qu’entre 3300 et 6000 fibres d’amiante par litre dans l’espace de travail, la plupart des protections respiratoires existant sur le marché sont inefficaces.

Et, dans une circulaire officielle (instruction DGT CT2/2015/238), elle précise que même le masque à adduction d’air - jusqu’ici considéré comme le must en matière de protection respiratoire - n’est « adapté » que « sous condition de réduire la durée d’exposition » à 3 heures par jour.

Il était impensable de laisser des adolescents travailler avec de tels niveaux d’empoussièrement.

L’Andeva a estimé que décrets étaient contraires au droit fondamental à la santé des mineurs et qu’ils violaient la Convention internationale des droits de l’enfant et la directive 99/33/CE sur la protection des jeunes au travail. Elle a engagé un recours pour abus de pouvoir devant le conseil d’Etat.

L’arrêt du Conseil d’État

L’arrêt annule la partie la plus importante du décret n° 2013-915 du 11 octobre 2013 : celle qui autorise des dérogations « pour des opérations susceptibles de générer une exposition au niveau 2 d’empoussièrement de fibres d’amiante ».

Autrement dit, la limite supérieure d’empoussièrement en cas de dérogation, est abaissée de 6000 fibres à 100 fibres par litre d’air quelle que soit la nature des travaux.

L’Etat est condamné à verser 1 500 euros à l’Andeva au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Un refus d’exposer des mineurs à un risque important pour leur santé

Le Conseil d’Etat a taclé le ministre du Travail. Il estime que ce dernier n’a pas démontré que « les besoins de la formation professionnelle des jeunes travailleurs rendaient nécessaires des dérogations pour
des opérations susceptibles d’exposer les mineurs à un empoussièrement pouvant aller jusqu’à 6000 fibres par litre, et de leur faire courir un risque important pour leur santé en cas de méconnaissance des mesures de protection imposées par la réglementation en vigueur »

A l’audience, le rapporteur public avait reproché au gouvernement d’ignorer le facteur de risque accru lié au manque d’expérience des jeunes ainsi que la spécificité du risque amiante (pas de seuil d’empoussièrement sous lequel le risque de cancer serait nul).

Espérons que cette décision de justice rappellera au gouvernement qu’il a des obligations en matière de prévention et qu’il est de sa responsabilité de préserver la santé des jeunes travailleurs.

Et les autres travaux dangereux ?

En obtenant la modification de ces décrets pour l’amiante, l’Andeva a remporté une belle victoire. Mais ils restent inchangés pour bien d’autres situations de travail. De plus la durée des dérogations est passée de 1 an à 3 ans. Elles ne sont plus nominales mais s’appliquent à un établissement entier, ce qui compromet l’effectivité des contrôles.Le combat pour protéger les jeunes travailleurs doit donc continuer sur d’autres fronts.


(*)
Niveau 1 : moins de 100 fibres d’amiante par litre d’air dans l’espace de travail.
Niveau 2 : de 100 fibres à 6000 fibres par litre d’air.