Le jugement qui clôt les audiences préliminaires du procès « Eternit-bis » à Turin n’a pas répondu à leurs attentes : un chef d’inculpation requalifié à la baisse, trois dossiers prescrits, un procès éparpillé entre quatre juridictions...

« Trouver malgré tout la force d’aller de l’avant »

Après deux années d’audiences préliminaires pour le procès Eternit-bis, les familles de Casale Monferrato attendaient qu’on passe enfin aux audiences sur le fond pour juger Stephan Schmidheiny, le PDG suisse d’Eternit Italie, responsable de 3000 morts chez les ouvriers et la population de Casale Monferrato.

Le jugement scandaleux rendu par la juge Federica Bompieri le 29 novembre dernier les a déçues.

Les avocats du milliardaire suisse crient victoire

La magistrate a requalifié le chef d’accusation à la baisse : là où le Parquet de Turin avait vu une « faute délibérée  » d’une particulière gravité, elle ne voit plus qu’une «  faute non intentionnelle  » avec circonstances aggravantes.
« C’est une grande victoire, a dit Alstolfo Di Amato, avocat du milliardaire suisse. L’accusation monstrueuse d’avoir volontairement provoqué tant de morts s’écroule » .

L’AFeVA, l’association des victimes italiennes, en accord avec les organisations syndicales (CGIL, CISL et UIL) s’est indignée : « Deux années d’attente, pour un tel résultat ! Dire que la montagne accouche d’une souris serait encore au-dessous de la réalité ! »

L’AFeVA dénonce l’abandon de la qualification de « faute délibérée »   : « Il est clair pour tout le monde - sauf malheureusement pour cette magistrate - que Stephan Schmidheiny, bien qu’il ait eu pleinement conscience que le travail de l’amiante allait causer des morts a continué comme si de rien n’était. La mort de centaines, voire de milliers de personnes, a été considérée par le propriétaire d’Eternit comme un « coût nécessaire » au nom du profit ».

Des victimes effacées comme par un coup d’éponge

Après cette requalification, trois dossiers qui devaient être jugés se retrouvent prescrits.

L’Afeva s’indigne de voir ces victimes effacées, « comme par un coup d’éponge sur une ardoise  » par « un délai de prescription absurde qui protège l’auteur d’un crime sans prendre en considération le point de vue de sa victime   ».

Un procès coupé en quatre

La juge Federica Bompieri, a opéré un véritable démembrement du procès  : sur 258 plaintes, elle n’en conserve que deux à Turin où elles seront plaidées sur le fond le 17 juin 2017.

Elle considère que la juridiction de Turin est incompétente pour tous les autres qu’elle redirige vers trois tribunaux : 8 personnes à Naples (les victimes de Bagnoli), 2 à Reggio Emilia (les victimes de Rubiera en Emilie) et les autres (les victimes de Casale Monferrato) à Vercelli. 

Dans ces trois tribunaux ; les audiences préliminaires reprendront à zéro ! « C’est une faillite dans l’administration de la Justice, a dit Sergio Bonetto, l’un des avocats des victimes.

« Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? »

Les victimes de Casale Monferrato avaient déjà subi un premier électrochoc le 19 novembre 2014, lorsque la Cour de cassation avait déclaré prescrits tous les dossiers du premier procès Eternit engagé contre Schmidheiny pour «  catastrophe environnementale  », alors que le milliardaire suisse avait été condamné à 16 et 18 ans de prison en première instance puis en appel.
Dans le procès Eternit-bis pour « homicide volontaire  », les victimes casalaises ont encaissé un second coup très dur. Mais cela n’entamera pas leur volonté de continuer.

« Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? On pleure ? On s’enfuit en dénonçant la faute des pouvoirs publics, des juges et des avocats ? Non, on va de l’avant ! », écrit Silvana Mangano dans un article de la Stampa.

Cela résume bien l’état d’esprit des victimes de Casale Monferrato.

Continuer le combat pour nos morts et pour l’avenir de nos jeunes.

Certes le procès Eternit-bis est retardé, éclaté en quatre juridictions. Il faudra du temps pour photocopier et transmettre les milliers de pièces réunies à Turin. Mais « l’important, c’est que ce procès aura lieu » souligne le procureur Guariniello.

Nous sommes prêts à «  déployer quatre fois plus d’énergie  », explique Giuliana Busto, la nouvelle présidente de l’AFeVA,

« Tout n’est peut-être pas négatif dans le fait que les dossiers soient répartis en quatre juridictions différentes », note un communiqué de l’association.
Quand les audiences préliminaires reprendront à Naples, Reggio Emilia et Vercelli, les juges auront la possibilité d’avoir un autre avis que la juge de Turin.

Dans le procès Olivetti à Ivrea, une douzaine d’administrateurs ont été condamnés à des peines de prison. Cela montre que « les juges italiens peuvent prendre des décisions favorables dans des délais raisonnables, lorsque le nombre de plaignants est réduit. » Le chemin vers la justice sera encore long et difficile, mais l’AFeVA dit son espoir que « ces procédures aujourd’hui séparées soient un jour réunies par une victoire commune ».

« Nous continuerons à lutter pour la justice, a dit Titti Palazzetti, maire de Casale, non seulement pour les morts de cette tragédie, mais aussi pour l’avenir de nos jeunes »