Ce que veulent les victimes de l’amiante
Monsieur le Président,
L’amiante a brisé notre santé et nos vies. Des dizaines de milliers d’entre nous ont disparu, laissant des familles endeuillées par des maladies évitables.
Si nous nous adressons à vous, au lendemain de votre élection, c’est pour vous demander d’écouter nos souffrances et notre colère et de prendre en compte nos demandes légitimes.
Les cancers de l’amiante sont des maladies graves.
Des avancées récentes ont eu lieu dans la compréhension des mécanismes fondamentaux de ces cancers et de nouvelles pistes thérapeutiques se sont ouvertes, notamment en immunothérapie.
L’’Etat doit financer la recherche sur le mésothéliome et les réseaux de centres experts cliniciens et anatomo-pathologistes.
Des anticancéreux innovants existent. Mais les groupes pharmaceutiques imposent des prix exorbitants déconnectés de leurs coûts de production réels. Il faut encadrer ces prix pour garantir l’égalité dans l’accès aux soins.
Le malade atteint d’un cancer de l’amiante ou d’une asbestose grave ainsi que sa famille doivent être soutenus et accompagnés tout au long du parcours de soins et particulièrement en fin de vie.
L’annonce d’une maladie grave ou d’un décès doit se faire dans le respect du patient et de ses proches (comme le prévoit l’article 40 du plan cancer).
Si le cancer broncho-pulmonaire est de sombre pronostic, c’est qu’il est souvent détecté à un stade tardif, quand il a déjà métastasé. L’étude américaine NLST montre qu’un suivi par scanners rapprochés réduit la mortalité pour ce cancer. Une étude sur la cohorte ARDCO montre un sur-risque de mésothéliome et de cancer bronchique chez les porteurs de plaques pleurales.
Ces données épidémiologiques récentes devraient conduire à actualiser le suivi médical des personnes qui ont été exposées dans leur travail à des cancérogènes pulmonaires. Ce suivi est réglementaire mais reste l’exception alors qu’il devrait être la règle.
L’Andeva demande une révision du protocole de suivi, avec un scanner, des épreuves fonctionnelles respiratoires et un examen clinique tous les deux ans. Les porteurs de plaques pleurales doivent être inclus dans le protocole. Ce suivi doit être organisé, avec reconvocation périodique des personnes concernées.
L’argent ne remplacera jamais une santé ou une vie perdue. Mais nous sommes en droit d’exiger que nos indemnisations soient équitables.
La société a une dette vis-à-vis de celles et ceux qu’elle n’a pas su protéger.
L’indemnisation n’est pas un privilège. C’est un droit.
Or les sommes accordées par les tribunaux aux victimes, aux ayants droit et aux personnes exposées connaissent une baisse importante et incompréhensible.
L’Etat doit montrer l’exemple : en relevant l’indemnisation Fiva des préjudices extrapatrimoniaux, inchangée depuis 9 ans, alors que celle du préjudice fonctionnel a suivi la hausse des prix.
Le cancer du larynx et le cancer de l’ovaire, dont l’origine « amiante » a été confirmée par le Centre international de recherches sur le cancer (CIRC) doivent être inclus dans le tableau 30 de maladies professionnelles. Ce tableau devrait aussi concerner les fibres céramiques, qui provoquent les mêmes maladies que l’amiante.
Les pacsé-es et concubin-es de la Fonction publique n’ont pas droit à la rente maladie professionnelle, contrairement à ceux qui partagent la vie d’un salarié affilié au régime général ou au régime agricole. Il faut en finir avec cet archaïsme inégalitaire.
Une « pré-retraite amiante » (l’Acaata) a été instaurée en 1999 pour compenser la perte d’espérance de vie des personnes qui ont inhalé ces fibres cancérogènes. Dans le privé elle s’applique aux malades reconnus et aux personnes exposées dans un établissement inscrit sur une liste. Mais pas aux sous-traitants. Une injustice que la loi devrait corriger.
En cas de décès d’un allocataire, sa veuve devrait dans tous les cas avoir droit au capital décès et pas seulement quand une maladie professionnelle est reconnue.
La « pré-retraite amiante » a été étendue aux malades reconnus des trois fonctions publiques. C’est une avancée. Il faudrait, comme dans le privé, l’étendre aux agents exposés dans certains établissements.
Les malades de l’amiante sont nombreux chez les artisans, mais, pour eux, ce dispositif n’existe pas, alors qu’ils sont parmi les plus exposés, les moins informés et les moins protégés. Il faut qu’ils puissent en bénéficier.
Les victimes et leurs familles veulent que tous les responsables de la catastrophe sanitaire de l’amiante soient jugés.
Tous les responsables et pas seulement ceux « du bas de l’échelle » ! Il faut juger les industriels qui ont sciemment prolongé l’utilisation d’un matériau qu’ils savaient mortel, les décideurs politiques et la haute administration qui ont laissé faire et les lobbyistes du Comité permanent amiante qui ont milité contre l’interdiction.
Si nous demandons ce procès, ce n’est pas esprit de vengeance mais pour que toutes les leçons de cette catastrophe soient tirées et que nos enfants ne connaissent jamais plus de telles tragédies.
20 ans après le dépôt des premières plaintes, les 100 000 morts de l’amiante n’ont toujours ni responsable ni coupable. Une trentaine de dossiers sont en cours d’instruction. Aucun n’a encore été renvoyé en correctionnelle.
Certes l’instruction incombe aux magistrats, mais l’État a le devoir de leur donner les moyens matériel et légaux de faire leur travail. Son rôle est de lever les obstacles qui se dressent, chaque fois qu’il s’agit de juger les responsables d’une catastrophe sanitaire.
L’instruction ne peut pas, ne doit pas durer 20 ans. Les délais doivent être encadrés. Les responsables disparaissent les uns après les autres. Il n’y aura bientôt plus personne à juger.
Le code pénal n’est pas adapté pour juger des catastrophes sanitaires. Elles ont une dimension collective et ne peuvent se réduire à une somme de cas individuels. Elles touchent la population et l’environnement et ne peuvent se réduire à de simples délits du travail. Ce ne sont pas des homicides accidentels commis « sans le vouloir » mais des crimes industriels délibérés.
A la différence d’un homicide volontaire classique, ils ne résultent d’une volonté de tuer tel ou tel, mais de décisions et d’orientations délibérées, prises par des décideurs économiques, en pleine conscience des dégâts humains et environnementaux qu’elles impliquent. Ces crimes industriels devraient être instruits, jugés et sanctionnés en tenant compte de ces spécificités et de la gravité des fautes commises.
Vingt ans après l’interdiction il reste encore en France 20 millions de tonnes d’amiante disséminées dans les maisons individuelles, les HLM et les bâtiments publics (écoles, hôpitaux, gymnases, piscines).
Cet héritage de la période du « tout amiante » pose un problème majeur de santé publique et constitue une menace pour les générations futures.
La prévention du risque amiante implique une politique volontariste, inscrite dans la durée et basée sur trois principes : la transparence, l’éradiction programmée et la gestion prospective des déchets.
Savoir où est l’amiante et dans quel état doit être possible pour toute personne concernée, qu’il s’agisse d’un salarié, d’un parent d’élève ou d’un intervenant.
Le Professeur Got avait proposé en 1998 de créer un site Internet ouvert à tous où seraient accessibles les données essentielles des dossiers techniques amiante. Cette proposition est techniquement possible et financièrement réaliste. Elle permettrait un contrôle citoyen complétant et renforçant le contrôle des organismes de prévention.
L’Andeva demande l’élaboration d’un plan pluri-annuel d’éradication de l’amiante, décliné par région et par ville. Avec des objectifs prioritaires, remis à jour chaque année. Il faut commencer par les bâtiments qui reçoivent du public, et prioritairement par les écoles.
La gestion des déchets contenant de l’amiante n’est pas satisfaisante. Il faut organiser la collecte de l’amiante chez les particuliers sans frais supplémentaires.
L’Etat doit donner la priorité à l’inertisation sur l’enfouissement des déchets. La torche à plasma permet dès aujourd’hui de transformer l’amiante en matériau inerte. Il faut aussi impulser des recherches sur d’autres procédés d’inertisation, moins coûteux et moins consommateurs d’énergie.
Il n’y a pas de prévention efficace sans formation ni sanctions. L’Andeva demande une formation réellement qualifiante pour les désamianteurs. Les sanctions prévues par le code pénal pour ceux qui mettent en danger la vie d’autrui doivent être fortement alourdies.
Si l’amiante a été interdit dans l’Union européenne, il reste encore autorisé dans nombreux pays du monde. Les multinationales du secteur ont réorienté leurs exportations vers les pays en développement.
La France doit mener une politique internationale active pour étendre l’interdiction et informer les peuples sur les dangers de ce matériau mortel.
A Genève, où se sont réunis les représentants de 157 pays, l’inscription de l’amiante chrysotile sur la liste des produits dangereux de la Convention de Rotterdam s’est heurtée - pour la sixième fois en douze ans - au véto d’une poignée de pays exportateurs. 12 pays africains ont proposé qu’en cas de consensus introuvable, l’inscription d’un produit puisse être prise par 75% des pays participants. La France doit dès maintenant soutenir et faire avancer cette proposition pour éviter un nouveau fiasco à la réunion de 2019.
Espérant que vous voudrez bien prendre connaissance de ces demandes et y donner suite, nous vous prions, Monsieur le Président de la République, de recevoir l’expression de notre haute considération.
Pour le bureau de l’Andeva,
Le Président :
Jacques Faugeron
Article tiré du Bulletin de l’Andeva N°54 (mai 2017)