Au lendemain de la victoire judiciaire de la famille Jonckheere contre Eternit, une discussion a été relancée au Parlement belge sur l’amélioration des conditions d’indemnisation des victimes de l’amiante par le fonds d’indemnisation (AFA).

Dans ce cadre Serge Moulinneuf et Alain Bobbio, membres du bureau de l’Andeva, ont été invités le 4 juillet à Bruxelles par la Commission des affaires sociales pour présenter l’indemnisation par le FIVA en France qui est nettement plus favorable.

Le Fonds d’indemnisation belge (Afa) a été créé par une loi programme du 27 décembre 2006. Son existence est d’abord le fruit d’une longue bataille menée par l’Abeva, l’association belge des victimes de l’amiante. Elle a permis d’indemniser les victimes environnementales qui n’avaient droit à rien et d’apporter un complément à l’indemnisation des victimes reconnues en maladie professionnelle.

Sa création fut donc une incontestable avancée dans le contexte belge. Mais le législateur est allé beaucoup moins loin que ne l’aurait souhaité l’Abeva.

Belgique - France : les différences

A la différence du FIVA, le Fonds belge n’a pas été doté d’une personnalité juridique propre : l’Afa a été créée au sein du Fonds des maladies professionnelles (FMP) dont il est l’une des activités.

L’Afa et le Fiva indemnisent à la fois des victimes professionnelles et environnementales, mais le Fonds maladies professionnelles n’indemnise pas les travailleurs indépendants.

L’indemnisation de l’Afa est forfaitaire comme celle des maladies professionnelles : l’évaluation du montant de l’indemnisation est globale, alors que le FIVA indemnise chaque poste de préjudice, comme le font les tribunaux, en appliquant le principe de la réparation intégrale de tous les préjudices.

Les victimes

L’Afa verse aux victimes une indemnisation mensuelle (1500 euros par exemple pour un mésothéliome) indexée sur la hausse des prix (La rente versée par le Fiva est indexée, mais pas les préjudices personnels).

1500 euros mensuels, c’est loin d’être négligeable, mais, pour des maladies à évolution fatale rapide, le nombre de versements est limité. D’où une indemnisation totale inférieure au Fiva.

Contrairement au Fiva, l’Afa ne prend en charge ni les plaques pleurales, ni le cancer bronchopulmonaire (pourtant reconnus en maladie professionnelle en Belgique) ni le cancer de l’ovaire (voir tableau ci-dessus).

En fait les pathologies indemnisées par l’Afa se limitent au mésothéliome, à l’asbestose pulmonaire et aux épaississements diffus si les deux poumons sont atteints. Ils sont alors assimilés à une asbestose.

Les ayants droit

Pour l’Afa, les ayants droit sont le conjoint, le concubin et les enfants encore à charge de leurs parents.

Pour le Fiva, la notion d’ayant droit est beaucoup plus large, puisqu’elle inclut le conjoint, pacsé ou concubin, les enfants (sans restriction), les parents, frères et soeurs et petits-enfants.

L’Afa verse un capital aux ayants droit au moment du décès : environ 37 000 euros pour la (le) partenaire-épouse, environ 30 000 pour les enfants ayant droit et environ 20 000 pour l’ex-partenaire (http://www.fedris.be/afa/faq7fr.html)

L’immunité civile des employeurs

Une victime belge perd le droit d’engager une action judiciaire contre l’employeur fautif, dès lors qu’elle a été indemnisée. L’Abeva a maintes fois dénoncé cette « immunité civile » des responsables.

En France, la personne indemnisée conserve la liberté d’ester en justice contre l’employeur, au civil et au pénal, sans toutefois pouvoir être indemnisée deux fois des mêmes préjudices.

Le Fiva lui-même dont le financement par la collectivité des employeurs est mutualisé doit, chaque fois que possible, engager une action récursoire contre l’employeur fautif afin de mettre l’indemnisation à sa charge.

En Belgique, pour faire condamner un employeur il faut démontrer qu’il a commis une « faute intentionnelle ». C’est une notion beaucoup plus restrictive que la « faute inexcusable de l’employeur ». Cette démonstration est difficile, voire impossible. Les procès sont rarissimes.

Le financement

Comme l’Afa est intégré dans le fonds maladies professionnelles (FMP), il est alimenté pour moitié par les cotisations des employeurs et pour moitié par l’Etat.

Le 26 avril dernier, le gouvernement a voté une loi divisant par deux la contribution des employeurs pendant 3 ans. La loi régularise aussi la situation de l’État qui n’a pas payé sa part pendant 2 ans, tout cela au motif que le fonds avait un excédent de 89 millions d’euros !

L’Abeva a dénoncé ce cadeau fait aux patrons et ce hold-up sur les réserves alors que de nombreux besoins ne sont pas encore couverts !

Pour mémoire, le Fiva est financé par la branche AT-MP de la Sécurité sociale qui est alimentée essentiellement par les cotisations des employeurs et de façon très minoritaire par l’Etat.

Combien de victimes indemnisées ?

En 2016 l’Afa a indemnisé 251 victimes. La même année, le Fiva en indemnisait plus de 4000.

Certes, la Belgique est 6 fois moins peuplée que la France. Mais, en proportion du nombre d’habitants, le Fiva indemnise 2,5 fois plus de victimes que l’Afa, alors que la Belgique est en tête de tous les pays européens pour le tonnage d’amiante importé par habitant. Cela en dit long sur la sous-déclaration et la sous-indemnisation de ces maladies.

Pour en savoir plus

- le site de l’Abeva : http://www.abeva.eu/index.php?lang=fr

- le site de l’AFA avec les FAQ : http://www.fedris.be/afa/faqfr.html

 


Serge Moulinneuf et Alain Bobbio :
« Nous avons trouvé une écoute attentive chez des députés belges de tendances très diverses »

Des diapos sur le Fiva

« J’ai pu présenter un diaporama sur les critères d’indemnisation des victimes françaises par le Fiva, explique Serge Moulinneuf, un des deux représentants de l’Andeva au conseil d’administration de ce fonds.
Ces critères sont beaucoup plus favorables aux victimes en France qu’en Belgique.

Le Pr De Vuyst, chef d’un service de pneumologie depuis 40 ans, était, lui aussi, auditionné.

Il a souhaité que l’AFA indemnise désormais le cancer bronchopulmonaire et prenne en charge les maladies des indépendants. Il a aussi souligné l’importance des contaminations environnementales autour de l’usine Eternit de Kapelle.

Mme Catherine Fonck a demandé l’élargissement aux cancers du larynx et des ovaires.

Les députés présents nous ont posé beaucoup de questions sur le Fiva. Plusieurs d’entre eux ont proposé des améliorations.

Mme Van Peel a souhaité que le délai de prescription ne soit pas un obstacle à l’indemnisation. Elle a déclaré que l’immunité civile accordé aux employeurs était « immorale », en soulignant que la liberté d’ester en justice contre les responsables était essentielle non seulement pour les victimes et leurs ayants droit mais aussi pour éviter que de tels préjudices ne se reproduisent.

Mme Gerkens a regretté qu’il n’y ait pas l’équivalent de la « faute inexcusable de l’employeur » en Belgique.

Ces prises de positions étaient aux antipodes de celles d’un ancien responsable du Fonds maladies professionnelles auditionné qui a présentait l’immunité comme une « garantie de paix sociale » !

Indemniser le cancer bronchopulmonaire

« Le débat a été très intéressant, note Alain Bobbio. Nous avons trouvé une écoute attentive chez des députés flamands et wallons de tendances très diverses.
J’ai rappelé que, pour les victimes, l’indemnisation n’était pas un privilège mais un droit. Leurs préjudices étaient évitables. La société a une dette vis-à-vis de ceux qu’elle n’a pas su protéger.
Serge et moi avons insisté sur quelques points essentiels dans nos présentations et dans le débat :
- la reconnaissance des cancers bronchopulmonaires liés à l’amiante : La situation en Belgique est illogique et injuste, puisque cette maladie est prise en charge par le Fonds maladies professionnelles et pas par le Fonds « amiante » ;
- l’importance des victimes environnementa­les, autour de sites industriels comme Eternit Kapelle en Belgique ou le CMMP d’Aulnay-sous-bois en France ;
- le sur-risque de cancer chez les porteurs de plaques pleurales démontré par une étude récente.
Nos amis belges de l’Abeva ont fait un travail formidable dans des conditions difficiles, hier pour obtenir la création de ce fonds et aujourd’hui pour l’améliorer.
Il ne semble pas impossible qu’ils arrachent cette fois-ci la prise en charge du cancer bronchopulmonaire par l’Afa.
Ce serait une belle avancée à laquelle nous serions heureux d’avoir pu apporter notre petite contribution ».