Dans un article précédent nous avons vu qu’il existait, parallèlement au système des tableaux de maladies professionnelles, un système complémentaire permettant d’une part un rattrapage, si les critères du tableau ne sont pas remplis (liste limitative des travaux, délai de prise en charge, durée d’exposition) et d’autre part d’instruire les maladies hors tableau.

Nous avons vu également que dans ce cadre le dossier était soumis à l’avis du Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) qui se prononçait alors soit sur un lien direct entre la pathologie en question et le travail effectué auparavant (alinéa 3 de l’article L 461-1 du Code de la sécurité sociale) soit sur un lien direct et essentiel s’il s’agissait d’une maladie hors tableau (alinéa 4).

En 2015, près de 8 000 avis favorables ont été donnés par les CRRMP, majoritairement au titre de l’alinéa 3, puisque la part d’avis concernant l’alinéa 4 n’est que d’un dixième.

Parallèlement plus de la moitié des demandes ont fait l’objet d’un avis défavorable.

On comprend dans ces conditions que cela génère un contentieux conséquent, sachant qu’en cas d’avis défavorable (qui s’impose à la caisse) l’affaire peut être portée devant la Commission de recours amiable (CRA), puis au niveau du Tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS).


Le TASS, auquel l’avis du CRRMP ne s’impose pas, doit néanmoins soumettre l’avis du dossier à un autre CRRMP avant de prononcer un jugement définitif (article R 142-24-2 du Code de la sécurité sociale).

Le contentieux peut porter sur la procédure, mais il est préférable qu’il porte sur le fond.

2 ou 3 membres ?

En 2012 les médecins inspecteurs du travail refusent de siéger dans les CRRMP car ils réclament que leur prestation soit rémunérée. Ce mouvement va durer un certain temps avec comme conséquence qu’un certain nombre d’avis des CRRMP n’ont été donné que par 2 membres au lieu de trois.
La contestation de la validité des avis défavorables a alors été possible, mais ces procédures ont connu des fortunes diverses, ne résolvant pas de toute façon le problème de fond.

Un décret paru en juin 2016 stipule que pour les dossiers relevant de l’alinéa 3 « le comité régional peut régulièrement rendre son avis en présence de deux de ses membres ».

Quels délais pour statuer ?

Dans l’instruction des dossiers susceptibles d’être soumis au CRRMP les caisses ont souvent du mal à respecter les délais de procédure (3 mois plus 3 mois) et ils leur arrivent souvent de prononcer un refus provisoire à la fin du délai imparti, dans l’attente de l’avis du CRRMP.

La victime peut alors se prévaloir d’une reconnaissance implicite de sa maladie professionnelle en l’absence de l’avis du CRRMP d’autant que l’on constate assez régulièrement que le dossier validé est parvenu au CRRMP postérieurement au prononcé du refus conservatoire.

Le contentieux sur la reconnaissance implicite connaît des fortunes diverses, selon les juridictions et selon les régions, sachant que la prise de position de la Cour de cassation qui admet la validité du refus provisoire pèse lourd dans le débat.

Se battre sur le fond

Dès lors, la vraie bataille concerne le fond et pour la mener à bien il convient alors de répondre point par point aux arguments avancés par le CRRMP pour donner un avis défavorable. Si les juges du TASS sont tenus de soumettre le dossier à l’avis d’un autre CRRMP avant de prononcer un jugement définitif, ils restent libres après un 2ème avis défavorable, soit de donner gain de cause à la victime, soit de poursuivre l’instruction.

En encadré sont relatés deux exemples qui illustrent ces 2 différents positionnements des juges du TASS.

Dans le cadre de dossiers relevant de l’alinéa 4 (maladie hors tableau), il arrive que le CRRMP tout en admettant qu’il peut y avoir un lien direct entre la maladie et le travail effectué, refuse à caractériser ce lien comme essentiel en invoquant un facteur extraprofessionnel interférant (par exemple le tabac dans la broncho-pneumopathie chronique obstructive ou BPCO).

Cette difficulté peut être levée à partir du raisonnement suivant. L’article L 461‑1, 2ème alinéa, stipule : « Est présumée d’origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractées dans les conditions mentionnées à ce tableau ».

Dès lors qu’une maladie est désignée dans un tableau (par exemple BPCO du mineur de fer, tableau n°94) même si a priori il s’agit d’une maladie hors tableau (par exemple BPCO chez un ouvrier sidérurgiste), il est licite de la rattacher à ce tableau, étant entendu que le traitement du dossier va relever de l’alinéa 3, puisque la liste limitative des travaux susceptibles de provoquer la maladie ne fait pas mention de ce type d’exposition.

Cette interprétation a été récemment homologuée par la Cour de cassation (arrêt n°14-12441 du 12.03.2015, 2ème chambre civile, disponible sur le site internet Légifrance). C’est un appui important dans les contentieux concernant le passage de l’alinéa 4 à l’alinéa 3.


DEUX CAS DE LYMPHOME MALIN
en liaison avec une exposition au trichloroéthylène.

Le lymphome malin non hodgkinien n’est pas mentionné dans les tableaux des maladies professionnelles, mais les études épidémiologiques ont identifié notamment comme facteurs de risque le benzène et le trichloroéthylène. Pour le faire reconnaître en maladie professionnelle il faut soumettre le dossier au CRRMP dans le cadre de l’alinéa 4 (maladie hors tableau).

Premier cas

Un salarié a travaillé sur une plate forme chimique durant sa carrière professionnelle, l’exposant à de multiples produits chimiques toxiques. Il décède d’un lymphome malin non hodgkinien.

Le premier CRRMP admet une exposition à des toxiques (benzène, hydrocarbures aromatiques) mais ajoute que « les éléments épidémiologiques actuellement connus ne permettent pas de rattacher clairement à ces expositions ».

Devant le tribunal (TASS) nous rappelons que Monsieur B. a été exposé à plusieurs cancérogènes susceptibles de provoquer un lymphome malin non hodgkinien (dioxine émanant des incinérateurs de déchets, solvants chlorés et notamment trichloroéthylène, benzène) et nous fournissons un certain nombre de données bibliographiques en faveur d’un lien.

Le dossier est soumis à un autre CRRMP qui reconnaît qu’il existe « un certain nombre d’éléments en faveur d’une tendance entre la survenue de cette pathologie et l’exposition à ces différents toxiques », mais il ajoute : « Cependant la plupart des études épidémiologiques effectuées dans le secteur de l’industrie chimique et pétrolière ne permettent pas à ce jour d’établir une association significative entre lymphome non hodgkinien et activité professionnelle dans le milieu de la pétrochimie ».

Nous répondons alors que la pétrochimie comporte de multiples postes différents avec des expositions différentes et ce n’est pas parce que ne se dégagent pas pour l’ensemble des salariés des données probantes qu’il faut nier les expositions spécifiques qu’a subi la victime durant sa carrière.
Le tribunal nous donne raison malgré les deux avis des CRRMP défavorables. L’employeur fait appel. La Cour d’appel diligente une expertise qui conclut au lien entre entre le lymphome non hodgkinien et l’exposition aux solvants chlorés, notamment au trichloroéthylène.

Deuxième cas

Un salarié ayant travaillé dans l’industrie du nucléaire est atteint d’un lymphome non hodgkinien dont il est décède. Les expositions incriminées concernent essentiellement les solvants chlorés (trichloroéthylène) et le benzène.

Le premier CRRMP conclut que les données actuelles de la science ne permettent pas de retenir l’existence d’un lien de causalité direct et essentiel. Dans la procédure devant le TASS le dossier est soumis à l’avis d’un autre CRRMP qui donne également un avis défavorable avec comme motif que « les données bibliographiques actuelles ne permettent pas de considérer comme professionnel les lymphomes d’origine multifactorielle ».

Nous faisons une réponse circonstanciée en nous appuyant sur les données du Centre international de recherche contre le cancer (CIRC) qui en 2012 admet une association positive entre l’exposition au benzène et le lymphome non hodgkinien et en 2013 entre l’exposition au trichloroéthylène et le risque de lymphome non hodgkinien.

Le tribunal diligente alors un troisième CRRMP qui conclut à un lien direct et essentiel entre la pathologie dont est décédé la victime et son activité professionnelle : « Il y a des preuves épidémiologiques suffisantes d’un excès de risque de lymphome non hodgkinien tous types confondus, associé à l’exposition au trichloroéthylène et les données disponibles sont en faveur du caractère causal de cette association ».