« Circulez, il n’y a rien à voir et personne à juger ! », tel est le message que les juges d’instruction ont adressé en juin dernier à des victimes et des familles endeuillées par l’amiante.

Soutenus par le Parquet, ils veulent clore l’instruction d’une vingtaine de dossiers dont ceux d’Eternit, Valeo ou Everite (Saint-Gobain), non pour renvoyer les responsables en correctionnelle - comme cela aurait dû être fait depuis très longtemps - mais pour prononcer des non-lieu.

Motif invoqué : la « date d’intoxication » par l’amiante étant incertaine, ils sont dans l’impossibilité « réunir des charges qui pourraient être imputées à quiconque des chefs d’homicide ou blessures involontaires. »

Autrement dit, même si des fautes graves ont été commises dans ces usines où on a fait travailler des salariés dans des nuages de fibres mortelles et même si les dommages se comptent en milliers de morts évitables, il ne sert à rien de continuer à chercher des responsables, puisque le lien entre la faute personnelle de chaque inculpé et le dommage ne pourra jamais être établi !

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100 000 morts annoncées, 21 ans d’instruction pour en arriver là ! C’est un véritable naufrage de l’institution judiciaire.

Au nom du Droit on bafoue la Justice des êtres humains.

« Ce n’est pas normal que ceux qui ont transformé notre bonheur en torture quotidienne ne soient pas jugés pour leurs actes », a dit une veuve de Thiant à un journaliste. Ces mots simples et poignants disent l’écoeurement et l’humiliation vécus par les victimes qui mènent ce combat depuis deux décennies.

L’Andeva et la Fnath ont dénoncé ce scandale judiciaire. Elles iront en appel, voire en cassation si des non-lieu sont prononcés.

La partie est loin d’être perdue. Nous avons des arguments pour nous battre sur le terrain de la Science et du Droit.

Les magistrats n’ont manifestement pas lu ou pas compris l’expertise scientifique qu’ils ont demandée. Ils se ridiculisent en lui faisant dire le contraire de ce qu’elle dit.

Les experts soulignent que les pathologies de l’amiante résultent non d’un événement ponctuel, mais d’un processus cumulatif qui s’étend du début à la fin d’une période d’exposition à l’amiante. 

Ils précisent bien que pour un cancérogène sans seuil d’innocuité comme l’amiante, les périodes d’exposition, de contamination et d’intoxication coïncident.

La recherche de responsabilités n’est donc pas mission impossible, dès lors que la période d’exposition, la réalité des fautes et l’identité des auteurs sont établis.

Le nombre effrayant de victimes ayant travaillé au même endroit, dans les mêmes conditions et durant la même période renforce la démonstration d’un lien entre la faute et le dommage.

L’argumentaire juridique des juges et du Parquet est gravement erroné (voir p. 4-5).

On se bornera ici à souligner l’extrême gravité de ses conséquences.
L’accepter serait délivrer un véritable « permis de tuer » aux auteurs de ce crime industriel.

Le raisonnement des juges sur la « date introuvable » est si général qu’il peut s’appliquer aujourd’hui à l’amiante, et demain à tous les produits à effets différés (cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction).
L’heure est grave. Les victimes du travail, les syndicats, les citoyens épris de justice doivent donner de la voix.

Cette exigence sera au coeur de la manifestation nationale de l’Andeva le 13 octobre à Paris.

A l’origine, nous avions choisi comme thème de cette manifestation la question de l’amiante dans les écoles. La présence de ce matériau, fréquemment dégradé, met en danger les enfants, les enseignants et le personnel. Les lanceurs d’alerte se heurtent souvent au déni. Les mobilisations locales de parents et d’enseignants se multiplient (voir p. 18-19). C’est un problème majeur de santé publique en France et dans d’autres pays (voir p. 26-27).

Ce sujet sera évoqué lors de la manifestation du 13 octobre, mais l’importance de l’actualité judiciaire nous impose de donner la priorité au procès pénal.

Nous manifesterons donc avec une double exigence de Justice et de Prévention. Prévenir les risques, juger tous les responsables, les deux sont liés. Notre devoir est de protéger le présent et l’avenir de nos enfants.

Le 2 septembre 2017
Le CA de l’Andeva