La force d’un témoignage

On ne sort pas indemne de la lecture du livre de Virginie Dupeyroux.

Un livre à deux voix sur le vécu au jour le jour d’un cancer évitable par un travailleur victime de l’amiante et par sa fille qui l’accompagne.

Ce témoignage émouvant est un cri d’indignation contre les responsables d’une usine de broyage d’amiante d’Aulnay-sous-Bois qui a semé la maladie et la mort autour d’elle avec la bénédiction des pouvoirs publics.

Il dénonce aussi les errements et la suffisance d’une médecine qui oublie que le patient est d’abord un être humain qui a le droit au respect, le droit d’être acteur de sa maladie et de peser sur les choix thérapeutiques ; que les proches de ce patient ont, eux aussi, le droit d’être écoutés et informés.

C’est aussi un message d’espoir sur la résilience : on peut survivre aux épreuves de l’accompagnement et du deuil ; se reconstruire malgré les plaies qui restent ouvertes et passer d’un drame individuel à l’engagement dans un combat collectif, écrire et témoigner afin que d’autres ne revivent pas les mêmes épreuves.

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« Tu es né à Aulnay-sous-Bois, à l’été 1942. Au mauvais endroit, au mauvais moment... un moment qui dura plus de cinq décennies...

Tu as grandi sans le savoir, comme tous les amis d’enfance, près d’une usine de broyage d’amiante installée en pleine zone pavillonnaire.

Tu as quitté le Vieux Pays en 1961. Le cancer de l’amiante t’a rattrapé en juin 2014.

Paul, mon Père, mon meilleur ami. Travailleur, fraternel, libertaire, Juste. »

(Virginie Dupeyroux)

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« J’ai compris que je devais témoigner, pour les autres »

 

Pourquoi as-tu écrit ce livre ?

Pour donner la parole à mon père, afin qu’il témoigne des souffrances qu’il a endurées.

Pour mettre publiquement la honte sur la direction de cette usine d’amiante, faire en sorte qu’on parle du CMMP pour aider à retrouver et aider d’autres victimes.

Pour dénoncer le comportement de certains médecins tout au long de ce voyage au bout de l’enfer.

Ton livre évoque la catastrophe collective provoquée par cette usine.

Il y a aujourd’hui 234 victimes recensées par les associations. Et, derrière chacune d’elles, il y a une tragédie humaine. C’est grâce à la lutte des associations qu’elles ont été retrouvées.

Comment a été découverte l’origine de la maladie de ton père ?

Simone, la mère de Paul, avait eu un mésothéliome 36 ans avant lui. Paul avait vécu très douloureusement sa fin de vie et son décès. Nous n’avions aucune explication sur l’origine de leurs deux maladies.

Et puis, le 26 novembre 2014, dans la Nièvre, nous avons ouvert Aujourd’hui en France qui titrait en première page : « Aulnay-sous-Bois : empoisonnés sans le savoir ». Dans l’article, Gérard et Nicole Voide expliquaient que Pierre, le frère de Nicole, était décédé d’un mésothéliome. Il avait respiré les poussières d’une usine de broyage d’amiante, en fréquentant l’école du Bourg, près du CMMP. Il y a eu des reportages sur la 2 et sur FR3.

Le ciel nous est tombé sur la tête ! Aulnay était le berceau de ma famille paternelle. Nous n’avions jamais entendu parler de cette usine d’amiante.

Quand nous avons informé la pneumologue, elle a levé les yeux au ciel ! Selon elle, il était impossible de faire remonter la contamination à l’enfance de Paul, car le mésothéliome a un temps de latence de 20 à 40 ans entre exposition et maladie. Elle avait tort. Je sais aujourd’hui qu’il peut dépasser un demi-siècle...

Notre médecin de famille a été plus lucide. Pour lui, il n’y avait aucun doute. Paul était allé à l’école du Bourg, à quelques dizaines de mètres du CMMP. Simone habitait rue Pollet, tout près du CMMP. Elle passait tous les jours devant l’usine pour aller travailler...

Ma mère a trouvé le numéro de Gérard et Nicole Voide. Elle a téléphoné. Gérard lui a appris que dans la famille d’un copain d’enfance de Paul, plusieurs personnes avaient eu, comme lui, une maladie liée à l’amiante.

Ton livre contient des critiques très dures vis-à-vis du corps médical.

On nous a laissés seuls, sans nous écouter, et sans nous dire la vérité. On nous a caché qu’il existait d’autres choix thérapeutiques. La pneumologue était une personne froide, avare d’explications, qui nous regardait de haut comme si nous étions des citoyens de seconde zone.Elle m’a dit un jour : « Vous feriez mieux de soutenir votre père, plutôt que de pleurer. » Il y avait un manque d’humanité.

Comment trouver la force de continuer après l’épreuve de l’accompagnement et du deuil ?

J’avais une grande tendresse pour mon père. Je l’admirais. C’était un libertaire, un antimilitariste, un juste. Nous avions les mêmes goûts, les mêmes valeurs. Sa maladie et sa disparition ont été pour moi une épreuve terrible. J’avais l’impression d’avoir subi un viol moral. Je ne mangeais plus, ne dormais plus, j’avais du mal à rassembler mes idées, à parler. Je n’étais plus moi-même. J’ai eu la tentation de tout arrêter et de suivre mon père....

Un ami pasteur m’a dissuadée. Serge Moulinneuf de l’Adeva Centre m’a encouragée. J’ai décidé de continuer à vivre.

Une réunion publique des associations s’est tenue à Aulnay, le 13 mai 2016, huit mois après le décès de Paul. J’ai pris la parole pour témoigner. J’ai été très touchée par un geste d’affection d’Annie Thébaud qui m’a prise dans ses bras. J’ai senti que je pouvais rebondir, que mon témoignage pouvait être utile, que je pouvais m’investir pour éviter à d’autres de vivre les horreurs que nous avions vécues.

Je rends hommage aux lanceurs d’alerte - Gérard, Nicole, Henri Pézerat - qui ont eu le courage de combattre le déni et le mensonge. Aujourd’hui je suis adhérente de Ban Asbestos, de l’association Henri Pézerat et de l’Adeva Centre pour participer aux combats des victimes de l’amiante.

Les recettes du livre seront reversées aux trois associations.

STANLEY

C’était un bel épagneul breton. Un jour de février 2017, il est tombé raide, comme s’il était victime d’une crise cardiaque. Il avait un épanchement autour du coeur.

Opéré dans un hôpital vétérinaire, il a semblé récupérer de ce qu’on croyait être une péricardite chronique.

Puis, une rechute est survenue. La plèvre qui enveloppait ses poumons était pleine de liquide. Une ponction a confirmé le diagnostic de mésothéliome.

Stanley n’avait jamais mis les pattes à Aulnay, mais, dans le chenil où il avait grandi, toutes les toitures étaient en amiante-ciment.

Il a quitté ce monde, deux ans après Paul, emporté par la même maladie.