Alain Carré a été médecin du travail des IEG (ex EDF-GDF) pendant 35 ans. Retraité depuis dix ans ans, il anime la consultation de suivi médical post-professionnel mise en place dans le cadre des oeuvres sociales du Comité d’Entreprise (CCAS). Une consultation qui a peu d’équivalents dans d’autres entreprises. Fort de cette expérience, il nous fait part de ses réflexions sur la situation des victimes du travail dans les IEG
(voir le témoignage de Jacques Sourie en page 2)

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Quel est l’objet de la consultation de suivi médical post-professionnel ?

Elle a deux fonctions. La première est de permettre l’accès au suivi médical post professionnel, mis en place par les Cpam pour les salariés ayant été exposés aux cancérogènes avant leur retraite.

Dans ce cadre, à partir des fiches de postes officielles élaborées par les médecins Edf-Gdf et avec l’aide de mes connaissances dans les secteurs où j’ai travaillé, j’identifie, sous ma responsabilité, les expositions du retraité aux cancérogènes et j’en atteste en décrivant les tâches qui ont généré ces expositions.

Cela est rendu nécessaire du fait de l’absence fréquente d’attestation de l’employeur et/ou du médecin du travail qui conditionne réglementairement l’accès à ce suivi.
Il s’agit de permettre grâce à ces examens, une prévention secondaire, c’est-à-dire un diagnostic précoce d’un éventuel cancer pour obtenir les chances maximales de rémission. Faire obstacle à la réalisation de ces examens, fût-ce par abstention, constitue ce qu’il faut appeler une « perte de chance » pour la victime.

La deuxième fonction est, malheureusement, celle de rédiger, dès lors que survient une lésion, par exemple un cancer, que j’estime être en lien avec les expositions, le certificat médical initial (CMI).

Je guide également la victime dans le labyrinthe que constitue trop souvent la procédure de déclaration notamment du fait de l’enchevêtrement entre régime général et régime spécial des IEG.

Comment expliquez-vous l’absence fréquente de délivrance de l’attestation d’exposition aux cancérogènes par l’employeur et le médecin du travail ?

Pour les employeurs des industries électriques et gazières (IEG), dorénavant plus gestionnaires qu’ingénieurs, j’en suis réduit aux hypothèses.

Je suppose que leurs juristes leur instillent l’idée qu’attester constitue un danger, ce qui ne tient pas debout puisque les quelques attestations que j’ai pu consulter font grand cas des mesures de protection qui auraient été mises en place.

Pour les médecins du travail c’est moins compréhensible. Connaissant l’engagement de mes collègues, je ne peux pas croire qu’ils (elles) soient pusillanimes.

Un médecin du travail ne peut réglementairement ignorer les expositions passées puisqu’elles doivent être consignées dans le dossier médical et a fortiori les expositions actuelles puisqu’il est chargé de leur prévention.

Toutefois une lacune pourrait, pour les médecins récents, constituer un obstacle. En effet, les fiches de postes qui couvrent la totalité des postes anciens (jusqu’en 2008) étaient intégrées à l’ancien logiciel des services médicaux du travail ce qui permettait une traçabilité individuelle des expositions. Or, il semblerait que le nouveau logiciel ne les a pas intégrées.

C’est pourquoi j’ai personnellement remis un dossier documentaire, les incluant, aux délégués professionnels des médecins du travail des IEG. J’envisage également de les mettre, en accès contrôlé, sur un site internet.

Combien de déclarations de maladies professionnelles avez-vous accompagnées depuis dix ans ?

Pour les agents retraités en dehors de l’Ile-de-France, comme je ne les ai pas personnellement examinés, je ne peux rédiger de certificat mais je leur écris en identifiant leurs expositions à partir des éléments officiels listant leurs postes de travail.

Pour celles et ceux que j’ai examinés, J’ai rédigé quarante-quatre certificats médicaux initiaux (CMI) à l’appui de déclarations de maladies professionnelles.
Parmi celles-ci un petit nombre sont des déclarations de troubles musculo-squelettiques pour des retraités récents. La majorité concerne les expositions à l’amiante et une minorité les huiles minérales et le brai (quatre CMI), les solvants (deux CMI), les rayonnements ionisants (un CMI). Pour l’amiante j’ai rédigé vingt-six CMI (onze cancers broncho-pulmonaires, quatre mésothéliomes, un cancer laryngé, dix plaques pleurales).

Quelles difficultés les agents relevant du régime spécial des IEG rencontrent-ils en matière de reconnaissance ?

Outre l’absence de traçabilité individuelle, elles sont principalement liées à des procédures.

- La première est le partage de la procédure de reconnaissance-réparation entre la Cpam et la médecine de contrôle du régime spécial.

C’est la Cpam qui est chargée de reconnaitre la maladie professionnelle jusqu’à consolidation par le médecin conseil de la Cpam. Le premier délai est celui de la fixation de la consolidation qui peut être différée par le médecin conseil.
Dès que la maladie est consolidée, la Cpam doit informer l’employeur et le médecin conseil du régime spécial IEG et c’est ce dernier qui fixe le taux d’incapacité.

Il arrive souvent que la Cpam, par ignorance, ne fasse pas le lien avec le régime spécial ce qui diffère la fixation de l’incapacité. Mon conseil est l’envoi par l’agent en recommandé avec accusé de réception au médecin conseil de l’avis de consolidation dès qu’il est notifié.

- La deuxième difficulté est la minimisation de l’incapacité par rapport au barème par le médecin conseil IEG.

Elle impose le recours au tribunal du contentieux de l’incapacité (dorénavant tribunal de grande instance - Tgi)

La troisième difficulté con­cerne la procédure de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur (Fie). Elle doit être effectuée devant une commission accidents du travail - maladies professionnelles (at-mp) dépendant de la Caisse nationale des Ieg (Cnieg) qui refuse presque systématiquement la reconnaissance de la Fie. Cela diffère d’autant le recours au tribunal des affaires de sécurité sociale (Tass) remplacé dorénavant par le Tgi pour la faire reconnaître.

A ces difficultés, il faut ajouter, pour les actifs, le traitement identique de l’incapacité (At-mp) et de l’invalidité (maladie) dans le cadre du régime spécial. Si le médecin conseil ieg déclare que l’agent est dans l’incapacité de travailler, l’employeur prononce la mise à la retraite d’office alors même que la victime n’a pas toujours le nombre d’années nécessaires pour bénéficier du taux plein. Cela est récemment arrivé à un agent (dont la maladie avait été reconnue pour un cancer bronchopulmonaire lié à l’amiante).