Elle avait été juge durant dix ans au TGI de Créteil.
Dimanche 8 juillet, ma mère Françoise Bienvenu, s’est éteinte des suites de son mésothéliome pleural malin, quatorze mois après son diagnostic. À mes trois frères, présents à son chevet, elle a glissé un pudique « à demain », avant de disparaître dans l’ambulance qui la conduisait à l’hôpital Bichat pour une opération d’urgence, hélas infructueuse...
Si ma mère savait la gravité de son cancer, elle ne voulait pas inquiéter son entourage et nous priait de « ne pas trop croire à ce que l’on dit sur Internet sur les mésothéliomes ». Cette volonté de nous préserver, se doublait d’une foi inébranlable dans les progrès de la médecine et le professionnalisme des équipes de l’hôpital Gustave Roussy, à Villejuif. Après tout, sa chimiothérapie l’été dernier, lui avait permis de grimper les châteaux cathares au printemps. Elle avait même repris ses fonctions de juge à mi-temps, au tribunal d’Evry et pour un peu, elle aurait bien réenfourché son vélo pour s’y rendre… Difficile alors de ne pas croire à une rémission.
En mai, lorsqu’un scanner a révélé la rechute de la maladie, j’ai perdu tout espoir. Je m’en cachais au mieux pour ne pas entamer l’enthousiasme de ma mère, très volontaire à l’idée de démarrer une immunothérapie expérimentale. Quelques semaines après le début de ce nouveau traitement, son souffle se faisait plus court, pis, son état de santé s’est soudainement dégradé.
L’an dernier, lorsque le verdict est tombé, nous avons été stupéfaits. Nous pensions nous être déjà acquittés de notre tribut, avec le décès de notre frère aîné, emporté à l’âge de vingt-cinq ans par une rarissime mastocytose cancéreuse.
Puis, l’incompréhension nous a envahis, mes frères cadets et moi. Quoi ? « Un cancer de l’amiante » ? Comment est-ce donc possible ? Où cette magistrate diligente et bienveillante - à laquelle les prévenus envoyaient d’émouvantes lettres de remerciement - avait-elle bien pu l’attraper ? Nos soupçons se sont d’abord portés sur la maison familiale, notre pavillon de banlieue. Résultats négatifs. Si ce n’est pas le domicile, c’est sans doute le lieu de travail ? Et c’est là, que mon frère Thomas a découvert ce qui semble une piste sérieuse : le Tribunal de Créteil, où ma mère a siégé de 1992 à 2002, en tant que première juge de l’application des peines (avec un bref passage aux « baux commerciaux »).
Nous le connaissions bien ce fameux « TGI », nous nous amusions à en reconnaître la silhouette depuis les fenêtre du RER D. Mais loin étions-nous, alors, de soupçonner que ce colosse en béton, à l’ascenseur panoramique fascinant, renfermait des fibres d’amiante en quantité affolante. Cette salle des pas perdus où, enfants, nous avons célébré les joyeuses fêtes de Noël du Comité d’entreprise, en contenait-elle aussi ? Et dire qu’il suffit d’une fibre…
L’an dernier, à mesure que nous retournions « la Toile » pour en savoir plus sur l’amiante au Palais de justice de Créteil, nous avions interrogé notre mère sur ses bureaux d’alors. Tiens, son séjour correspondait effectivement à la période de latence de son cancer s’est-on dit...
Puis nous avons changé de sujet. De l’amiante au TGI de Créteil ? Nous en ignorions tout. Jamais n’avait-on jugé opportun d’informer ceux qui fréquentaient le palais de justice sur les risques liés à la présence d’amiante dans les locaux.
D’après ce que je sais, ma mère n’a jamais consulté de médecin du travail. Une greffière, alors que nous déménagions le bureau de notre défunte au tribunal d’Evry, nous a confirmé que le médecin du travail au TGI de Créteil était pour ainsi dire inexistant. Et si c’était-elle la prochaine victime ? Quand je croise des collègues de ma mère, je ne peux m’empêcher de croire à l’éventualité.
Comment se fait-il que vingt-et-un ans après le signal d’alerte donné à Créteil, le désamiantage complet n’ait toujours pas eu lieu eu égard aux risques encourus, particulièrement élevés ?
Pourquoi l’amiante semble-t-elle un sujet tabou au sein de la Justice et de la fonction publique en général ?
Combien de morts faudra-t-il encore pour prendre les mesures de prévention nécessaires ?
Hélène Bienvenu