Ils s’appellent Cécile, Gwenael, Cyril, Raphaelle, Jean-Noël... Les anciens et nouveaux profs du Lycée Georges Brassens de Villeneuve-le-Roi forment une équipe soudée par de longs mois de lutte pour défendre la santé du personnel et des élèves contre le déni et les mensonges. Ils nous en parlent.
Peux-tu nous présenter en quelques mots le lycée Georges Brassens ?
Jean-Noël (SNES) : Il a été construit en 1962. Il abrite 991 élèves et une centaine de membres du personnel. La région Ile-de-France est propriétaire des locaux et le rectorat de Créteil gère l’activité scolaire.
Comment avez-vous été informés de la présence d’amiante ?
Jean-Noël : Dès 1997 la réglementation imposait à la Région un repérage des flocages amiantés. Nous n’en avons pas retrouvé trace. Par contre un repérage daté de novembre 2007 évoque une « suspicion » d’amiante dans les flocages.
Entre 2007 et décembre 2015, malgré l’importance du risque potentiel, la Région n’a pas diligenté les analyses qui lui auraient permis de lever les doutes sur la nature des flocages.
En février 2016, de plus en plus inquiets, les enseignants ont exercé leur droit de retrait. Se basant sur un rapport erroné, la Région a répondu qu’il n’y avait pas d’amiante.
Il a fallu que les profs exercent une nouvelle fois leur droit de retrait fin 2017 pour qu’apparaisse au grand jour qu’il y avait 5000 mètres carrés de flocage amianté dégradé au-dessus de nos têtes et de celles des élèves !
Le flocage est obtenu par projection d’un mélange d’amiante poudre en vrac et de colle sur une structure pour la protéger du feu. C’est un matériau friable qui vieillit mal. Cette technique a été interdite en 1977, vingt ans avant l’interdiction de l’amiante en France. Au lycée Brassens, ces flocages sont donc en place depuis au moins 41 ans, et sans doute davantage.
Comment a commencé votre mobilisation ?
Cécile : Le 23 novembre 2017, une prof a découvert des débris de flocage tombés au sol, dans une salle de classe.
Les premières analyses ont révélé une présence « inexpliquée » d’amiante dans ces débris. Nous étions dans une situation de danger grave et imminent pour le personnel et pour les élèves. Nous avons exercé notre droit de retrait et le CHSCT nous a donné raison.
Vous avez de nouveau exercé un droit de retrait à la rentrée 2018.
Cécile : Oui, un incendie est survenu le samedi 29 septembre au premier étage du lycée. Ce sinistre a causé une inondation par l’éclatement d’une canalisation et l’intervention des pompiers a provoqué dans les flocages un ruissellement qui risquait de les fragiliser davantage.
Quelles ont été les réactions de la région et du rectorat ces dernières années ?
Cécile : La première réactop, a été le déni : ils nous ont dit que ces flocages dégradés étaient sans danger puisque sans amiante.
Puis, quand des analyses ont montré qu’il y avait de l’amiante dans les faux plafonds de presque toutes les salles de classe, les mêmes nous ont expliqué que ces flocages vieux d’une quarantaine d’années n’étaient pas dangereux car ils étaient en bon état !
Nous avons été bombardés de mensonges et d’arguments contradictoires assénés sur un ton méprisant.
C’était difficile à vivre.
Comment avez-vous pu réagir à cette situation ?
Cyril : Nous avons mené notre propre enquête, en épluchant les vieux comptes-rendus de CA et en recherchant les témoignages des anciens du lycée. Nous avons alors découvert que dès le milieu des années 80, des représentants des parents d’élèves protestaient contre l’amiante qui tombait des plafonds !
Nous avons réalisé qu’un deuxième flocage sans amiante avait été projeté sur le flocage amianté Cette « protection » d’un matériau friable par un autre matériau friable était une dangereuse ânerie technique.
En menant notre enquête, nous avons aussi appris qu’un agent des services techniques qui était intervenu dans les faux plafonds était atteint d’une pathologie professionnelle liée à l’amiante, reconnue depuis plusieurs années.
Les profs ne le savaient pas, mais nos interlocuteurs, eux, ne pouvaient pas l’ignorer.
Une délégation du lycée Brassens était à la manifestation nationale de l’Andeva le 12 octobre.
Cyril : Des profs et des élèves du lycée ont pu défiler aux côtés de milliers de victimes de l’amiante. Cela a été pour nous un moment fort de prise de conscience et une aide pour notre lutte locale que nous avions du mal à élargir. L’écho dans les médias a été considérable. La question de l’amiante dans les écoles a fait la Une de Libération. Nous avons été assaillis de coups de fil de journalistes.
La semaine suivante, nous sommes rassemblés devant l’Assemblée nationale. Une députée a posé une question sur notre lutte. Le ministre de l’éducation nationale a répondu.
Votre dernier droit de retrait a été contesté par l’administration...
Cyril : Oui, nous avions reçu une injonction à reprendre le travail. On nous a menacés de retenue sur salaire. Le problème n’est pas définitivement réglé à ce jour.
Quelle est la situation en cette nouvelle année ?
Raphaëlle : Des travaux de rénovation du lycée vont être engagés. En attendant, nous sommes dans des préfabriqués où il n’y a plus d’amiante. C’est un soulagement. Mais l’isolation phonique y est mauvaise, la ventilation inexistante et il y a des remontées nauséabondes des toilettes dans la cour...
Quelles sont aujourd’hui vos perspectives ?
Cécile : Nous voulons nous assurer que le chantier ne présentera pas de risque pour les élèves qui passeront à proximité.
Nous avons demandé une expertise en référé. Nous réfléchissons à d’autres possibilités.
Nous recherchons des informations et des témoignages pour aider des profs et des parents confrontés ailleurs à l’amiante.