Depuis plus de vingt ans, l’Andeva et ses associations accompagnent les victimes de l’amiante et les familles qui vont en justice pour contester des décisions de caisses primaires de Sécurité sociale ou faire reconnaître la faute inexcusable de l’employeur. Un décret du 29 octobre 2018 a introduit de nombreux changements dans ce contentieux. Ce décret est d’ores et déjà en application depuis le début de l’année. Il faut le connaître et en prévoir les conséquences.

 

 

LES TRIBUNAUX

Il y avait trois juridictions compétentes

En première instance :
- 115 tribunaux des affaires de la Sécurité sociale (Tass) géraient le contentieux général : contestation des refus des caisses primaires, actions en faute inexcusable de l’employeur...
- 26 tribunaux du contentieux de l’incapacité (TCI) géraient le contentieux technique : contestation du taux d’incapacité (IPP) attribué par les caisses primaires, inaptitude, invalidité...
- Une centaine de commissions départementales d’aide sociale (CDAS) géraient le contentieux de l’aide sociale, dont l’allocation adulte handicapé.

Les recours étaient engagés :
- devant une cour d’appel puis en cassation pour le contentieux général,
- devant la Cour nationale de l’incapacité (CNITAAT) pour le contentieux technique,
- devant la commission centrale d’aide sociale puis devant le conseil d’Etat, pour le contentieux de l’aide sociale.

Les TGI gèrent désormais ces contentieux

En première instance
Les TASS, les TCI et les CDAS sont supprimés.
Leurs compétences sont transférées à des « pôles sociaux » créés au sein des tribunaux de grande instance de la même zone (TGI). Avec une exception : les dossiers qui relevaient de Longwy sont gérés par le TGI de Briey.

Les recours :
- Pour le contentieux général, ils seront gérés par les mêmes cours d’appel, à cinq exceptions près : le contentieux sera transféré de Douai à Amiens, d’Agen à Toulouse, de Limoges à Poitiers, de Chambéry à Grenoble et de Bourges à Orléans.
- Pour le contentieux technique, les dossiers qui étaient en cours devant la CNITAAT seront gérés jusqu’au bout par la CNITAAT.

Les nouveaux dossiers seront gérés par la Cour d’appel d’Amiens qui aura également en charge le contentieux de l’incapacité.

 

 

LA PROCÉDURE

Les règles en vigueur avant 2019

Recours à l’amiable
- Avant de saisir le Tass, il fallait saisir la commission de recours amiable (CRA). L’absence de réponse dans un délai d’un mois valait « refus implicite ».

Représentation
- La procédure était orale. Un plaignant pouvait se défendre seul ou avec l’aide d’un proche, d’un syndicat, d’une association ou d’un avocat.

Président et assesseurs
Au Tass siègaient un président (juge professionnel) et deux assesseurs, l’un représentant les employeurs, l’autre les salariés.

Décisions
Elles étaient notifiées par lettre recommandée.

Délai pour contester
Il était d’un mois.

Ce que la réforme du contentieux a changé

Recours à l’amiable
- Une commission médicale de recours amiable (CMRA) est créée. Elle peut convoquer l’assuré pour un examen médical. Sans réponse, le "refus implicite" intervient deux mois après pour la CRA et quatre mois après pour la CMRA.

Représentation
- La procédure est écrite. En première instance, un plaignant peut se faire représenter par un avocat ou un défenseur syndical, mais pas par un défenseur associatif. En appel il doit obligatoirement faire appel à un avocat.

Président et assesseurs
- les assesseurs sont maintenus.
- Le président a désormais le pouvoir de rejeter sans audience contradictoire des requêtes qu’il estime "manifestement irrecevables".

Décisions
Elles peuvent être notifiées "par tout moyen" (notamment sur le site "Ameli")

Délai pour contester
Il passe à deux mois.

 

 

LES CONSÉQUENCES

La réforme du contentieux Sécurité sociale a été discutée au conseil d’administration de l’Andeva en décembre. Les associations prévoient de nombreuses difficultés.

L’obligation de passer par un avocat aura un effet dissuasif pour les plus démunis.
Le refus du « défenseur associatif » également (voir le communiqué ci-contre).

La relocalisation de cinq cours d’appel éloignera la justice des justiciables et rendra la mobilisation lors des audiences plus difficile. « Il faudra faire plus de 100 kilomètres pour aller de Bourges à Orléans », dit Serge Moulinneuf, président de l’Adeva Centre.

La notification des décisions de justice inquiète. « On ne va pas sur Ameli tous les matins. Que se passera-t-il si un mail annonçant un refus va dans la boîte des spams ? ». 

« Les personnes âgées et celles qui ne peuvent pas se payer un ordinateur ne risquent-elles pas d’être pénalisées ?  »

Des craintes se font jour aussi sur la nature des données médicales transmises aux médecins désignés par les employeurs.

Les avocats de l’Andeva prévoient une mise en place laborieuse de la réforme. Avant 2019, la Justice était déjà ralentie voire paralysée par une pénurie de moyens et d’effectifs. Les stocks de dossiers en souffrance enflaient, les délais d’audiencement et de notification des jugements s’allongeaient. La réforme ne va rien arranger...

La récupération des données sera compliquée par l’absence de liaison informatique entre Tass et Tgi.

« Fin 2018, les reports d’audience se sont multipliés , note maître Michel Ledoux. Très peu d’affaires seront sans doute plaidées au premier trimestre 2019 ».