« La SEMA a brisé nos vies. J’irai jusqu’au bout. Ma femme a vécu quelque chose de terrible. On lui a enlevé sa santé. On lui a enlevé trente ans d’espérance de vie.
Je veux faire savoir qu’on n’a pas le droit de tuer des gens comme cela. Ce n’est pas une question d’argent. Je demande simplement qu’on nous rende justice. »
C’est par ces mots forts que Denis Masson résumait le sens de son combat judiciaire dans une émouvante interview publiée dans le Bulletin de l’Andeva en janvier 2018.
Il y décrivait les conditions de travail effroyables que Chantal, son épouse, avait connues dans cette entreprise de Luxeuil-les-Bains qui faisait des tissus d’amiante pour l’armée. Elle y avait travaillé durant trente-neuf ans.
Il évoquait la douleur de l’accompagnement de fin de vie et du deuil de son épouse emportée à 56 ans par un mésothéliome.
Denis a fait condamner cet employeur cynique, malgré les dérobades, les dénis et les mensonges de la partie adverse. Il continue le combat pour que d’autres ne revivent pas les mêmes drames.
« La faute inexcusable est enfin reconnue »
Le dossier remis au juge était accablant. Le médecin du travail avait attesté que Chantal Masson avait « été exposée professionnellement à l’amiante de 1977 jusqu’à 1997 dans le cadre d’un travail de couturière sur tissus amiantés et d’un environnement poussiéreux en atelier de travail ».
« Les poussières volaient partout dans l’atelier »
19 attestations évoquent les conditions de travail dans cet atelier de confection de produits militaires et paramilitaires. Elles sont terribles.
Une ancienne collègue témoigne que dans cet atelier « des textiles amiantés, amiante blanche et amiante bleue, étaient utilisés tous les jours ».
Une autre atteste qu’on y travaillait dans « une atmosphère poussiéreuse et confinée, sans aucune protection ni même information ».
Une collègue se souvient que « les poussières volaient partout au niveau de la coupe, du montage, du collage. »
Une autre précise que le travail s’effectuait « sans aucune protection. Il n’y avait pas d’aspiration. L’air était brassé par le chauffage à air pulsé l’hiver et les ventilateurs l’été. »
Une autre signale que le nettoyage des locaux s’effectuait par du balayage à sec, opération interdite depuis 1913.
D’autres vies brisées par l’amiante de la Sema
Ces conditions de travail épouvantables ont fait des dégâts chez les ouvrières qui découpaient et cousaient ces tissus amiantés, mais aussi chez leur conjoint.
Le mari d’une collègue de Chantal témoigne : « Mon épouse est décédée le 12 décembre 2010 après deux années et demie de souffrances et de traitements, eux, sans effet. Sa maladie, le cancer de la plèvre (mésothéliome) a été reconnue maladie professionnelle ».
Une collègue explique : « Mon mari est décédé le 4 mars 2016 d’un cancer de la plèvre alors qu’il n’a jamais été exposé à l’amiante dans son travail et je suis moi-même atteinte d’un épaississement de la plèvre. »
Quatre fois plus de fibres que la norme !
Les mesures d’empoussièrement réalisées par l’Apave en 1983 lors des opérations de découpe de toile d’amiante au ciseau électrique montraient une densité de fibres d’amiante par litre d’air quatre fois supérieure à la valeur limite d’exposition professionnelle de l’époque (2 fibres d’amiante par centimètre cube d’air) !
« La Sema ne pouvait ignorer la dangerosité »
Les attendus du jugement rendu par le Tribunal des Affaires sociales d’Epinal sont clairs et nets : « La Sema ne pouvait ignorer la dangerosité de l’inhalation de poussières d’amiante, alors qu’elle n’a pris aucune mesure pour protéger sa salariée. »
Elle aurait dû « l’équiper d’un masque l’empêchant d’inhaler les poussières d’amiante et d’une combinaison étanche aux dites poussières ; mais aussi renoncer au chauffage par air pulsé qui accroît la dispersion des poussières dans l’atelier »
Le tribunal a condamné la Sema à indemniser au titre de l’action successorale les préjudices de Chantal (souffrance physique et morale, préjudice esthétique, préjudice d’agrément) ainsi que le préjudice moral de Denis.