« J’ai suivi une formation de prothésiste dentaire. à la sortie de l’école, j’avais un diplome mais pas d’emploi. Mon père avait alors de graves difficultés financières. Pour l’aider, j’ai pris le premier boulot qui s’est présenté.

Un ami m’a suggéré un poste de ponceur dans une société d’Etrechy qui faisait l’entretien et la rénovation des revêtements de sols pour l’OPHLM dans les Hauts-de-Seine, les Yvelines et à Paris.

Nous devions poncer les dalles de sol en vinyle-amiante et remplacer celles qui étaient dégradées.

Après nous, d’autres ouvriers venaient poser des parquets, de la moquette dans les chambres et du lino dans la cuisine et le couloir.

Nous utilisions des ponceuses à bandes très lourdes pour le gros des surfaces, des bordeuses à disque rotatif près des plinthes et des ponceuses plus petites pour les angles. Ces machines soulevaient des nuages de poussières avec une masse de fibres d’amiante. C’était un travail de manoeuvre.

On nous donnait des combinaisons, mais pas de protections respiratoires. Un simple foulard autour du cou, pas de masque. La poussière nous entrait dans le nez et les yeux. Nous n’étions pas avertis des risques...

Les chantiers se succédaient : Chatenay- Malabry, la Défense, Courbevoie, Grigny la Grande Borne...

Nous rénovions surtout des F3 et des F4. On en faisait deux ou trois dans la journée. Nous étions payés au mètre carré. Plus on ponçait, plus on touchait... En fin de journée nous étions couverts de poussière. On s’en débarrassait par un coup de « soufflette » d’air comprimé. Nous n’étions pas conscients du danger.

J’ai curé des vide-ordures en amiante-ciment avec des buses, des hérissons, des ponceuses ou une sableuse et un compresseur. Les poussières d’amiante tombaient en contrebas dans les conteneurs qui étaient vidés par les éboueurs avec les déchets ordinaires.

Les ponceurs avaient le nez engorgé de poussières. Dès le début, j’ai eu des abcès aux sinus, avec des soins à l’hôpital de Corbeil et à l’hôpital intercommunal.
En 2008, suite à des douleurs irradiantes dans la poitrine, j’ai été hospitalisé à Créteil. J’ai passé un scanner qui a montré des plaques sur la plèvre pariétale et des épaississements sur la plèvre viscérale. Le radiologue m’a demandé si j’avais travaillé dans l’amiante.

La maladie professionnelle a été reconnue. En 2011, la Cpam 91 a fixé l’incapacité (IPP) à 15%, le Fiva l’a fixée à 7%.

En 2012, on m’a diagnostiqué un cancer du larynx. On m’a enlevé une corde vocale et opéré du sinus piriforme. J’ai appris bien plus tard que cette maladie pouvait résulter d’une exposition à l’amiante.

Ma fonction respiratoire s’est récemment dégradée avec un effondrement de moitié de mes volumes pulmonaires, des douleurs permanentes qui résistent aux antalgiques de niveau 2 et d’épuisantes quintes de toux qui me réveillent la nuit.

Un expert désigné par le FIVA a préconisé de faire passer mon taux d’IPP à 50% puis à 60%. Le médecin conseil de la Sécurité sociale a voulu en rester à 15%. J’ai contesté sa décision.

J’ai été ponceur pendant 3 ans, de 1977 à 1979. Longtemps après, la maladie m’est tombée dessus. Ce fut un choc. Et l’aggravation, a été un nouveau coup de massue.
Je suis aujourd’hui relié à une bouteille d’oxygène vingt-quatre heures sur vingt-quatre. J’ai cinquante-huit ans. Je suis marié et j’ai quatre grands enfants. Je veux garder le moral, et affronter activement ma maladie. Mais l’avenir m’inquiète.