La rente servie par la Sécurité Sociale à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle vaut-elle aussi indemnisation des préjudices personnels dont elle demande réparation lorsqu’elle fait reconnaître la faute inexcusable de son employeur ?

Telle est la question importante qui sera examinée le 9 décembre prochain par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation.

La réponse est très attendue. Elle concerne toutes les victimes du travail  et au premier chef les retraités victimes de l’amiante qui font reconnaître la faute inexcusable de leur ancien employeur à l’origine de leur maladie.

Ces victimes se voient trop souvent refuser l’indemnisation de leurs préjudices personnels par certaines juridictions (dont la deuxième chambre civile de la Cour de Cassation) qui expliquent que ces préjudices et notamment les souffrances physiques et morales sont déjà indemnisées par la rente AT-MP et motivent leur refus par la volonté d’éviter une « double indemnisation ».

C’est ce que Morane Keim-Bagot, professeur de droit à l’université de Strasbourg, considère comme « un authentique phagocytage » par la rente des autres postes de préjudices 1

 Cette analyse qui confère une nature « hybride » à la rente AT/MP – à la fois indemnisation forfaitaire de l’accident ou de la maladie professionnelle et indemnisation des conséquences de la faute inexcusable de l’employeur – ne va évidemment pas de soi ; d’autres juridictions résistent comme ce fut le cas récemment lorsque la Cour d’appel de Nancy, déjà saisie sur renvoi par la 2ème Chambre civile de la Cour de cassation, s’est opposée frontalement à celle-ci en accordant à la famille d’un salarié décédé de l’amiante l’indemnisation des souffrances endurées par leur mari, père et grand-père, sans considération de sa rente maladie professionnelle.

Le dossier revient donc devant la Cour de cassation, laquelle parfaitement consciente de l’importance de la question posée a décidé cette fois d’en confier l’examen à sa formation la plus solennelle, qui, nous l’espérons, corrigera cette dérive aux conséquences désastreuses pour les victimes et leurs proches.

  • Les AT-MP sur la scène judiciaire : une analyse de la faute inexcusable devant les juges du fond,
    par Morane Keim-Bagot et Xavier Aumeran
    (La Semaine juridique, 6 sept 2022)

Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°69 (octobre 2022)