« Pour beaucoup d’entre nous, l’amiante est une histoire qui appartient au passé. Ceux qui pensent que la fibre cancérogène a cessé d’être une menace se trompent. Pendant des décennies? industriels et pouvoirs publics ont mis de l’amiante partout : dans les constructions, les objets du quotidien, dans les moyens de transport... (...) Il faudra sans doute plus de 100 ans pour retirer l’ensemble des matériaux amiantés ».

C’est par ces mots que commence un excellent documentaire diffusé récemment sur ARTE (Amiante : l’histoire sans fin). Ce film, réalisé par Thomas Gandois et Alexandre Spalaïkovitchk, montre que l’amiante a causé une catastrophe sanitaire planétaire d’une brûlante actualité (p.29).

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Rappelons que les pays qui ont interdit l’amiante restent à ce jour minoritaires.  Des mastodontes,  comme la Russie, l’Inde ou la Chine  dont le poids démographique et économique est très important défendent toujours l’usage de ces fibres cancérogènes en niant leur toxicité.

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L’interdiction n’abolit pas le risque. Dans l’Union européenne, l’amiante a été interdit en 2005. En septembre 2022, la Commission européenne a dressé un constat de la situation 17 ans après :

- de nombreux travailleurs du BTP sont exposés à l’amiante lors des travaux de démolition et de rénovation.

- 78 % des cancers professionnels reconnus sont liés à l’amiante.

- Plus de 70 000 personnes sont décédées en 2019, après une exposition à l’amiante dans leur travail.

Et la Commission annonce  un plan global « pour mieux protéger les personnes et l’environnement contre l’amiante, et garantir un avenir sans amiante ».

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Les inégalités entre pays riches et pauvres, le dérèglement climatique, la guerre... Ces fléaux du monde où nous vivons ont un effet multiplicateur sur  le risque amiante.

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Aujourd’hui des armateurs de pays riches envoient, au mépris des conventions internationales, des centaines de « navires-corbillards » truffés d’amiante et d’autres toxiques, terminer leur vie en s’échouant sur les plages du Bengladesh ou de Turquie où ils seront démantelés sans précaution ni protection.

La mobilisation des ONG de la société civile a obtenu que l’ex porte-avions français Foch, (racheté par le Brésil et rebaptisé São Paulo) soit exclu des eaux territoriales turques et fasse demi-tour. Cette victoire, 20 ans après le retour du Clemenceau en Europe, est à saluer. Mais  aucune solution durable ne pourra être trouvée, tant que les pays riches continueront à exporter leurs déchets toxiques dans des pays où une main d’oeuvre à bas coût travaille sans législation protectrice dans des conditions abominables. Ces pays doivent traiter eux-mêmes dans leur zone géographique les déchets mortifères dont ils sont les producteurs (p. 26).

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Sous l’effet du dérèglement climatique, des feux extrêmes ou des inondations ravagent des milliers d’hectares, éparpillant les matériaux amiantés intégrés dans les bâtiments (p.18) ; des orages de gros grêlons mitraillent des toitures en amiante-ciment générant des gravats dangereux et mettant des fibres cancérogènes en suspension dans l’air (p.20).

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En Ukraine, où l’amiante vient d’être interdit, le lobby « pro-chrysotile » a bourré d’amiante des édifices aujourd’hui saccagés par des bombardements qui visent des populations civiles. Vingt ans plus tard, comme après l’effondrement des tours jumelles du World Trade Center, une vaste épidémie de cancers de l’amiante sera au rendez-vous.

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Non l’amiante, ce n’est pas fini. Les générations futures devront gérer un lourd héritage.

Jacques Faugeron

Alain Bobbio


Article paru dans le Bulletin de l'Andeva n°69 (octobre 2022)