Un nouveau tableau des maladies professionnelles, le tableau n°101, concerne le cancer du rein en lien avec une exposition au trichloroéthylène. Il s’agit d’une avancée importante dans la prise en compte des pathologies professionnelles.

Le trichloroéthylène (ou trichloréthylène) 

Le tricho (en langage courant) est une molécule simple composée de 2 atomes de carbone auquels sont rattachés 3 atomes de chlore.

Il fait partie de la famille des solvants chlorés. Il a été utilisé dès les années 1920 pour ses propriétés décapantes, mais il a pris un essor important dans les années 50 dans le dégraissage notamment des pièces métalliques grâce à son ininflammabilité.

Des salariés racontent  qu’ils utilisaient du trichlo pour se nettoyer les mains enduites de graisse, ignorant alors que ce solvant passe très facilement la barrière cutanée pour pénétrer dans l’organisme.

Si les effets notamment sur le système nerveux furent appréhendés assez rapidement notamment lors d’intoxications aigues, c’est plus tard que l’effet cancérigène du trichlo fut mis en évidence.

En 1995 le CIRC (Centre international de recherche contre le cancer) émanation de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) qui fait autorité en la matière, classe le trichlo dans  la catégorie 2 A (cancérogène probable), puis en 2012 dans la catégorie 1 (cancérogène avéré pour  l’homme).

Le classement comme cancérogène en 1995 va provoquer l’abandon progressif du trichlo pour le remplacer par des solvants moins dangereux selon le principe de substitution énoncé par le Code du travail et par des règles de prévention plus strictes (notamment valeurs limites d’exposition quand il n’est pas possible de faire autrement).

La discussion à la Commission des pathologies professionnelles du Conseil d’orientation des conditions de travail (COCT) sur la création d’un tableau concernant le cancer du rein a débuté dans les années 2017, mais ce tableau a mis plusieurs années à voir le jour.


Le cancer du rein

Le rein est un organe complexe composé d’un million d’unités fonctionnelles appelées « néphrons » composées d’une sorte de filtre (glomérule) et d’une longue tubulure (tubule), avec au niveau de tubules des processus complexes de tri et d’échanges de divers composés chimiques .

Ce système élimine dans les urines certains déchets, dont l’urée, et les toxiques que l’organisme aura pu absorber et qu’on retrouve dans l’urine, avec possibilité de les analyser.

Sachant que c’est un organe essentiel à la survie, les atteintes du rein posent un problème de santé publique important. En 2018  on dénombre environ 92 000 patients en dialyse ou porteurs d’un greffon dans le cadre du traitement d’une insuffisance rénale chronique terminale.

L’insuffisance rénale chronique est la conséquence d’atteintes diverses du rein dominées par les atteintes dues au diabète et à l’hypertension artérielle.

Le cancer du rein procède d’un processus particulier qui consiste en la transformation maligne du revêtement des cellules des tubules avec dans 80. % des cas une typologie d’adénocarcinomes. On parle d’adénomes à cellules claires ou tumeur de Grawitz.

15 300 nouveaux cas ont été détectés en 2018, en augmentation régulière d’année en année, dont les 2/3 surviennent chez des hommes avec un âge moyen de survenue chez ces derniers de l’ordre de 67 ans.

Le taux de survie à 5 ans est pour l’ensemble de l’ordre de 70 % avec des variations en fonction de la gravité au moment de sa mise en évidence.

Le cancer du rein se manifeste au départ par du sang dans les urines, des douleurs lombaires ou l’apparition d’une masse dans la région lombaire.  Mais un certain nombre est de découverte fortuite à l’occasion d’examens  d’imagerie médicale pratiqués pour d’autres raisons, notamment la réalisation d’un scanner thoracique dans le cadre du dépistage de lésions liées à l’amiante.

Le traitement consiste à ôter le rein malade, mais de plus en plus les chirurgiens essaient dans la mesure du possible d’enlever uniquement la tumeur en préservant la partie du rein qui reste saine, car le risque en cas de néphrectomie totale est le développement dans les suites opératoires sur le rein restant d’une insuffisance rénale chronique.

L’insuffisance rénale est objectivée notamment par la mise en oeuvre d’un examen sanguin, appelé le « débit de filtration glomérulaire » (DFG) avec une échelle de gravité selon les résultats. 


Tableau 101 : Affections cancéreuses provoquées par le trichloréthylène

Date de création : décret du 20 mai 2021

Le tableau 101 est une avancée substantielle, mais il présente quelques imperfections dues au compromis réalisé, au sein de la Commission des pathologies professionnelles, entre les partenaires sociaux.

Rappelons qu’un tableau de maladie professionnelle énonce les conditions nécessaires pour être reconnu dans le cadre de la présomption d’origine.

Le titre

Le titre  du tableau « Affections cancéreuses provoquées par le trichloréthylène » laisse la porte ouverte pour des ajouts par la suite d’autres cancers liées au trichlo, sachant que pour le moment la situation n’est pas favorable.

Première colonne

La « Désignation des maladies » exige que le cancer du rein soit primitif, ce qui en principe ne posera pas de problème, car si le cancer du rein peut être métastatique, il est rare qu’il soit le lieu de métastase d’un cancer situé dans un autre organe du corps. De toute façon le diagnostic anatomo-pathologique avec des examens immunohistochimiques permettra de trancher en cas de difficulté.

Deuxième colonne

Il n’y a rien à redire sur le délai de prise en charge (temps maximum écoulé entre la fin de l’exposition et la première constatation médicale) de 40 ans et une durée minimale d’exposition de 10 ans.

Troisième colonne

La « liste limitative des travaux susceptibles de provoquer la maladie » pose problème : « Travaux exposant aux vapeurs de trichloréthylène : dégraissage et nettoyage de l’outillage, des appareillages mécaniques ou électriques, de pièces métalliques avant 1995 ».

Cette date de 1995 est artificielle et participe de l’illusion que le fait de décréter que le trichlo était un cancérogène probable et qu’il fallait le remplacer par des substances moins dangereuses, allait entrainer la mise en œuvre rapide de la substitution.

Or, cela n’a pas été le cas. Un rapport de l’Institut de veille sanitaire fait état qu’en 2004 si la consommation globale avait baissé ne constituant plus que 15 % des solvants chlorés utilisés, cette consommation atteignait encore les 4 350 tonnes.

De plus, en se limitant aux travaux de dégraissage notamment de pièces mécaniques, ce tableau laisse de côté  des victimes. Si l’utilisation du trichlo pour le dégraissage était prépondérante, il concernait ou concerne aussi un certain nombre d’autres activités et notamment le dégraissage des textiles, le nettoyage dans de nombreux secteurs d’activités, la synthèse d’autres hydrocarbures halogénés, la vectorisation de diverses préparations (colles, vernis, peintures, encres, encaustiques) …

Dès lors ces dossiers devront être soumis aux Comites régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) statuant dans le cadre de la preuve d’un lien direct.

Dernière difficulté, déjà apparue quand ce cancer a été reconnu en tant que maladie hors tableau, c’est la faiblesse de l’indemnisation :  loin d’atteindre le niveau minimal d’IPP de 67 %  prévu dans le barème des maladies professionnelles pour d’autres cancers tels que le cancer du poumon, les leucémies, le lymphome malin non hodgkinien.


Une ouverture sur d’autres pathologies

L’introduction du cancer du rein dans un tableau de maladie professionnelle va faciliter la reconnaissance du cancer du rein lié à d’autres facteurs de risque tels que ceux retenus par le CIRC : les rayonnements ionisants (catégorie 1, cancérogène avéré), l’arsenic, le cadmium, l’acide perfluorooctanique, les procédés d’impression, les fumées de soudure (catégorie 2 A, cancérogènes probables).

En effet l’impact du tabagisme sur la survenue du cancer peut poser problème quand il s’agit de démontrer un lien « direct et essentiel » entre l’exposition à un cancérogène et une maladie hors tableau. Mais la jurisprudence de la Cour de cassation admet que la preuve d’un lien « direct » suffit quand la pathologie figure dans un tableau de maladie professionnelle.

Le CIRC identifie d’autres cancers liés au trichloroéthylène : les lymphomes malins non hodgkiniens (cancérogène probable, classé 2 A), cancers du foie (cancérogène probable, classé 2 A). Mais actuellement les victimes seront encore obligées de faire une démarche notamment pour les lymphomes dans le cadre d’une maladie hors tableau et à apporter la preuve d’un lien direct et essentiel.

Il y a des affections non-cancéreuses qui sont liées au trichlo : atteintes cardiaques et surtout neurologiques dans le cadre d’intoxications aigues (tableau 12) et troubles cognitifs liés aux solvants organiques (tableau 84). Les effets à long terme sont préoccupants  : sclérodermie systémique (reconnue pour la silice, tableau 25), maladie de Parkinson (reconnue pour le manganèse, tableau 39).


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°66 (septembre 2021)