L’Addeva 88 a été créée en 2008 par des ouvriers de Michelin de Golbey pour aider les victimes à faire reconnaitre leurs maladies professionnelles et à constituer des dossiers d’indemnisations. Petit à petit, ils ont été rejoints par des salariés d’autres entreprises. Jean-Paul Sayer, ancien ouvrier de l’usine et victime de l’amiante est président de l’Addeva 88. Il raconte ce combat collectif contre un patronat de choc.

A quand remonte la première déclaration en maladie professionnelle liée à l’amiante sur ce site ?

Elle a eu lieu en septembre 1999 : un agent de maintenance a réussi à faire reconnaître des plaques pleurales. Après un long combat judiciaire, il fera reconnaître en 2006 la faute inexcusable de l’employeur. C’était une première non seulement pour ce site mais aussi pour les onze sites Michelin en France.

Comment la question de l’amiante a-t-elle émergé sur l’usine de Golbey ?

Suite à cette première procédure, le médecin du travail, nouvelle embauchée, aidée par l’infirmière du site, a voulu faire un état des lieux à sa prise de poste.

400 salaries ont bénéficié d’un suivi médical post-expositions. Les scanners ont permis de détecter de nombreuses pathologies liées à l’amiante, relevant du tableau 30 des maladies professionnelles. J’étais agent de maintenance. En 2006, je serai la quatorzième personne à faire une déclaration en maladie professionnelle concernant l’amiante.

En 2007 le cabinet Eretra de Bagnolet a été mandaté par le CHSCT de l’usine Michelin de Golbey,  suite à l’augmentation constante des maladies liées au tableau 30. Il a rédigé un rapport faisant l’analyse du risque amiante et dressant un état des lieux précis des secteurs où l’amiante était utilisée.

Pourquoi avez-vous créé l’association ?

Ceux qui avaient déclaré une maladie professionnelle avaient rencontré d’importantes difficultés. Il fallait nous associer pour nous entraider. Plusieurs anciens de Michelin ont décidé en 2008 de créer une association locale, l’Addeva 88, avec l’aide du syndicat Sud et de l’Andeva.

Quels ont été les premiers combats de l’Addeva 88 ?

En 2008 le syndicat Sud a demandé que le site soit inscrit sur la liste ouvrant droit à la cessation anticipée d’activité « amiante ». Le ministère a refusé. Le tribunal administratif, saisi de la demande, s’est prononcé pour l’inscription.  Michelin a fait appel. La Cour d’appel de Nancy a refusé l’inscription. Nous n’avons donc pas pu obtenir de retraite anticipée.

En 2009, plusieurs malades de Michelin (dont je fais partie) ont engagé une procédure au pénal contre Michelin pour mise en danger d’autrui et blessures involontaires. Le tribunal de grande instance d’Epinal s’est déclaré incompétent et s’est dessaisi de l’affaire au profit du pôle de santé publique de Paris.

Notre procédure fait partie  des 27 dossiers bloqués au niveau du pénal.

Tu as évoqué la première action en faute inexcusable contre Michelin en 2006. C’était une première, mais beaucoup d’autres ont suivi.

En 2010, avec l’aide de François Lafforgue dix procédures de fautes inexcusables (dont une pour les ayants droit d’une personne décédée) ont été reconnues par le tribunal des affaires sociales d’Epinal. Je faisais partie des plaignants.

Lors de sa plaidoirie l’avocat de Michelin a précisé que depuis  la construction de l’usine c’est plus de 4500 personnes qui ont travaillé sur le site de Golbey

En 2011 un nouveau collectif de dix-neuf malades de Michelin a engagé une procédure de faute inexcusable. La faute a été reconnue et tous ont été indemnisés.

Avez-vous engagé des procédures pour la reconnaissance du préjudice d’anxiété ?

Oui, en 2013, 15 anciens salariés ont engagé une action devant le conseil de Prud’hommes pour faire reconnaître ce préjudice. Après de multiples reports, ils ont été déboutés en première instance. Le jugement a été cassé en appel. L’affaire sera plaidée devant une nouvelle cour d’appel, celle de Reims, début septembre 2021.

Quand on a été exposé à l’amiante,  l’anxiété d’avoir un jour une maladie grave n’est malheureusement pas sans fondement : un des plaignants engagé dans cette procédure vient de demander une reconnaissance en maladie professionnelle pour un cancer broncho-pulmonaire.

Et quand on a une maladie bénigne, on n’est pas à l’abri d’être un jour rattrapé par une tumeur cancéreuse. Un de nos adhérents qui avait été  reconnu pour des plaques pleurales a été atteint par un cancer broncho-pulmonaire. Sa maladie a été reconnue. Il en est décédé et nous avons pu aider sa famille qui a été indemnisée.

Michelin Golbey ne fait pas partie des établissements ouvrant droit à la « pré-retraite amiante ». Et pourtant les maladies de l’amiante y sont nombreuses.

A ce jour pour ce site, notre association compte plus de 84 maladies professionnelles reconnues (dont  14 décès). Et nous avons fait condamner Michelin quarante-cinq fois pour faute inexcusable de l’employeur.

Ces chiffres sont sans doute inférieurs à la réalité, car ils ne comptabilisent pas des procédures individuelles  engagées en dehors de l’association.

Cette usine nous apporte autant de procédures que les établissements reconnus tels que Lardet-Babcock et Arjomarie.

 


L’action en « faute inexcusable de l’employeur »

C’est une action contre un employeur devant le tribunal judiciaire. Elle vise à démontrer qu’il a commis une faute qui est à l’origine de la maladie.

Que permet d’obtenir cette action en justice ?

1) une majoration au taux maximum de la rente ou du capital versé versé par la Sécurité sociale,

2) l’indemnisation de certains préjudices qui ne sont pas pris en charge par la simple reconnaissance d’une maladie professionnelle (souffrances physiques et morales, préjudice esthétique, préjudice d’agrément...),

3) une reconnaissance de la responsabilité de l’employeur et une incitation à la prévention.


MICHELIN (Golbey)

L’usine de Golbey a ouvert ses portes en 1969.  Elle emploie aujourd’hui 500 salariés.

L’activité

C’est une tréfilerie. Le tréfilage  permet de réduire la section du fil métallique, en renforçant sa résistance à l’aide de traitements thermiques pour obtenir des fils unitaires de petits diamètres.

Ces fils unitaires sont assemblés sur le site de Golbey pour former divers types de câbles qui sont envoyés dans les usines du groupe pour réaliser la bande de roulement du pneumatique avec des nappes, c’est-à-dire des câbles noyés entre deux bandes de caoutchouc.

L’amiante

L’amiante était utilisé comme isolant thermique et phonique sous formes de plaques, tresse, joints et même en vrac.

Pour tréfiler il faut sur chaque machine, un dérouleur et un enrouleur équipés de freinages ferodo dont les garnitures devaient été changées régulièrement.

Pour remettre en état ces pièces il fallait découper les bandes ferodo, percer, riveter ou coller et meuler.


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°66 (septembre 2021)