L’Université de Montréal a contesté sans vergogne la maladie professionnelle d’un de ses anciens professeurs atteint d’un mésothéliome.  Les protestations indignées se multiplient, exigeant qu’elle revienne sur sa
décision. L’Association de défense des victimes de l’amiante au Québec (AVAQ) joue un rôle actif dans cette mobilisation dont les medias québécois se font l’écho et qui a pris une dimension internationale.

En 2018, Jean Renaud, professeur émérite de sociologie à l’Université de Montréal, en retraite depuis 2010, apprend qu’il est atteint d’un mésothéliome. 

La poussière tombait du plafond...

Il a travaillé pendant 23 ans à l’université dans un bureau dont les dalles de sol et les plaques de faux plafond contenaient de l’amiante. La poussière tombait du plafond lorsqu’on y tirait des câbles informatiques. Ce bureau a d’ailleurs été désamianté peu après son départ en retraite.

L’origine professionnelle de son cancer est flagrante.  Il en fait la démonstration dans un remarquable mémoire remis au Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) en février 2020. Il a bien respiré en travaillant à l’université les fibres qui ont causé son mésothéliome. « C’est la conclusion à laquelle sont arrivés une spécialiste en médecine du travail du Centre hospitalier (CHUM) et le comité des trois pneumologues de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) », écrit-il dans son mémoire.

Le difficile parcours des « cols blancs »

Jean Renaud a décidé de témoigner publiquement sur sa maladie et de faire de son dossier un cas emblématique des difficultés rencontrées par ceux qu’on appelle ici les « cols blancs » pour faire valoir leurs droits.

En février 2020, il est en attente de la décision de la CNESST suite à l’évaluation de son dossier par deux comités de trois pneumologues. 

(Tel est le parcours du combattant imposé aux victimes par la législation québécoise sur les maladies professionnelles).

En septembre 2020, la CNESST  reconnaît enfin sa maladie professionnelle, ce qui donne le droit à Jean Renaud de recevoir les indemnités prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

On pourrait alors penser que le dossier est clos et qu’il pourra désormais consacrer toute son énergie à lutter contre ce cancer qui ronge l’enveloppe de ses poumons.

Mais l’Université de Montréal, son employeur, engage une action devant le tribunal administratif du Travail pour contester cette reconnaissance malgré l’avis favorable de sept pneumologues et d’un ingénieur-hygiéniste !

Une lettre ouverte au recteur de l’Université

Jean Renaud est connu et apprécié de ses anciens collègues. Les réactions indignées se multiplient.

Une lettre ouverte au recteur de l’Université est signée par l’Association des victimes québécoises de l’amiante (Avaq), des scientifiques et des professionnels de santé. Les ministres de la Santé et du Travail et la présidente de la CNESST en reçoivent copie.

Elle dénonce « une contestation futile qui ne fait qu’accabler la victime et sa famille », sans  se baser sur des                                                                                                                                       arguments ou des faits.

Elle demande à l’Université de Montréal « de retirer sa contestation » et « d’accepter que la CNESST indemnise tout autre employé victime d’un mésothéliome pleural et ayant été exposé à de la fibre d’amiante dans le cadre de leur travail à l’Université. »

La lettre rappelle que le mésothéliome est une pathologie spécifique qui peut survenir après des expositions faibles, notamment « chez des professeurs et d’autres cols blancs. »

Ce cas n’est pas isolé. « Au cours des dix dernières années, on a rapporté au moins trois autres mésothéliomes chez des cols blancs et chez un concierge de l’Université de Montréal. »

La lettre rappelle que la reconnaissance de ce mésothéliome a été faite « sur la base de l’expertise du pneumologue traitant et de deux comités de pneumologues indépendants spécialisés en maladies professionnelles pulmonaires. Au total, sept pneumologues de divers hôpitaux du Québec ont ainsi été consultés sur la nature et l’étiologie de ce mésothéliome. »

Beaucoup de signataires sont connus pour leur expertise dans le domaine de l’amiante. « Il y a parmi eux des épidémiologistes de renom comme le Français Marcel Goldberg, les Italiens Corado Magnani et Dario Mirabelli », note Michel Camus, conseiller scientifique de l’AVAQ.

Les médias s’emparent de l’affaire. Des articles paraissent dans le quotidien La Presse. Des interviews passent à la télévision. Les déclarations des conseillers scientifiques de l’Avaq sont largement reproduites.

Une chaîne internationale de solidarité

La solidarité a pris une dimension pan-canadienne et internationale.

« Des pionniers du combat contre l’amiante au Canada comme Kathleen Ruff en Colombie britannique ou Alec Farquhar à Toronto ont signé ia lettre au recteur de l’Université, explique Gilles Mercier, un des fondateurs de l’AVAQ. Aux États-Unis, en Belgique, en France, des dirigeants d’associations de victimes ont apporté leur soutien :  Linda Reinstein pour l’Adao, Eric Jonckheere pour l’Abeva,  Jacques Faugeron pour Andeva en France... Cela nous a fait chaud au coeur ».

La protestation a grandi. L’Université est sous pression.  Une pétition en ligne est lancée sur Change.org. Le succès est immédiat. « En quelques jours, nous avons dépassé les 800 signatures », se félicite Daniel Legros, conseiller en communications de l’AVAQ.

Un député de Québec solidaire évoque le cas de Jean Renaud à l’Assemblée nationale.

« L’Université de Montréal doit retirer sa contestation et indemniser Jean Renaud, explique Gilles Mercier. Notre association a été relancée il y a quatre ans. Elle est encore jeune, mais elle a su jeter toutes ses forces dans cette bataille qui a rencontré un écho médiatique sans précédent. »


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°65 (avril 2021)