« Freix était une société spécialisée dans la production de matériaux de friction mais aussi dans l’activité de dégarnissage/regarnissage, explique Jean-Jacques Latour. Ses clients lui adressaient des pièces usagées contenant de l’amiante pour les regarnir avec de nouveaux matériaux. Elle travaillait pour la RATP et l’armée. Elle s’occupait aussi de voitures de collection. Beaucoup d’équipements contenaient de l’amiante ».

Tout a commencé en novembre 2015. Deux ouvriers de cette entreprise ont exercé leur droit de retrait, estimant leur santé et leur vie en danger. Ils sont venus voir l’association.

Le gérant a organisé un « dépoussiérage » du site en avril 2016. Au lieu d’aspirateurs à filtre absolu, ce sont des aspirateurs courants pour le ménage et la soufflette à air comprimé qui ont été utilisés. Résultat : quand de nouvelles mesures ont été faites, elles ont fait exploser les compteurs ! La production a été arrêtée. La police et l’inspection du travail sont venues.

En juillet 2016 le tribunal de commerce a prononçé la liquidation de l’entreprise. Le gérant, M. Valissant, a été mis en examen pour « mise en danger de la vie d’autrui. »

« Il a été jugé en première instance en février 2018, dit Sonia Hertz. Le tribunal lui a infligé un an de prison dont six mois fermes, et une interdiction d’exercer toute activité industrielle dans le domaine, avec mise à l’épreuve pendant deux ans. Il a accordé une indemnisation aux parties civiles : salariés, association, syndicats.

Le gérant a fait appel. Mais,  la cour d’appel d’Angers a confirmé sa condamnation en juin 2019. Lors de l’audience, en janvier 2019, une mobilisation a été organisée devant le tribunal d’Angers par les associations Andeva du Grand Ouest.

Le gérant a saisi la chambre criminelle de la Cour de cassation, qui a estimé que ce recours était sans intérêt juridique. « Quand l’usine a fermé, 140 big bags de 600 kilos chacun, remplis de déchets susceptibles de contenir de l’amiante, sont restés sur le site, explique Sonia Hertz.

Dès 2016, nous avons écrit à la préfète pour demander que ces sacs, laissés à l’abandon, soient enlevés et confiés à une décharge spécialisée. »

Au printemps 2017, une bâche recouvrant les sacs est installée. Une protection trop sommaire pour être efficace.

L’association sarthoise est têtue. Elle insiste : « Nous sommes intervenus à plusieurs reprises, raconte Jean-Jacques Latour, pour alerter le préfet et le maire sur la persistance du danger. Nous avons distribué des tracts à la population. »

Dans un premier temps, rien ne bouge. Le site est mis en vente par le liquidateur judiciaire. Mais, pour acquérir un site aussi notoirement pollué par l’amiante, les acheteurs ne se bousculent pas au portillon. Le liquidateur attaque le gérant, estimant que ce terrain est invendable en l’état.

Passent les mois et les années. Soulevées par le vent, les bâches prennent leur envol. Sous l’effet des intempéries, les big bags se désagrègent.

L’Adeva s’obstine à demander et redemander leur enlèvement : « Nous sommes souvent revenus à la charge, dit Sonia Hertz, auprès du préfet qui nous a finalement annoncé que le site allait être nettoyé mais.. qu’il fallait attendre.

Nous avons alerté le maire qui a renvoyé la balle au préfet...

En juin 2020, un nouveau préfet est arrivé (le troisième depuis le début de l’affaire !) Il a dit qu’il respecterait les engagements de son prédécesseur sur ce dossier.»

En janvier 2021, les 140 big bags de déchets (près d’une centaine de tonnes) sont finalement retirés du site, comme le réclamait l’Adeva 72 depuis des années. Les opérations sont pilotées par l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie).

Jean-Jacques Latour est soulagé de voir enfin ces big bags déménagés. Il savoure cette victoire, mais regrette qu’elle soit arrivée à la vitesse d’un escargot et qu’il ait fallu déployer tant d’efforts pour l’obtenir.

Il a aussi des inquiétudes sur l’avenir : « Pendant des années, cette entreprise a déversé des fibres d’amiante sur le voisinage. Je crains que de nouvelles maladies de l’amiante se déclarent d’ici 20 ou 30 ans chez les salariés et les riverains.»

Pour Sonia et Jean-Jacques, « un pas a été franchi, mais les bâtiments qui restent sur le site n’ont pas été désamiantés. Notre combat n’est donc pas terminé. »


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°65 (avril 2021)