En octobre dernier, alertée sur un problème d’amiante dans une école technique d’Arlon, une journaliste interroge les autorités. « Tout est sous contrôle », leur répond l’administration qui les autorise même à filmer...Mais ce discours lénifiant est cruellement démenti par les images filmées qui révèlent une importante dégradation de panneaux en Pical (pouvant contenir jusqu’à 70% d’amiante).Après ce reportage, la journaliste étend ses investigations à d’autres établissements scolaires et recueille l’avis de professionnels du diagnostic et du désamiantage. Son enquête dure plusieurs mois.

Elle demande d’abord aux responsables  s’il existe une liste des écoles à désamianter.

Le constat est inquiétant : « Pour la Fédération Wallonie-Bruxelles, il existe certains listings classés par province. Pour le réseau libre, l’amiante est de la responsabilité de chaque direction d’école. Pour le reste c’est le silence radio. Pas facile de connaitre le nombre d’écoles à problèmes, ni où elles se situent exactement.»

Des diagnostiqueurs estiment que 70% des écoles belges en contiendraient encore. L’un d’eux précise même que « 300 écoles ont demandé un diagnostic » et  que parmi elles « il y en aurait une trentaine où il y aurait des actions urgentes à prendre ».

Autre question : où est situé cet amiante et quel est le risque pour les enfants et les enseignants ?

En fait, on peut en trouver dans une multitude d’endroits : dans des faux plafonds, des joints de fenêtres, des murs, des tableaux, des dalles de sol...

Sur un campus, ils repèrent des matériaux amiantés dans des endroits très fréquentés, tels que les couloirs menant aux salles de cours. Une inspectrice du travail réclame des mesures d’urgence.

A chaque fois, les autorités minimisent le danger, en expliquant que les matériaux sont compacts et peu susceptibles de libérer des fibres. Or, dans une école, les enfants jouent, lancent leurs cartables contre les murs ou font des graffitis. En classe, on peut aussi punaiser ou clouer. Autant d’agressions de ces matériaux pouvant libérer dans l’air des fibres cancérogènes.

Vient alors une troisième question : quand un problème est détecté, les travaux sont-ils bien effectués ?

Un diagnostiqueur répond : « Nous ne faisons pas d’actions de police. On ne peut pas savoir si l’école a pris les mesures que nous avons préconisées. C’est au donneur d’ordre de décider s’il agit ou s’il n’agit pas. »

Or les travaux coûtent cher...

La question des moyens pour mettre les écoles en sécurité est posée.

Une syndicaliste enseignante explique que le problème ne peut être réglé au cas par cas par les collectivités locales. Elle réclame une subvention fédérale. Pour définir le choix des priorités, elle avance un critère simple : « intervenir en priorité là où évoluent nos enfants ».

Au terme de cette enquête, beaucoup de questions restent sans réponse.

Une chose est sûre : il y a de l’amiante dans toutes les écoles construites dans les années 60-70. Au moins une trentaine d’entre elles nécessiteraient des travaux d’urgence.


 

Eric Jonckheere co-président de l’Abeva

« Ne pas se mettre la tête dans le sable »

L’Association belge des victimes de l’amiante a alerté la ministre de l’enseignement sur la gravité de la situation et lui a fait des propositions concrètes.

Comment a réagi l’Abeva après les deux reportages de la RTBF ?

Nous nous sommes adressés à la ministre de l’enseignement pour l’alerter sur la gravité de la situation.

Il reste dans notre environnement et dans le bâti public ou privé des quantités importantes d’amiante : flocage, amiante-ciment, Glasal, Pical, portes coupe-feu, calorifugeage...

Il faut empêcher l’apparition de nouvelles victimes.

Les établissements d’enseignement, les élèves, les étudiants et le personnel qui les fréquentent doivent être une priorité.

Le risque est encore accru pour les plus jeunes.

Oui, les organismes jeunes, en croissance rapide, sont plus vulnérables à la contamination par l’amiante. Ses effets néfastes peuvent se manifester plus tôt dans leur vie. On sait aussi que, dans une population jeune, insouciante et turbulente, des mesures de prudence sont plus difficiles à faire respecter en cas de découverte d’amiante dégradé.

Le problème est maintenant posé publiquement

La presse a montré que la réglementation n’était pas partout appliquée. Les questions ont été posées : la protection des lanceurs d’alerte, le droit à l’information, le coût financier du désamiantage...

Tu évoques une sorte de « loi du silence »...

Tout le monde a peur d’effrayer les parents.  Nous pensons qu’ils ont droit, comme le personnel des écoles, à une information précise pour être des citoyens actifs et intervenir dans le débat sur les urgences et les priorités.

L’Abeva a remis une série de propositions à la ministre de l’enseignement.

Elle demande un panorama complet de la situation dans toutes les écoles, publiques et privées, un état des travaux faits et à faire, un recensement des maladies et des décès. Il est plus que temps d’y voir clair. Il faut définir des priorités, évaluer les coûts, trouver des financements...

Ces questions devraient être débattues dans une table ronde. Un comité d’accompagnement devrait être mis en place. Il y va de la santé des élèves et des personnels. Se mettre la tête dans le sable pour  ne pas voir l’ampleur et la complexité du problème est contre-productif.


La loi doit protéger les lanceurs d’alertes

L’Abeva  a été à plusieurs reprises avertie d’un risque amiante sur un lieu de travail ou de vie par des lanceurs d’alerte. Elle demande qu’ils soient enfin écoutés et protégés.

Dénoncer la présence de cette fibre mortelle devrait être perçu comme un acte civique, nécessaire, simple, solidaire et responsable, fait par des personnes de bonne foi dans le but de protéger la santé. Or les lanceurs d’alerte sont souvent stigmatisés, ridiculisés et subissent d’énormes pressions, perdant parfois leur emploi ou subissant des mises à l’écart.

Les enjeux financiers liés au désamiantage sont énormes. Lorsque le problème se pose dans une école, on brandit la menace d’une relance de la guerre entre les réseaux scolaire pour étouffer l’affaire, sous prétexte que les parents risqueraient d’envoyer leurs enfants ailleurs.

En présence d’une situation à risque, la tentation de « balayer la poussière d’amiante sous le tapis » est grande. On reste dans une culture du secret et de la confidentialité, alors que la règle devrait être la transparence. C’est inacceptable.

Lorsque la santé des enfants et leur propre santé sont en jeu, le personnel des écoles et les parents ont droit à une information claire et précise sur la situation et doivent pouvoir donner leur avis sur les mesures à prendre.

Dans les cas sur lesquels l’Abeva a été alertée, l’histoire est souvent la même : le lanceur d’alerte se tourne d’abord vers sa hiérarchie directe, puis sa direction générale. Face à l’inertie et aux menaces de sanctions, il se tourne vers l’administration et se heurte à une porte fermée. Le risque de représailles demeure. Ils se tourne alors vers les journalistes et vers l’association des victimes...

L’Abeva demande que les « lanceurs d’alerte » puissent bénéficier d’un statut juridique, afin d’éviter que la mise l’écart ou même le renvoi ne soit leur seule récompense.  Il faut que sortent de l’ombre ces indignés qui osent parler.


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°48 (avril 2015)