Quelle est la responsabilité de l’amiante dans le cancer de l’estomac et le cancer colo-rectal ?

Le CIRC a conclu qu’un lien causal entre cancer du larynx et amiante est clairement établi, ainsi qu’un lien entre cancer de l’ovaire et amiante. Nous allons voir quelles sont ses conclusions pour le cancer de l’estomac et le cancer colo-rectal, sachant que la communauté médicale en France n’a  -  semble-t-il - pas pris la mesure de ces données.

 La frilosité du corps médical

Le cancer de l’estomac et le cancer colo-rectal ne figurent dans aucun des tableaux de maladies professionnelles.

Les demandes sont donc examinées par des Comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) qui doivent statuer sur le lien direct et essentiel entre la maladie et le travail effectué.

Pour ces deux cancers, la réponse
- à quelques exceptions près - est presque toujours un refus.

Pourquoi des fibres d’amiante dans les voies digestives ?

Les fibres d’amiante pénètrent dans l’organisme par les voies respiratoires. Elles descendent dans les bronches et peuvent aller jusqu’aux alvéoles pulmonaires.

Pour se débarrasser des particules étrangères, l’organisme a des mécanismes d’épuration :  la paroi des bronches  est couverte de mucus et tapissée de cils. Les particules sont piégées dans le mucus, puis remontées vers le haut par le flux que crèe le battement des cils vibratiles. 

Cet « escalator » fait remonter des  fibres d’amiante qui ont pénétré dans les bronches, mais aussi des cellules nettoyeuses, les macrophages, qui ont capté et englobé des fibres parvenues jusqu’au niveau des alvéoles pulmonaires.

Arrivées au carrefour aéro-digestif, dans une région appelée hypopharynx, les particules piégées se déversent dans le tube digestif.

Pourquoi certaines localisations pour les cancers ?

Le tube dfigestif traite les apports alimentaires (voir schéma) avec un passage rapide dans certains endroits (comme l’œsophage ou l’intestin grêle) et un certain temps de séjour dans d’autres (comme l’estomac, le côlon et le rectum).

C’est dans ces régions où les aliments séjournent un certain temps  que les fibres d’amiante vont pénétrer dans les cellules du revêtement des structures, appelé épithélium, et provoquer à la longue des dégâts.

Au départ du tube digestif, l’œsophage ne semble pas concerné par les fibres d’amiante (il n’y a pas de données probantes).

Par contre la zone du carrefour aéro-digestif, l’hypopharynx, est particulièrement impactée.

Le CIRC estime qu’il existe une association forte entre l’exposition à l’amiante  et le cancer de l’hypopharynx.

Un cancer peu fréquent, en nette diminution

Le cancer de l’estomac n’est pas très fréquent en France. Selon les derniers chiffres disponibles (année 2012), de l’ordre de 6500 nouveaux cas sont détectés par an. Il se situe au 10ème rang des cancers chez l’homme (2,2 %) et au 13ème rang chez la femme (1,5 %).

Environ 4400 personnes meurent chaque année de cette maladie.

Les hommes sont 2 fois plus touchés que les femmes et l’âge médian de survenue est de l’ordre de 75 ans (la moitié avant 75 ans et l’autre moitié après 75 ans).

La fréquence de ce cancer a nettement diminué dans les pays développés ces dernières décennies, mais il reste fréquent dans les pays en voie de développement et certains pays comme la Japon, l’Islande.

La disparité géographique est illustrée par exemple par la comparaison entre l’Inde (0,8 nouveaux cas pour 100000 habitants) et le Japon (95,5 nouveaux cas pour 100000 habitants).

Les habitudes alimentaires : un facteur important

L’explication de la diminution tient dans les habitudes alimentaires avec la conservation des aliments par salage et fumage, remplacée par la réfrigération et la consommation importante de fruits et légumes.

Plus de 90 % des cancers de l’estomac sont des adénocarcinomes.

L’ulcère de l’estomac était connu depuis de nombreuses années comme faisant le lit du cancer. La découverte d’un microbe associé à cette pathologie, Helicobacter pylori, a changé la donne, permettant un traitement efficace contre ce microbe.

Mais sa présence augmente fortement le risque de faire un cancer de l’estomac.

Les facteurs professionnels :  amiante, HAP, huiles, graisses

Il existe des facteurs professionnels, au premier rang desquels l’amiante. Le CIRC estime qu’il existe une association positive entre l’exposition à l’amiante et le cancer de l’estomac.

Mais sont aussi identifiés d’autres facteurs professionnels, tels que les poussières de charbon et de silice (mines), les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) émanant des goudrons chauffés, les huiles et graisses.

Quelques cas de cancers de l’estomac liés à l’amiante ou liés à l’exposition aux huiles et graisses, ont donné lieu à des avis favorables de CRRMP qui ont intégré les données du CIRC.

D’autres CRRMP font de la résistance en dénaturant les conclusions du CIRC.

En pareil cas, il faut combattre une telle interprétation erronée et porter le débat devant les tribunaux en ne négligeant aucun facteur de risque professionnel, si l’exposition est avérée, et en faisant valoir que, pour une multi-exposition, les effets des différents toxiques s’additionnent et peuvent même se multiplier.


LES DONNÉES DU  CIRC

Cet article s’appuie sur les données du Centre international de recherche contre le cancer (CIRC), émanation de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Le CIRC fait régulièrement des synthèses sur les données concernant les cancérogènes.

Ces synthèses font l’objet de monographies dont certaines sont accessibles sur Internet, mais en anglais.

A partir de ces données est construite une classification régulièrement revue qui fait autorité  et qui distingue notamment :

- les cancérogènes avérés
pour l’homme (groupe 1),

- les cancérogènes probables (groupe 2A ),

- Les cancérogènes possibles (groupe 2B).

L’amiante est naturellement classée en groupe 1 (cancérogène avéré) et cela depuis 1973, sachant que le CIRC a été créé en 1965.

En 2009 le CIRC a fait le point sur le rapport entre l’exposition à l’amiante et les
cancers ayant des sites autres que le poumon et la plèvre (monographie 100C).


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°48 (avril 2015)