Le MEDEF veut supprimer les Comités d’Hygiène de Sécurité et des Conditions de travail (CHSCT) dans de nombreuses entreprises. La perte de cet outil de défense de la
santé au travail serait un recul social majeur et un mauvais coup pour les victimes de l’amiante. Serge Franceschina, administrateur de l’Addeva 93 et membre du syndicat CGT des retraités du Centre de production Sanofi à Vitry (94), nous dit pourquoi.

Quelle est selon toi, la place du CHSCT dans le combat contre l’amiante ?

Sa mission première, c’est la prévention : protéger la santé et la sécurité des salariés, pour éviter qu’ils ne soient victimes d’une maladie liée à l’amiante dans 30 ou 40 ans.

La loi donne au CHSCT des moyens étendus : les visites de secteurs, le droit d’alerte, l’enquête sur un accident ou une maladie professionnelle, l’expertise, la saisine de l’inspection du travail qui peut arrêter un chantier de désamiantage, les plans de prévention pour les travaux réalisés par une entreprise extérieure...**

Il doit se préoccuper de la santé des salariés en CDI, mais aussi des précaires et des sous-traitants.

Quelle aide peut apporter un CHSCT pour l’indemnisation des victimes et des ayants droit ?

S’occuper des maladies professionnelles n’est pas une démarche spontanée pour un syndicaliste. Il a fallu attendre 2005 pour que nous prenions conscience de nos responsabilités et de l’aide que nous pouvions apporter aux malades et aux veuves.

A Vitry, le déclic s’est produit lorsque le médecin du travail, sur demande du CHSCT, a communiqué une liste de 46 maladies professionnelles liées à l’amiante. Un chiffre énorme ! ça nous a fait un choc.

Nous avons alors réalisé que notre connaissance du terrain nous permettait de leur apporter une aide efficace. Aujourd’hui le CHSCT a obtenu d’être informé en temps réel des déclaration en maladie professionnelle et pas seulement une fois par an par le rapport du médecin du travail.

Nous avons aussi mesuré l’importance de garder une trace des expositions professionnelles passées.  La loi prévoit la délivrance par l’employeur d’une attestation d’exposition à l’amiante (et à d’autres cancérogènes) aux salariés qui quittent l’établissement. Elle ouvre droit à un suivi médical gratuit pour les retraités.

Pour que l’employeur ne soit pas seul juge, le CHSCT a obtenu la création d’une commission avec le médecin du travail et les élus pour retrouver les expositions des salariés qui partent.

Le CHSCT peut-il aider des victimes et des familles engagées dans une action judiciaire ?

Au contact de l’Andeva nous avons mesuré l’impact des actions en « faute inexcusable de l’employeur » et compris l’importance des attestations de collègues de travail et des PV de CHSCT dans ce type de procédure. Sanofi a déjà été condamné sept fois par un tribunal des affaires de Sécurité sociale !

Soraya Berkane, la fille d’un salarié du Centre de production décédé d’un cancer bronchopulmonaire est d’ailleurs à l’origine d’un amendement à la loi de financement de la Sécurité sociale qui restreint la possibilité pour un employeur condamné d’invoquer « l’inopposabilité » pour ne pas payer l’indemnisation des préjudices.

Si le CHSCT et les délégués peuvent aider à faire reconnaître une maladie ou une faute inexcusable, c’est parce qu’ils sont porteurs d’une mémoire collective des situations de travail passées. Une veuve a rarement une idée précise du poste de travail de son mari. Si le dossier est vide, un avocat même excellent, peut échouer. Les élus au CHSCT peuvent recueillir des témoignages, consulter la collection des PV du CHSCT dont les archives sont une véritable mine.

 Comment conçois-tu les rapports entre l’activité d’un syndicat et celle d’une association ?

Les deux sont absolument complémentaires : les syndicalistes ont la connaissance du terrain et la mémoire des expositions, l’association apporte une certaine expertise dans la connaissance des maladies ; elle a l’expérience des rapports avec les caisses primaires et le Fiva et connaît les  obstacles et des pièges qu’on peut rencontrer dans le suivi d’un dossier d’indemnisation.

Notre syndicat CGT des retraités des Centres de production et de recherche a adhéré à l’Addeva 93 comme personne morale.

Les Comités d’établissements des Centres de production et de recherche ont apporté une aide  financière à la réédition du « Guide amiante » de l’association qui a été envoyé à 1500 médecins de Seine-Saint Denis. »


LES PLANS DU MEDEF

Lors des négociations sur le « dialogue social », le MEDEF a proposé de créer un « instance unique de représentation du personnel » dans les entreprises de plus de 50 salariés. Ce conseil d’entreprise remplacerait les délégués du personnel, le comité d’entreprise et le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).

Le CHSCT sous sa forme actuelle disparaîtrait, mais pourrait, le cas échéant, être remplacé par une « commission » du conseil d’entreprise pour l’assister dans ce domaine.

Comité, commission ? Les termes peuvent sembler proches. En fait, la différence est énorme.

Le CHSCT est une instance  spécialisée, autonome, dotée de prérogatives étendues. La mission première de ses élus est de préserver la sécurité et la santé des salariés. Face à des situations ou des projets dangereux, il peut jouer le rôle d’un véritable contre-pouvoir.

Le conseil d’entreprise  au contraire serait une instance touche-à-tout. Dans ce conseil  qui s’occuperait des salaires et de l’emploi, une commission pourraît le cas échéant se préoccuper de la santé au travail, une autre de la cantine, une autre des loisirs... La santé serait inévitablement marginalisée.

Les négociations ont capoté.  Le gouvernement osera-t-il supprimer les CHSCT par décret pour donner des gages au patronat ? Ce recul serait catastrophique.


LES PETITS CARNETS

En consultant les archives du CHSCT pour la demande d’inscription du Centre de production Sanofi de Vitry sur les listes «  amiante », Serge a  retrouvé non sans émotion les petits carnets où un ancien secrétaire du CHSCT notait tous les événements au jour le jour, avant l’apparition de l’informatique. Une mine d’informations, un véritable trésor...

 


UNE HECATOMBE

Sur moins de 100 personnes ayant travaillé en chaufferie depuis les années 60, on dénombre 8 maladies liée à l’amiante, dont
7 décès. En 2008, le CHSCT a demandé une cessation anticipée d’activité pour les salariés de ce secteur. La direction, qui s’est dite « surprise » par ces chiffres, a «  compati avec les familles » mais « s’en tiendra à l’application de la réglementation. »


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°48 (avril 2015)