« Les échanges d’expériences ont été fructueux »

Venues de France et d’Italie, des délégations de l’Andeva et de l’Afeva ont tenu une réunion avec des associations espagnoles affiliées à la Fedavica. Hélène Boulot y était avec Patrice Raveneau. Elle en tire un bilan enthousiaste.

Par qui était organisée cette rencontre ?

Par les associations espagnoles et la coopérative d’avocats « Col-lectiu Ronda  ». Une vingtaine de personnes étaient présentes. La fédération des associations espagnoles (Fedavica) regroupe environ 5000 adhérents.

Quelle est la situation des victimes en Espagne ?

On estime qu’il y a 80 000 malades de l’amiante dans le pays et que 50 000 personnes vont mourir dans les années 2010 et 2020. Les principaux secteurs touchés sont la construction et la réparation navale ainsi que le BTP (avec l’amiante-ciment).

Avez-vous fait des rencontres intéressantes ?

Oui, les témoignages que nous avons recueillis ressemblent à ceux que nous avons entendus à l’Andeva depuis 20 ans. « Nous ne savions pas que l’amiante était dangereux, nous ont expliqué les dockers de Barcelone qui sont toujours en activité. Ces fibres bleues étaient en suspension dans l’atmosphère. Elles étaient très belles à la lumière... Pour nous protéger, on nous faisait boire du lait... ».
Barcelone était le principal port de déchargement de l’amiante dans toute la Catalogne jusqu’à l’interdiction en 2002.. Nous avons aussi rencontré des retraités d’Alsthom qui crèent une association des salariés de Federal Mogul, des anciens des chantiers navals... Nous avons parlé avec des représentants de l’association des malades de l’amiante du Prat dans la banlieue de Barcelone et de Madrid.

Comment les maladies professionnelles sontelles indemnisées ?

Il existe un système de reconnaissance ouvrant droit à une petite rente. Mais toutes les maladies ne sont pas reconnues : seule l’asbestose et le mésothéliome pleural sont pris en charge. Faire reconnaître un cancer du poumon est difficile. Les plaques pleurales ne sont pas considérées comme une maladie.

Quelles batailles judiciaires mènent les associations espagnoles ?

Elles ont fait condamner des entreprises comme Uralita ou Alsthom par une procédure équivalente à la faute inexcusable de l’employeur en France. Ces actions ont permis une majoration de la rente versée à des malades et des veuves.

Nous avons aussi rencontré les avocats qui ont porté le dossier de l’amiante en lien avec les associations. C’est un collectif qui est organisé en coopérative. (voir page suivante)

Comment se comportent les industriels de l’amiante espagnols ?

Les entreprises qui ont contaminé leurs salariés comme Uralita continuent en 2015 à nier les effets de l’amiante. Elles tiennent aujourd’hui le discours que nous avons combattu en France dans les années 90 : « Toutes les variétés d’amiante ne sont pas dangereuses…. l’amiante a sauvé des vies…. ».

Que vous ont apporté les échanges entre les représentants des associations d’Espagne, de France et d’Italie ?

Ils ont été très utiles. Alessandro Pugno, de l’Afeva, a fait le point sur le procès pénal contre Eternit en Italie.

J’ai fait une présentation de l’allocation de cessation anticipée des travailleurs de l’amiante (Acaata) et du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (Fiva).

Aucun de ces dispositifs n’existe en Espagne. Nos amis espagnols ont posé beaucoup de questions sur le fonctionnement de ces deux dispositifs et sur la façon dont nous avions pu agir en France pour obtenir ces droits pour les victimes et leurs proches.

La Fédération espagnole des victimes prévoit une manifestation des victimes de l’amiante à Madrid en octobre prochain pour demander la mise en place de tels dispositifs en Espagne.

Enfin, les derniers échanges de cette rencontre ont porté sur l’insuffisance de la législation en matière de prévention. En Espagne, les seuls dispositifs législatifs concernent les travailleurs qui interviennent sur les chantiers de désamiantage. Il n’existe pas d’obligation de repérage d’amiante dans les immeubles bâtis, ni a fortiori de diagnostic amiante.


LE COLLECTIF « COL-LECTIU RONDA »
Une coopérative au service du Droit des travailleurs

En 1972, durant la dictature, six avocats ont créé un collectif pour la défense des droits des salariés face à la Sécurité sociale et pour de meilleures conditions de travail.

Ils luttaient alors contre l’arsenal hyper- répressif mis en place sous Franco et pensaient qu’avec l’avènement de la démocratie, leur action n’aurait plus lieu d’être. En fait, après la mort de Franco en 1975, leurs missions de défense de la santé et des conditions de travail des salariés n’ont cessé dese développer.

Des avocats en autogestion

Dans les années 80, ils décidèrent de se constituer en coopérative. Ils sont aujourd’hui 104 salariés (juristes, avocats, personnel administratif).

Toutes et tous sont parties prenantes des actions menées et des décisions prises au sein de la structure. La forme juridique de coopérative permet cet engagement militant des personnes travaillant au sein de Col-lectiu Ronda, quel que soit leur poste. Le fonctionnement par assemblées générales, et l’autogestion permettent une implication des travailleurs de la coopérative dans la définition des orientations et dans les choix.

200 procès gagnés contre Uralita

Les actions judiciaires de la coopérative touchent deux domaines : la défense de la santé des travailleurs, mais aussi la défense du travailleur d’un point de vue social, en luttant contre les discriminations ou les expulsions par exemple.

Depuis 2009, Col-lectiu Ronda a gagné dans plus de 200 dossiers contre Uralita ; ils ont organisé des réunions publiques régulièrement à Castelldefels et Cerdanyolas, deux villes proches de Barcelone où les industriels ont transformés l’amiante et exposé les travailleurs et les habitants pendant des décennies.


DEUX VILLES ESPAGNOLES EMPOISONNEES PAR L’AMIANTE

Durant des décennies, l’industrie de transformation de l’amiante a semé la maladie et la mort dans deux villes de la banlieue de Barcelone : Cerdanyola, et Castelldefels. Dans la première, l’entreprise s’appelait Uralita ; dans la seconde, c’était La Rocalla. L’amiante y a frappé non seulement les ouvriers de l’usine, mais aussi leurs familles et des centaines d’habitants qui n’avaient jamais mis les pieds dans l’usine.

« Quand Julian est allé le voir, le pneumologue a déchiré le diagnostic d’asbestose pour écrire « asthme » à la place... »

 

CERDAGNOLA : rencontre avec deux ouvriers d’Uralita

« A Cerdanyola, nous avons rencontré Vicente et Julian dans les locaux de la coopérative d’avocats Col-lectiu Ronda. Ils étaient venus témoigner contre Uralita. Vincente nous a montré des traces rouges sur l’intérieur de ses bras, explique Hélène Boulot. Ce sont des signes caractéristiques d’un manque d’oxygène dans le sang. On les rencontre dans les cas d’asbestose grave. En France, ils sont devenus rares ; en Espagne ils sont encore monnaie courante. »

Le développement industriel de Cerdanyola a débuté en 1907 avec la construction de 12 énormes usines rangées sur 1,5 kilomètre de long. La ville a grandi avec elles.

« Les rues ont été garnies de morceaux d’amiante, pour éviter la boue, raconte Hélène. Comme à Thiant dans le Nord de la France ou à Casale Monferrato en Italie, l’usine d’amiante-ciment distribuait gratuitement ses rebuts... »

Mais Thiant et Casale se sont révoltées ; A Cerdanyola presque tout le monde se tait.

« Vicente et Julian militent pour que soit désignée la responsabilité de l’amiante dans le malheur qui accable la ville. Mais ils se sentent bien seuls. En attendant, les nombreuses victimes de mésothéliomes s’éteignent presque sans bruit. Quand Julian est allé voir le pneumologue de Cerdanyola, il a déchiré le diagnostic d’asbestose pour écrire « asthme » à la place... »

Pourquoi si peu de réactions ?

On cite un arrêt récent de la Cour de cassation qui oblige des victimes à restituer des indemnisations obtenues en première instance et confirmées par la cour d’appel. Près de quatre millions à rembourser, avec les intérêts ! Il y a de quoi être sonné…

On évoque la prise de conscience tardive du danger en Espagne où l’amiante n’a été interdit qu’en 2002.

On parle aussi de la dictature franquiste qui a sévi jusqu’en 1975 et de la frénésie de construction qui a suivi sa chute. Il fallait imaginer, construire, moderniser…

CASTELLDEFELS : L’usine La Rocalla était plus grande que le village

A Castelldefels, l’entreprise s’appelait La Rocalla. L’usine était plus grande que le village. Les ouvriers venaient de toute l’Espagne pour trouver du travail, principalement des régions les plus pauvrescomme l’Andalousie ou l’Extremadure. Plusieurs membres d’une même famille y travaillaient.

Les maladies et les morts de l’amiante ont suivi. Les gens ne savaient pas de quoi ils mourraient.

On disait : « Ils sont mort de la Rocalla  », y compris dans les années 2000 !

Les premières mobilisations et manifestations devant l’usine ont eu lieu en 2008.

Des procès ont été gagné pour d’anciens travailleurs mais aussi pour les épouses qui lavaient les bleus de travail.

Aujourd’hui, le groupe Uralita est propriétaire de La Rocalla.


LE TRAVAIL DU DOCTEUR TARRES

Ancien médecin urgentiste, le Docteur Tarres s’installe à Cerdanyola en 1973 comme médecin de ville. Il reçoit dans son cabinet des travailleurs d’Uralita atteints de problèmes pulmonaires. Leur nombre est anormalement élevé. Il commence alors à comptabiliser les pathologies et les décès à l’amiante...

La création d’un observatoire des maladies

En 2002, il constitue un groupe de 10 médecins« l’observatoire de pathologiede l’amiante ».

Les médecins de la ville et des alentours renvoient alors des informations vers ce groupe, qui enregistre les cas.

Deux conclusions s’imposent :

1) Le nombre de pathologies liées à l’amiante augmente.

2) La proportion de malades qui n’ont jamais travaillé dans l’usine est très importante : 33,4% pour l’ensemble des pathologies, 40% pour le mésothéoliome pleural !.

« Le docteur a localisé les cas sur une carte »

« Le docteur Tarres nous a montré une carte où il a localisé les cas. Il nous a expliqué que la plupart des maladies se situent dans une zone qui part de l’usine et suit le sens du vent qui se dirige vers la mer, dit Hélène.

Il estime qu’il y a actuellement 50 nouveaux cas de mésothéliome par an (sur une population de 400 000habitants). »

Pendant toutes ces années, le Dr Tarres a subi des pressions. Les maires de l’époque lui reprochaient de donner une mauvaise image de la ville…

La Sécurité sociale espagnole va bientôt obliger le docteur Tarres à prendre sa retraite.

« Il voudrait continuer, bénévolement, à enregistrer et suivre les maladies liées à l’amiante, ajoute Hélène. Il a peur que tout ce travail disparaisse.

Il nous a demandé si l’Andeva pouvait intervenir pour l’aider.

[En Espagne, les médecins sont salariés de la Sécurité sociale. On ne choisit pas son médecin ; on prend celui de sa circonscription si l’on veut que les examens soient remboursés].


UN FILM, UN HOMMAGE

« Unis contre l’amiante »

 

Un émouvant reportage a été tourné par le collectif « Col-lectiu ronda » à l’occasion de l’inauguration d’une plaque commémorative à Castelldefels en hommage aux victimes de l’amiante.

Il raconte l’histoire de ces familles d’ouvriers, venus des régions les plus pauvres de l’Espagne pour travailler à La Rocalla.

Ils n’avaient rien. L’usine d’amiante leur donnait un emploi, un salaire, une maison...

Elle les faisait vivre et les faisait mourir.

Les témoignages des ouvriers et desfamilles sont accablants.

Beaucoup venaient de la campagne. Ils ne savaient rien du danger.

Le film montre la lente prise de conscience qui a permis ce difficile combat judiciaire .

Les avocats du collectif évoquent les tout premiers procès : l’émotion des premières rencontres avec les victimes de ce crime industriel, le déni cynique des employeurs, la joie des premières victoires judiciaires...

Un combat qui laissera des traces indélébiles.


Articles tirés du Bulletin de l’Andeva N°49 (septembre 2015)