Le Bulletin de l’Andeva ouvre ses colonnes à deux animateurs de l’Association des victimes de l’amiante au Québec. Norman King et Micheline Marier font le point sur la situation.

Norman KING

La difficile reconnaissance  des maladies professionnelles

Contrairement à l’accident de travail qui est causé par un événement imprévu et soudain et attribuable à toute cause, une maladie professionnelle est habituellement de développement lent et insidieux; la preuve du lien avec le travail est donc beaucoup plus difficile à établir. La Loi québécoise sur les accidents du travail et les maladies professionnelles prévoit quand même une présomption légale facilitant ainsi la preuve à faire pour certaines maladies prévues par une annexe à la fin de la Loi. 

Il y a deux obstacles majeurs que toute victime au Québec rencontre sur son chemin visant la reconnaissance du caractère professionnel de sa maladie. D’une part, l’annexe de la Loi est désuète et n’a pas été mise à jour depuis plus de 30 ans. Bien que l’annexe précise que la fibre d’amiante est une cause de cancer pulmonaire et de mésothéliome, elle n’inclut aucun autre contaminant chimique reconnu cancérigène par le Centre international de recherche sur le cancer (silice, brai de goudron de houille, benzène, émanations de diesel, etc.) comme cause de maladie professionnelle. De plus, les autres cancers causés par l’amiante (exemple : mésothéliome du péritoine, cancer du larynx) ne sont pas couverts par la présomption. C’est donc la victime de maladie professionnelle qui doit démontrer le lien entre son cancer et l’exposition à ces agents cancérigènes en milieu de travail. Selon différentes études scientifiques, à peine 5% des cancers professionnels au Québec sont reconnus comme tels. 

D’autre part, étant donné que les coûts d’indemnisation pour une maladie professionnelle sont imputés au dossier de financement de l’employeur et que ces coûts peuvent être très élevés (durée de l’incapacité, besoin de réadaptation, etc.), les employeurs contestent souvent ces réclamations et engagent des experts pour amener les tribunaux à rejeter celles-ci, ce qui veut dire que la victime de maladie professionnelle ne recevra pas d’indemnités. Voici un exemple flagrant pour illustrer : il est bien connu que les scientifiques n’ont pas encore identifié de seuil sécuritaire d’exposition à l’amiante pour éviter le développement d’un cancer pulmonaire ou un mésothéliome. Malgré ce fait, des employeurs engagent des experts qui déposent des articles publiés dans des revues scientifiques et qui affirment que le risque de développer un mésothéliome existe seulement pour les travailleurs fortement exposés à l’amiante. Dans un dossier, le fait que les auteurs de ces articles aient été financés par l’industrie automobile impliquée dans des litiges concernant les maladies professionnelles causées par l’amiante dans les plaquettes de freins n’a pas dérangé le juge administratif chargé du dossier et il a accueilli la contestation de l’employeur. 

Nous continuerons donc à exercer nos pressions sur le gouvernement québécois pour qu’il apporte les changements nécessaires à la Loi afin de permettre une véritable reconnaissance des maladies professionnelles au Québec. Il est clair pour nous qu’une reconnaissance du fardeau réel de ces maladies amènera les employeurs et la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) à investir davantage en prévention, car le coût d’indemnisation deviendra très lourd à supporter.

Norman KING,
M.Sc. Épidémiologie et conseiller scientifique de l’Association des victimes de l’amiante du Québec (AVAQ)


Micheline Marier

Que faire de 800 000 tonnes de déchets amiantés ?

Cent trente six années d’extraction de l’amiante en sol québécois, cela laisse des traces.  On estime à 800 000 tonnes les résidus qui émaillent le paysage de nos deux régions de l’amiante.

Pourtant, elles en ont fait des tentatives pour y remédier en les recouvrant de végétation.  Succès mitigé. La végétation pousse mal sur des pentes abruptes de « stériles ».

On a proposé de les « remettre dans le trou », mais quelles poussières ne se dégageraient-elles pas de l’opération !

Une troisième voie a été évoquée il y a déjà quelques décennies : tirer partie des minéraux que renferme l’or blanc, comme on appelle ici l’amiante : magnésium, nickel, etc. Différents projets sont sur la table actuellement, tous vantant leur caractère « d’économie circulaire », un concept issu du développement durable.

Mais voilà, peut-on extraire les résidus des tas d’accumulation sans remettre les fibres en circulation dans l’air environnant ? Pourra-t-on assurer la santé des travailleurs et du voisinage?

Le gouvernement du Québec a mandaté le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) pour éclaircir ces questions, ainsi que la situation plus générale de l’amiante au Québec. Car au-delà des traces que représentent les déchets miniers, combien de tonnes subsistent encore dans
nos résidences, immeubles, usines et routes?

Le BAPE a remis son rapport cet été. D’emblée, il affirme sans équivoque que la « valorisation » des résidus doit « répondre à deux modalités incontournables. Il faut principalement s’assurer que les travaux d’excavation et de manutention des haldes n’entraînent aucun risque supplémentaire pour les travailleurs et la population. Il est également impératif que le procédé d’extraction utilisé entraîne la destruction totale des fibres d’amiante, et ce, sans nuire à la qualité de l’air.»

Le BAPE s’appuie sur le consensus international selon lequel l’amiante est un cancérigène avéré chez l’humain, que toutes ses formes sont cancérigènes et qu’aucun seuil sécuritaire d’exposition n’a été mis en évidence pour ce risque.

Vu de France, cela pourrait sembler aller de soi. Mais il faut considérer qu’outre les résidus miniers et les matériaux de construction amiantés, notre production séculaire a laissé un autre type de trace dans notre pays, celle de décennies de mensonges sur la relative innocuité de l’amiante produit au Québec.

Il s’agit à présent de sortir de ces ornières, et que notre gouvernement applique les recommandations du BAPE.

Cet été, le gouvernement du Québec a publié son projet d’abaisser la norme d’exposition à l’amiante en milieu de travail à 0,1 f/cm3, y compris pour le chrysotile, la fibre produite au Québec.

C’est le résultat d’un long combat. En 1978, un siècle après l’ouverture des mines d’amiante, et à la suite de la deuxième grande grève de l’amiante, le Québec se donnait une norme correspondant à ce que l’on trouvait ailleurs en Occident. Par la suite, un écart s’est creusé et notre limite actuelle de
1f /cm3 est 10 fois plus élevée qu’ailleurs, et même 100 fois plus en comparaison avec la France. Un retard de 25 à 30 ans sur nos voisins ontarien et américain, qui s’explique par le combat contre le mouvement international d’interdiction de l’amiante mené par nos gouvernements avec l’appui de l’industrie et des syndicats miniers de l’époque. Et le déni des effets nocifs de l’amiante chrysotile.

Le Québec a mis fin à l’exploitation de l’amiante en 2012, le Canada à son utilisation en 2018 ;  des organismes publics, des groupes de la société civile et des centrales syndicales militent depuis plusieurs années pour un resserrement de la norme, et une amélioration des mesures de prévention et d’indemnisation.

Mais les anciennes régions minières connaissent actuellement des projets d’exploitation des montagnes de résidus pour en extraire du magnésium ou d’autres minéraux et un lobby s’est constitué pour maintenir la norme au niveau de 1 f/cm3, afin de ne pas nuire à cette nouvelle industrie. Heureusement, le Bureau d’audiences publiques en environnement, mandaté par Québec pour donner un avis sur ces projets et plus généralement sur la question de l’amiante, a recommandé cet été un abaissement de la norme à 0,1 f/cm3. Une recommandation reprise par le gouvernement.

Nous ne devons pas nous arrêter là. Le règlement sur la Santé et la sécurité du travail « prévoit les concentrations de contaminants dans l’air sous lesquelles un travailleur peut être exposé sans porter atteinte à sa santé ». Nous savons qu’il n’y a pas de seuil connu d’innocuité pour l’amiante. C’est pourquoi nous exigeons un nouvel abaissement à 0,01 f/cm3 d’ici 5 ans, une prise en compte des fibres courtes, et un comptage par microscopie électronique. Le combat continue.

Micheline MARIER,
secrétaire-trésorière de l’AVAQ, titulaire d’une
maitrise en histoire


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°64 (novembre 2020)