En janvier 2020, à Kobé au Japon, s’est tenue une conférence scientifique organisée par le Hyōgo Occupational and Safety Center  pour marquer le 25e anniversaire du grand tremblement de terre qui a ravagé cette ville le 19 janvier 1995.

Le séisme a causé des dégats humains et matériels considérables : 6 400 morts, 43 000 blessés, 316 000 habitants évacués, près de 250 000 bâtiments totalement ou partiellement détruits...
Beaucoup de constructions étaient truffées de matériaux amiantés. En s’écroulant, elles ont libéré des nuages de fibres cancérogènes. Vingt-cinq ans après, les premiers cas de mésothéliome apparaissent. Beaucoup d’autres suivront.

La conférence de Kobé a permis non seulement d’évoquer les effets à long terme de ce séisme, mais aussi de les comparer à ceux d’autres catastrophes, telles que l’écroulement des tours du World Trade Center en 2001, le tsunami de 2004 dans l’océan indien, le tremblement de terre de 2005 en Indonésie, ou des « méga-feux » qui ont ravagé d’immenses territoires en Australie l’an passé.

Les ravages des tremblements de terre

Des mesures réalisées par l’Agence japonaise de l’environnement au lendemain du temblement de terre de Kobé ont révélé d’importantes concentrations de fibres d’amiante dans l’air. On estime que les bâtiments endommagés contenaient environ 3 740 tonnes de flocages et de calorifugeages amiantés.

25 ans après, on dénombre six cas de mésothéliome reconnus en maladie professionnelle chez des personnes ayant été exposées lors de travaux de récupération après le séisme.

Le temps de latence qui s’écoule entre l’inhalation  de fibres d’amiante  et la survenue de ce cancer de la plèvre est de 30, 40 voire 50 ans. Au cours des prochaines décennies les cas de mésothéliome vont se multiplier. Le pire reste à venir.

La contamination par l’amiante a également été signalée comme un danger au lendemain du tsunami de l’océan Indien (2004), et des tremblements de terre de 2005 en Indonésie et de 2011 en Nouvelle-Zélande.

L’impact d’un attentat terroriste sur la santé des survivants

L’attentat terroriste du 11 septembre 2001 qui a provoqué l’effondrement des tours du World Trade Center à New York a tué sur le coup près de 3000 personnes. Quand les tours jumelles se sont écroulées, un gigantesque nuage de poussières et de gaz toxiques issus de l’incendie s’est répandu sur le quartier. Dix-neuf ans après, on commence à voir ses effets à long terme sur la santé des sauveteurs et des survivants : 14 000 rescapés de cette tragédie ont été frappés par un ou plusieurs cancers. Plus de 700 en sont décédés.

Il y avait dans les tours jumelles plusieurs centaines de tonnes de matériaux contenant de l’amiante.

Quelques jours après l’attentat, des scientifiques américains signalaient des niveaux d’empoussiièrement dangereux en fibres d’amiante dans des appartements et des bureaux proches des tours jumelles.

Les conséquences de « méga-feux » incontrôlables

En Australie, en juin 2019, de gigantesques incendies ont  ravagé 18,6 millions d’hectares de brousse et de forêts et entraîné la destruction de 5 900 bâtiments dont  2779 habitations.

Beaucoup de ces bâtiments contenaient des matériaux amiantés.

Interrogé sur les conséquences sanitaires de ces embrasements, le professeur Ken Takahashi, directeur de l’Asbestos Diseases Research Institute (ADRI) à Sydney, a déclaré : « L’une des principales préoccupations des pompiers, des intervenants d’urgence et des résidents est l’impact sur la santé respiratoire de l’exposition à la fumée et au « panache » persistant qui contient un large éventail de composés organiques volatils, de gaz et de poussières, y compris l’amiante. »

Il y a eu à la fois formation de cocktails chimiques avec des effets de synergie et  - sous l’effet de la chaleur - apparition de produits de décomposition très dangereux.

Un suivi médical à long terme pour toutes les personnes exposées

Toutes ces catastrophes - qu’elles soient le résultat d’un déchaînement de la nature ou de la folie des hommes - posent un problème incontournable de santé publique. Au-delà de leurs effets immédiats, il faut organiser un suivi médical systématique à grande échelle, sur plusieurs décennies, pour toutes les personnes exposées à des produits cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction.

Les plus exposées d’entre elles sont classiquement les pompiers et les secouristes bénévoles ainsi que les intervenants pour le déblaiement et le nettoyage.

Le suivi des victimes du World Trade Center

Un programme de recherche et de suivi médical à long terme,  le World Trade Center Health Program (WTC), a été mis en place pour les victimes de l’attentat du 11 septembre.

Au 31 décembre 2019, plus de 100 000 personnes s’y étaient inscrites.

Le programme comptabilise les examens de suivi médical, les diagnostics et les traitements. Il publie un rapport annuel depuis 19 ans.

Une liste officielle de 68 cancers potentiellement attribuables aux suites de cet attentat a été dressée par les autorités sanitaires.

Toutes les données statistiques sont consultables en ligne sur le site du WTC :
https://www.cdc.gov/wtc/

Le gouvernement fédéral a voté une loi repoussant de 2020 à 2090 la date limite de dépôt des demandes auprès d’un fonds fédéral d’indemnisation dédié.

Le programme australien

En Australie, le gouvernement a annoncé que 5 millions de dollars seraient consacrés à un programme visant à « relier les chercheurs, les institutions, les décideurs et les associations professionnelles », pour étudier l’impact physiologique et psychologique de ces incendies géants sur la population.

Le Dr Takahashi, directeur de l’Institut de recherche australien sur l’amiante (Asbestos Diseases Research Institute - ADRI), a salué cette initiative.

Il a cependant regretté que ce programme soit de courte durée (moins d’un an) et qu’il ne mette « pas suffisamment l’accent sur les effets à long terme sur la santé.»

Il a demandé au gouvernement de nouvelles mesures pour « couvrir l’ensemble du spectre de la santé respiratoire, y compris les effets à long terme sur la santé qui peuvent être causés par une exposition à l’amiante ».

Quel suivi pour les victimes de Lubrizol ?

Le 26 septembre 2019 un incendie a détruit les aires de stockage de l’usine Lubrizol à Rouen, site à haut risque classé Seveso 2,  où étaient entreposés des produits chimiques. Un  panache de fumée toxique de 20 kilomètres de long et 6 kilomètres de large a survolé une zone géographique s’étendant jusqu’à la Belgique. 

L’incendie a détruit plus de 5000 tonnes de produits chimiques. Il a aussi fait exploser une toiture en amiante-ciment de 8000 mètres carrés, Des milliards de fibres d’amiante ont voyagé dans la colonne de fumée. Des morceaux de toiture amiantés ont été retrouvés dans des jardins à plusieurs kilomètre du site.

Syndicats et associations réclament, là aussi, la mise en place d’un dispositif de recensement et de suivi médical à très long terme des populations exposées. La commission d’enquête du Sénat est arrivée aux mêmes conclusions.


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°63 (juin 2020)