FACULTE DE JUSSIEU

Malgré la gravité des faits reprochés Toutes les mises en examens ont été annulées

Le 4 juillet la Juge Bernard, présidente de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, a annulé toutes les mises en examen dans le dossier Jussieu, malgré l’existence d’indices graves et concordants qui les justifiaient, à ce stade de la procédure. Un pourvoi en cassation a été formé. Marie-José Voisin, membre du bureau de l’Andeva et vice-présidente du comité anti-amiante de Jussieu, fait le point sur ce dossier.

Depuis quand sait-on qu’il y a de l’amiante à Jussieu ?

MJV : A Jussieu, la première mobilisation sur le risque amiante remonte à 1974 avec le collectif intersyndical CFDT-CGT-FEN. Puis, pendant 20 ans, aucune mesure n’a été prise, sauf quelques menus travaux au rez-de chaussée.
Les cinq étages des bâtiments et la Tour centrale étaient tous bourrés d’amiante  : les structures métalliques floquées ; les faux plafond perforés de trous laissaient passer des poussières d’amiante et les gaines techniques amiantées servaient de placards à des personnels. A chaque fois qu’ils en ouvraient la porte, il y avait un pic de pollution...
Dès cette époque la présence d’amiante et sa dangerosité étaient bien connus des chefs d’établissements, des autorités de tutelle et des pouvoirs publics. Les problèmes avaient été mis sur la place publique. Pourtant rien n’a été fait pendant 20 ans.

Qu’est-ce qui a été fait pour protéger les étudiants et le personnel ?

MJV : Il a fallu attendre une deuxième mobilisation sur l’amiante en 1994 et la création du comité anti-amiante Jussieu pour que soient prises des mesures de prévention aussi élémentaires que la pose de plastiques sur les faux plafonds et la fermeture des gaines techniques.
Durant ces années près de 50 000 étudiants et 10 000 salariés de la Fac qui ont été exposés, sans compter les intervenants extérieurs.

Quels ont été les conséquences de ce retard ?

MJV : Le bilan est lourd : près de 162 maladies professionnelles recensées à ce jour par les médecins de prévention sur le campus.
La majorité des victimes ont des plaques pleurales.
Il y a deux cas d’asbestose, une maladie associée à de forts niveaux d’empoussièrement (dont un uni­versitaire qui tra­vaillait dans un labo bourré d’amiante).
Il y a 41 cas de cancers, dont 11 mésothéliomes (les trois quarts d’entre eux sont décédés).
Un cancer professionnel de l’estomac a été reconnu chez un souffleur de verre.

Il y a donc eu minimisation du risque par les pouvoirs publics...

MJV : C’est très clair. En 1994, quand nous avons constitué le comité anti-amiante, nous avions la certitude au vu des conditions d’exposition qu’il y aurait des mésothéliomes. Mais à cette époque, le nombre de victimes était encore limité, à cause du temps de latence entre l’exposition et la survenue d’une maladie.
Patrick Brochard, qui était membre du CPA produisait à l’époque des études épidémiologiques faussement rassurantes pour expliquer qu’on pouvait très bien vivre avec l’amiante dans les bâtiments.

Quand a été déposée la plainte pénale par des victimes de Jussieu ?

MJV : La plainte a été déposée en 1996 pour homicide volontaire et mise en danger de la vie d’autrui.

« Nous avons formé un pourvoi en cassation »

Qu’attends-tu d’un procès pénal ?

MJV : Je souhaite que toutes les leçons de l’affaire de l’amiante soient tirées et que tous les responsables rendent des comptes à la Justice : les employeurs, mais aussi les industriels de l’amiante qui ont minimisé les risques de leurs produits, les pouvoirs publics qui n’en ont pas pris la mesure et qui ont failli à leur mission de prévention.
L’un des mis en examen a été directeur général de la santé de 1986 à 1997. J’aimerais qu’il vienne s’expliquer devant un tribunal. En 1977, il y a eu une réglementation, insuffisante certes, mais qui au moins interdisait les nouveaux flocage et imposait quelques mesures de prévention pour les salariés. Pour l’amiante dans les bâtiments aucune mesure réglementaire n’a été prise avant 1996 alors que les risques étaient parfaitement connus. Qu’il explique pourquoi rien n’a été fait pendant 20 ans !

La chambre de l’instruction a annulé les mises en examen. Que va-t-il se passer maintenant ?

MJV : Nous avons formé un pourvoi devant la cour de cassation. Nous espérons qu’elle cassera cette décision, dans le prolongement de l’arrêt qu’elle a déjà rendu dans le dossier de Condé-sur-Noireau.


Juger tous les responsables

Dans le dossier de Jussieu ont été mis en examen à juste titre par la juge Bertella-Geffroy non seulement les universités (Pierre et Marie Curie, Denis Diderot)et l’Institut de physique du Globe mais aussi des personnes s’étant investies à des titres divers dans le CPA, structure de lobbying des industriels de l’amiante : des responsables des associations française (AFA) et internationale (AIA) d’industriels de l’amiante, le directeur de l’INRS, des hauts fonctionnaires du Ministère de l’industrie et des directions générales de la Santé et du Travail, des médecins ayant donné leur caution scientifique au CPA. Tous portent, chacun à leur niveau, une part de responsabilité.


CONDE-SUR-NOIREAU
Le parquet résiste à la cour de cassation !

Le 10 décembre 2013 la Cour de cassation avait rendu un arrêt clair et solidement motivé : elle désavouait pour la troisième fois la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris qui avait annulé toutes les mises en examen de membres du «  Comité permanent amiante » (CPA) et de la haute administration dont Martine Aubry.
Les victimes et les familles de Condé-sur-Noireau attendaient que la cour d’appel de renvoi fasse de même. Mais celle-ci a de nouveau annulé toutes les mises en examen, avec le soutien direct du Parquet qui résiste à la Haute juridiction ! L’affaire reviendra maintenant devant l’assemblée plénière de la Cour de cassation.

Le Parquet général de la cour d’appel de Paris persiste et signe  !

Il ne veut pas entendre parler d’un procès de l’amiante. Jamais, il n’a été à l’origine des poursuites. Il s’est toujours ingénié à ralentir, et brider le travail des juges d’instruction. Ignorant superbement l’arrêt de la Cour de cassation, il a requis une nouvelle fois l’annulation des mises en examen des responsables du CPA et des membres de la haute administration dans un réquisitoire en forme de copié- collé de celui qu’il avait présenté un an plus tôt !

Les victimes et les familles de Condé-sur-Noireau veulent que soient jugées toutes les responsabilités :

- celle des employeurs qui ont bafoué la réglementation,
- celle du médecin du travail qui a failli à sa mission,
- celle des industriels qui fait la promotion d’un matériau dont la cancérogénicité était connue depuis les années 60,
- celle des membres du CPA, formidable outil de désinformation et de lobbying,
- sans oublier celle des pouvoirs publics et des autorités sanitaires qui les ont laissé faire.

C’est précisément ce que veut empêcher le Parquet : que des chefs d’entreprise soient renvoyés devant un tribunal correctionnel, à la rigueur ; mais des responsables de la haute administration, jamais  !
Sourd, aveugle et amnésique, il justifie sa position par une «  absence d’indice graves et concordants  ».

Comme si les industriels de l’amiante et ceux qui, s’en sont fait activement les complices, au CPA et dans la haute administration, n’étaient pour rien dans la terrible hécatombe industrielle de Condé-sur-Noireau...
Comme si aucun d’entre eux n’avait la moindre responsabilité dans le retard de la France à interdire cette fibre mortelle...
L’assemblée plénière de la Cour de cassation est la prochaine étape de ce marathon judiciaire. Son arrêt sera définitif. Nous espérons qu’elle cassera l’annulation.
La justice a assez perdu de temps comme cela !


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°46 (septembre 2014)