ETERNIT
Le PDG échappe à la justice des hommes

Pour toutes les victimes d’Eternit qui attendaient cela depuis des années, la mise en examen des chefs d’établissement et du grand patron d’Eternit France par la juge Bertella-Geffroy avait été une grande satisfaction.
L’annulation de cette décision par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris avait suscité chez eux des réactions d’écoeurement et de colère.
La Cour de cassation leur avait rendu espoir en cassant cette décision, puis en rejetant le pourvoi des directeurs mis en examen. Le procureur de la République de Paris avait même annoncé la clôture de l’instruction en 2014 et le procès en 2015 («  année de l’amiante »).
« Cuvelier, Vast et les autres vont être enfin jugés », ont alors pensé les anciens d’Eternit.
Le procès aura lieu. Mais sa tenue en 2015 reste incertaine et la mort de Joseph Cuvelier l’ampute d’une dimension essentielle : le jugement du principal responsable.


Jean-François Borde (Vitry-en-Charollais)

« Joseph Cuvelier était le petit-fils du fondateur de l’entreprise, explique Jean-François, président du Caper Bourgogne. C’était le grand patron d’Eternit France, Il présidait le groupement des importateurs d’amiante en France. Les décisions importantes se prenaient au niveau du groupe. Ils savaient que l’amiante était dangereux mais c’était un matériau bon marché. Les profits étaient juteux. Il fallait retarder l’interdiction au maximum. Ils ont fait passer leurs profits avant la santé de tous.
Joseph Cuvelier, le principal responsable des drames que nous avons vécus, ne pourra plus rendre comptes à la justice !
La première plainte pénale sur l’amiante a été déposée il y a 18 ans. On attend toujours le procès. Si l’instruction traîne encore, il n’y aura plus personne à juger  ! Cyril Latty, ancien président de l’Association française de l’amiante, est mort en mars 2013 à 84 ans. Le baron de Cartier est mort en mai 2013 à 92 ans, 15 jours avant le verdict de son procès en appel à Turin. Joseph Cuvelier est mort en juillet 2014 à 78 ans. Je comprends l’écoeurement des veuves qui disent : « Il a tué mon mari et il ne sera jamais jugé
. »

Jean-Michel Després (Thiant)

«  J’ai appris la mort de Joseph Cuvelier avec retard, dit Jean-Michel Després, le président du Caper Thiant.
Pour lui, tout est terminé, mais pour nous la tragédie continue.
Avec les lenteurs de la justice, le nombre des accusés se réduit comme une peau de chagrin. C’est désolant.
On veut punir ceux qui nous ont empoisonnés. On se bat pendant 20 ans.
Et puis... rien ?
 »

Michel Salard (Caronte)

« La procédure est si longue que les prévenus disparaissent l’un après l’autre, dit Michel Salard, un pilier du Caper Eternit Caronte. La Justice avance au pas de l’escargot, les magistrats instruisent sans moyens. On veut manifestement étouffer l’affaire.
Chez nous, tous les jours, des gens meurent. Un des adhérents du Caper est mort récemment dans des souffrances indescriptibles, un autre est en fin de vie. Mon épouse est morte d’un mésothéliome. Elle a connu une fin de vie que je ne souhaite à personne.
Joseph Cuvelier a échappé au jugement des hommes, il n’échappera pas à celui de Dieu et de l’Histoire.
Il y a 40 ans, j’ai entendu dans une réunion un médecin du travail de Prouvy nous dire qu’en 30 ans il n’avait vu que deux cas d’asbestose...
 »


DUNKERQUE
Quatre veuves de l’amiante reçues par le président de la république

Chantal a perdu son mari à 54 ans d’un mésothéliome, Marjorie a perdu le sien à 53 ans d’un mésothéliome, Yveline à 55 ans d’un cancer broncho-pulmonaire, Colette à 66 ans d’un mésothéliome.
Comme d’autres veu­ves de l’amiante de Macon, de Thiant, Paray-le-Monial ou de Moselle, ces quatre veuves de Dunkerque avaient demandé à rencontrer le Président de la République pour obtenir la reconnaissance officielle de leurs souffrances et des engagements sur le procès pénal : 18 lettres sans réponse à Nicolas Sarkozy, 6 à François Hollande.

Le 16 mai dernier, venues en car à Paris pour une audience judiciaire sur la Normed et la Sollac, elles ont enfin pu rencontrer François Hollande et lui dire ce qu’elles avaient sur le coeur. Pierre Pluta et François Desriaux les accompagnaient.

Le président a salué le combat des veuves et celui des associations de l’Andeva. Au nom de l’Etat français, il a rendu hommage aux souffrances des victimes et des familles. Il a dit son émotion quand elles ont témoigné sur le calvaire de leurs maris.

Au cours de cette rencontre, des représentants de l’Andeva et de l’Ardeva ont regretté les lenteurs des procédures pénales et l’inertie du parquet, soulignant que, 18 ans après la première plainte, aucun procès n’a encore eu lieu et aucun responsable n’avait été renvoyé devant un tribunal correctionnel.

Le président a rappelé son attachement à l’indépendance de la justice. Mais il a dit qu’il veillerait, avec la Garde des sceaux, à tout faire pour que les affaires de santé publique comme l’amiante soient jugées dans les meilleurs délais.Les représentants des victimes ont aussi plaidé pour une révision rapide de la loi Fauchon sur les délits non intentionnels.

Ils ont demandé l’ouverture de la «  pré-retraite amiante  » à tous les salariés, quel que soit leur régime et la création d’une voie d’accès individuelle complémentaire sans remise en cause du dispositif existant.
Ils ont aussi demandé que la reconnaissance de la maladie et du décès par une caisse primaire s’impose au Fiva et que ce dernier accorde d’office aux victimes ayant un cancer le bénéfice de la faute inexcusable de l’employeur.

« Ce n’est pas le représentant d’un parti que nous sommes venus voir, explique Pierre Pluta, mais celui de la nation.
Il est normal que les victimes d’une catastrophe sanitaire qui fait dix morts par jour, soient reçues et écoutées, comme le sont des victimes d’autres drames.
Nous espérons qu’elles seront entendues. Nous jugerons sur pièces
. »


Marjorie :
«  Nous voulions qu’il entende nos souffrances »

« Les victimes d’attentats ou de crashs aériens étaient toujours reçues par les Présidents, mais pas les victimes de l’amiante, alors qu’il en meurt 10 par jour, explique Marjorie. Nous avons écrit au président en exercice  : à Sarkozy d’abord, puis à Hollande. Nous voulions qu’il puisse entendre nos souffrances et notre volonté, nous les veuves de l’amiante, de voir jugés ceux qui ont empoisonné nos maris.
Quand la porte s’est ouverte et qu’il est entré, nous avons toutes eu les larmes aux yeux ; nous attendions depuis si longtemps que le chef de l’Etat - qu’il soit de droite ou de gauche - nous entende ! Nous avons parlé, chacune à notre tour, au nom de toutes les veuves  : de nos vies fichues en l’air, du procès que nous voulons... Nous sommes fières de l’avoir fait et nous espérons bien qu’il y aura des suites.
 »


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°46 (septembre 2014)