«  Ras-le-bol des victimes de l’amiante  !  », tel est le message que semblent porter aujourd’hui certaines juridictions civiles.

Dans nombre de cours d’appel, le niveau des indemnisations baisse, pour la faute inexcusable de l’employeur comme pour la contestation d’une offre du Fiva.

Des cours d’appel qui donnaient gain de cause à l’Andeva sur la proportionnalité du taux d’incapacité et du taux de rente ont fait volte-face.
Une redéfinition restrictive du préjudice d’agrément aboutit à sous-indemniser la perte de qualité de vie des malades.

Certaines cours d’appel révisent même à la baisse l’indemnisation des préjudices physiques et moraux, estimant qu’ils sont déjà partiellement indemnisés par la rente maladie professionnelle.

Une cour refuse de majorer l’indemnisation des souffrances pourtant extrêmes d’une victime décédée sous morphine, au motif qu’elle n’a pas souffert très longtemps...

Une autre refuse de majorer la rente d’un conjoint survivant malgré la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur.

à la compassion respectueuse longtemps exprimée par beaucoup de magistrats pour les victimes et leurs familles succèdent parfois des remarques blessantes et le déni de leurs souffrances.

Une nouvelle génération d’avocats adverses, dont la hargne méprisante n’a d’égale que l’ignorance, pollue l’audience par des contre-vérités et des agressions verbales.

Au mépris des connaissances scientifiques les mieux établies, l’un d’eux expliquera sans rire que les plaques pleurales ne sont pas une maladie ; un autre que le malade qui en est atteint n’a pas de risque d’avoir un cancer ; un troisième que l’exposition à de faibles doses ne peut pas provoquer de maladie.
Ce retour de balancier, après deux décennies d’avancées jurisprudentielles, n’est pas le fruit du hasard.

Tout se passe comme si certains magistrats, sensibles aux sirènes de l’ultra-libéralisme, commençaient à se dire que les victimes de l’amiante sont plus nombreuses que prévu et qu’il faut donner moins à chacune d’elles pour ne pas « mettre en péril notre économie ».

Les plus hautes juridictions ouvrent de nouvelles voies de recours aux employeurs soucieux d’alléger leur facture judiciaire : la Cour de cassation autorise un employeur qui n’a pas contesté l’origine professionnelle d’une maladie dans les délais, à le faire plus tard devant le Tass, quand sera plaidée la faute inexcusable.

Le Conseil d’état légitime l’action d’une grande entreprise condamnée qui va devant la juridiction administrative pour réclamer que l’état lui rembourse une partie des conséquences financières de sa faute.

Certes, il y a - heureusement - des Tass et des cours d’appel qui respectent les victimes de l’amiante et les indemnisent correctement. Certes il y a encore de superbes victoires à célébrer non seulement pour les victimes de l’amiante mais aussi pour celles des pesticides, du cadmium ou de multi-expositions. Mais force est de constater qu’un mauvais vent souffle sur la Justice de ce pays.

On peut même se demander si nous ne sommes pas à la veille d’un revirement majeur de la jurisprudence qui remplacerait progressivement « l’obligation de sécurité de résultat » de l’employeur par une simple obligation de moyens renforcée.

Ajoutons au tableau une effrayante pénurie de moyens qui paralyse la Justice et allonge démesurément les délais. Certains tribunaux fixent les prochaines audiences... en 2017 ! Dans d’autres, des centaines de décisions de justice attendent pendant des mois d’être notifiées, faute de personnel administratif.
Dans toutes les associations on sent monter l’indignation et la colère. Il n’y pas de Justice sans indemnisation équitable des préjudices. Pas de Justice sans moyens.

Alain BOBBIO

Pierre PLUTA