Eric Jonckheere, le président de l’Abeva a perdu quatre membres de sa famille, tous emportés par un mésothéliome, avant d’être à son tour atteint de la même maladie. A Lille, il a fait une intervention très forte dans un forum coordonné par Jacques Faugeron. En voici des extraits.  Le texte intégral sera mis en ligne sur le blog de l’Andeva : http://andeva.over-blog.com/

 

« Je viens de Belgique, le pays qui a accueilli les plus grandes usines d’amiante-ciment du monde, C’est un grand honneur pour moi de parler au nom des innombrables victimes et familles qui souffrent et pleurent à cause de l’amiante.

Les dirigeants d’Eternit ont sciemment menti sur la dangerosité de l’amiante.Quand l’argent est en jeu, il n’y a plus d’humanité. La santé de leurs portefeuilles a primé sur celle des travailleurs.

Depuis 14 ans, j’ai le privilège de présider l’Abeva, l’association belge des victimes de l’amiante. Ce qui nous préoccupe le plus, c’est la montée en puissance des victimes non-professionnelles et la présence d’amiante dans les écoles.

Après les décès que ma famille a eu à déplorer, j’ai voulu m’investir davantage dans la prévention, pointer du doigt les multinationales responsables et poursuivre une quête de justice, en Europe et dans les pays où l’amiante est encore utilisé et produit.

Je n’oublierai jamais le visage de ces victimes que j’ai eu l’honneur d’accompagner jusqu’à leur dernier souffle. Leur vie s’est arrêtée mais leurs histoires continuent. Il faut parler des morts, parler de leur vie et de leur combat, se souvenir de leur joie.

En février 2021, on m’a diagnostiqué le même cancer qui a emporté 4 personnes dans ma famille !

Avec la découverte d’un méso, tout est chamboulé ! J’’ai choisi très vite de me faire opérer pour retirer la plèvre malade. La pleurectomie de décortication a été réalisée ici même à Lille par le Pr Venissac qui a fait équipe avec le Pr. Scherpereel. Ce qui a orienté mon choix vers Lille, c’est l’approche humaine de la chirurgie. Toute l’équipe m’a accueilli comme Eric Jonckheere, et non comme un numéro sur mon poignet.

La radio a été suivie d’une chimiothérapie à l’hôpital Bordet à Bruxelles. J’ai aussi découvert les bienfaits du shiatsu. Chaque chimiothérapie fut précédée d’une période de jeûne de 36 heures.

Eternit a empêché ma famille d’être heureuse. Ces médecins et leurs équipes ont ramené l’espoir dans l’équation. Je suis un survivant. Les équipes médicales ont réparé (du moins je l’espère) mes poumons.

J’ai entamé un nouveau travail, le travail de deuil. Faire le deuil de ma santé, faire le deuil de la fin brutale de ma carrière, faire le deuil d’être un optimiste actif.

J’aime à penser que je vais me rétablir, mais le pronostic reste sombre.

Lorsque vous, les chercheurs et les médecins, travaillez à trouver la « solution miracle », n’oubliez pas que les victimes des maladies que vous essayez d’éradiquer ont été victimes des mensonges d’une puissante industrie pro-amiante. Ces hommes et ces femmes ont souvent inhalé de l’amante sans le savoir.

Nous sommes ici pour vous écouter et - pourquoi pas -, vous applaudir, mais je voudrais aussi souligner le travail acharné des lanceurs d’alerte.

Le principal combat contre ce cancer est la vigilance. Une prise en charge pluridisciplinaire dans un centre de référence, comme ici à Lille, augmentera les chances d’une issue positive.

Nous avons besoin d’une justice qui sanctionne les multinationales qui ont produit de l’amiante dans le passé ou qui en produisent encore aujourd’hui. Nous avons besoin d’avancées médicales et d’argent pour financer l’innovation ; nous avons besoin d’associations de victimes fortes

Après nos larmes, nous n’avons pas besoin de pitié, nous avons besoin d’action. Et l’action mènera à la victoire, la question est de savoir quand et comment ! C’est une question de justice!

Vos découvertes permettent aux victimes de mieux vivre avec leurs traitements, et font naître l’espoir.

90.000 décès par an en Europe dus à l’exposition à l’amiante. Cela signifie que 494 personnes ont déjà perdu la vie depuis le début de cette conférence.

Michael Jordan a déclaré un jour : « Le talent peut gagner des matchs, mais le travail d’équipe gagne le championnat ». Chers membres de la communauté scientifique réunie ici à Lille pour lutter contre le mésothéliome, je sens l’esprit d’équipe croitre parmi vous, acceptez les applaudissements des victimes du monde entier.

Je remercie du fond du cœur les équipes médicales, à Lille et à Bruxelles, qui m’ont permis d’être devant vous aujourd’hui.


 

Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°71 (juillet 2023)