Le 11 juillet 2019, le président colombien Ivan Duque Marquez a ratifié une loi d’interdiction de l’amiante qui avait été adoptée à l’unanimité par la chambre des représentants le 11 juin. Cette interdiction prendra effet au premier janvier 2021. C’est une magnifique victoire pour tous ceux qui militaient depuis près de quinze ans, pour « une Colombie sans amiante ». Dans ce pays producteur et consommateur d’amiante, leur combat s’est heurté à une vive résistance des industriels et des politiciens à leur service qui avaient réussi à torpiller tous les projets de lois d’interdiction présentés depuis 2007.

Le résultat de quinze années de combat

L’extraction, la production de matériaux à base d’amiante et leur commercialisation seront interdites au premier janvier 2021 en Colombie.

Un pays producteur et consommateur d’amiante

En Colombie, ces activités étaient dominées par des multinationales : en 1942, Eternit a ouvert une usine d’amiante-ciment à Sibaté, à une trentaine de kilomètres de Bogota, la capitale. En 1972, le trust britannique Johns Manville avait ouvert une grande mine d’amiante (« Las Brisas »), qui sera reprise plus tard par une société colombienne et cessera son activité en 2011.

Une activité meurtrière

Les effets mortels de l’amiante étaient bien connus en Colombie. Une étude menée depuis 2015 à Sibaté a révèlé des taux de mortalité par mésothéliome plus de dix fois supérieurs à ceux d’autres villes colombiennes.

Des études ont montré une surmortalité liée à l’amiante dans la réparation navale et la fabrication des freins.

Les statistiques officielles annoncent 1700 décès liés à l’amiante pour les cinq dernières années. Un chiffre très inférieur à la réalité, car la majorité des décès ne sont pas déclarés comme liés à l’amiante.

L’intox des industriels et de leurs amis politiques

Ici comme dans d’autres pays les industriels de l’amiante ont mené une campagne de désinformation systématique sur l’innocuité prétendue de l’amiante chrysotile. En Colombie, elle a été relayée par des politiciens de premier plan comme Alejandro Gaviria (ex-ministre de la Santé) ou Alvaro Uribe (qui a été président de la République entre 2002 et 2010).

Une résistance acharnée

Cette loi est le résultat d’un long combat mené par le mouvement syndical et associatif colombien, rejoint par les associations de défense de l’environnement.
La sénatrice Nadia Bil, à l’initiative du texte a dénoncé les pressions qui ont fait échouer toutes les propositions de lois antérieures : en 2007 une loi présentée par le sénateur Jesus Bernal Amorocho avait été adoptée puis torpillée sous la pression des industriels. Dans la décennie suivante, le même scénario s’est reproduit sept fois, avant la loi d’interdiction de 2019.

Et, la veille du vote, des députés tentèrent une ultime manoeuvre en proposant que la loi d’interdiction autorise les mines d’amiante colombiennes à travailler... pour l’exportation !

Une victoire remarquable

Le vote de cette loi a été salué par des associations et des syndicalistes du monde entier. L’institut syndical européen (ETUI) souligne que « l’interdiction de l’amiante constitue une victoire d’autant plus remarquable qu’elle intervient dans un contexte politique très défavorable pour le monde du travail, après la victoire du candidat pro-Uribe au deuxième tour des élections présidentielles en juin 2018. Le gouvernement qu’il a formé comprend un nombre élevé de ministres issus du monde patronal. Les assassinats de syndicalistes sont nombreux dans le pays et, dans la majorité des cas, ils restent impunis. La Colombie fait partie des « dix pires pays pour les travailleurs et les travailleuses en 2019 » d’après l’indice CSI des droits dans le monde 2019 publié par la Confédération internationale des syndicats. [1] »

Un lourd héritage pour les générations futures

« On considère que 300 millions de mètres carrés de toits ont été fabriqués avec des tuiles d’amiante fabriquées par Eternit, indique l’Institut syndical européen. Il y aurait de l’ordre de 40 000 km de canalisation en amiante-ciment pour la distribution d’eau et les égouts. Cette situation implique de fortes inégalités sociales de santé. La plupart des maisons contenant de l’amiante (les estimations vont d’un million et demi à cinq millions) sont habitées par des personnes pauvres ou de revenus modestes. Les programmes d’habitation sociale et prioritaire développés par les gouvernements successifs dans un contexte marqué par le clientélisme et la corruption ont entraîné une consommation très importante d’amiante-ciment. Peu à peu, l’usure des matériaux libère des fibres d’amiante dans l’atmosphère et constitue un danger, particulièrement pour les habitants des quartiers pauvres. »


La loi porte le nom d’Ana Cecilia

La loi d’interdiction porte le nom d’Ana Cecilia Niño, une journaliste décédée d’un mésothéliome en 2017, à l’âge de 42 ans.

Elle avait vécu durant son enfance dans la ville de Sibaté où se trouvait la première usine colombienne d’amiante-ciment. Elle avait été exposée aux fibres cancérogènes répandues sur le voisinage par cette activité industrielle.

Son mésothéliome avait été diagnostiqué en 2014.

Malgré les lourdeurs du traitement par radiothérapie et chimiothérapie, elle avait trouvé la force de mener campagne pour une Colombie sans amiante.

En 2016, elle et Daniel, son mari, avaient intenté un procès contre l’Etat colombien devant la commission interaméricaine des droits de l’homme pour n’avoir pas protégé les citoyens contre le risque amiante.


Eternit brise des vies

En Colombie, les victimes professionnelles et environnementales d’Eternit sont nombreuses. Ci-dessous un extrait d’un témoignage publié il y a quelques année par la revue Catorce 6.

« Mon père a travaillé comme opérateur pendant douze ans chez Eternit. Il est décédé d’un cancer à 60 ans. L’amiante l’a tué », disait Luis Alfonso qui - vingt ans après - devait affronter la même maladie.

Il était ingénieur et contrairement à son père n’avait jamais travaillé chez Eternit.
Assis sur son lit, relié par un tuyau à la bouteille d’oxygène qui l’aidait à respirer, il expliquait : « Mon père rapportait ses bleus à la maison pour qu’ils soient lavés. Je me souviens qu’ils étaient couverts de poussières. Pendant plus de dix ans, nous avons inhalé ces fibres sans en avoir conscience. »

Avec amertume, il évoquait les difficultés des victimes colombiennes pour faire valoir leurs droits.


L’amiante en Amérique latine

L’Argentine et le Chili ont interdit l’amiante en 2001, l’Uruguay en 2002, le Honduras en 2004 (avant l’interdiction par l’Union européenne en 2005).

Au Brésil, qui fut longtemps le principal pays producteur d’amiante du continent, plusieurs grands Etats dont celui de Sao Paulo ont pris des mesures d’interdiction dès le début des années 2000. La liste s’est allongée depuis. En 2017 le Suprême tribunal fédéral (STF) a déclaré la production et l’utilisation d’amiante contraires à la constitution brésilienne.

Aujourd’hui la Colombie et le Pérou n’importent presque plus d’amiante. Cuba et le Mexique ont ralenti leurs importations, mais restent des pays consommateurs.