- L ’Andeva a engagé une bataille judiciaire pour bloquer le départ du porte-avions.
- Le gouvernement a multiplié les arguties pour éviter le débat sur le fond.


« Petite association contre grand Etat et énormes multinationales
 : le procès du Clemenceau permettra-t-il la victoire du pot de terre contre
un pot de fer qui aura plus d’un tour dans son anse ? ».

Cette formule du journal Le Quotidien du médecin, daté du 8 mars dernier, résume bien
l’ampleur du défi : empêcher les pouvoirs publics d’externaliser le désamiantage de l’ancien porte-avions dans un
pays du tiers-monde ne possédant aucune réglementation de
protection de la santé et de la sécurité des travailleurs.

L’Andeva a engagé une bataille judiciaire afin d’obtenir un jugement estimant que
le transfert du « Clem » en Inde pour une opération de désamiantage est illégal.

La décision de transfert du navire en Inde est contraire à la convention de Bâle sur l’exportation
et l’élimination des déchets dangereux signée entre la France et l’Inde, qui est entrée en vigueur le 5 mai 1992.

Une décision contraire à la Convention de Bâle

L’amiante encore présent dans la coque de l’ancien porte-avions figure parmi la liste des déchets dangereux énumérés par l’article 1 de la convention et constitue bien un déchet tel que décrit par son article 2-1.

Qui plus est, l’article 4-9 de la convention de Bâle prévoit que les mouvements transfrontières de ce type de déchets ne sont autorisés « que si l’Etat d’exportation ne dispose pas des moyens techniques et des installations nécessaires ou des sites d’élimination voulus pour éliminer les déchets en question selon des méthodes écologiquement
rationnelles et efficaces »
. Ce n’est manifestement pas le cas
de la France.

L’Organisation maritime internationale (l’OMI) a d’ailleurs confirmé en 2003 que cette convention s’appliquait bien au démantèlement de navires.

Deuxième texte bafoué par la décision de transférer la coque du Clemenceau en Inde, le règlement de la Communauté économique européenne (CEE) n° 259/93,adopté par le conseil des
ministres du 1er février 1993.

Il prévoit en effet en son article 14 que « sont interdites toutes les exportations de déchets destinés à être éliminés »… Et considère le non respect de cet article comme un « trafic illégal ».

Ce texte correspond bien au cas du Clemenceau, notamment en ce qui concerne la qualification de déchets et aux interprétations qu’en a donné la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE).

Troisième réglementation en cause : l’article L. 541-40 du Code de l’Environnement. Il prévoit que l’exportation de déchets est interdite lorsque le destinataire « ne possède pas la capacité et les compétences pour assurer l’élimination de ses déchets dans des conditions qui ne présentent pas de danger pour la santé humaine ni pour l’environnement ».

Or l’Inde ne dispose ni d’une réglementation protectrice de la santé des travailleurs, ni du savoir-faire et de la compétence requises pour réaliser une opération à hauts risques pour la santé et pour l’environnement.

La coque du « Clem » contient encore environ 20 tonnes d’amiante, dans des parties souvent difficiles d’accès. Le désamiantage nécessite
un personnel très compétent, ayant une qualification et une expérience professionnelle éprouvées pour mener à bien cette tâche.

Début mars 2005, l’Andeva a engagé une procédure en référé devant le tribunal de grande instance (TGI) de Paris. Procédure d’urgence, pour tenter d’éviter que l’Etat ne fasse partir le Clem en Inde avant une décision judiciaire. Le TGI s’est déclaré incompétent.

Les réglements de la CEE bafoués

L’Andeva a fait appel de cette décision. Le 22 avril, la Cour d’appel de Paris a rendu un arrêt reconnaissant à l’Andeva le droit de s’opposer au transfert du porte-avions en Inde et ordonnant la production du contrat de désamiantage conclu entre l’Etat français et la société de droit panaméen (!), Ship Decommissioning Industry (SDI).

C’était une première victoire… Mais la Cour, a considéré que la demande de suspension du transfert du Clemenceau en Inde ne relevait pas d’une procédure de référé, mais d’un débat devant les juges du fond du TGI.

L’Andeva a donc fait assigner à jour fixe l’Etat français et la société SDI, afin d’obtenir la nullité du contrat prévoyant le transfert et le désamiantage de la coque du Clemenceau en Inde.

L ’ É tat manœuvre pour gagner du temps

La veille de l’audience, l’Etat créait la surprise en adressant au Procureur de la République un « déclinatoire de compétence » par l’intermédiaire
du préfet de Région. Tirant de l’oubli une procédure datant de 1790 (!), il demandait au TGI de Paris à statuer sur sa propre compétence. Cette ultime manœuvre n’avait pour but que de gagner du temps pour éviter que le juge n’interdise le départ du porte-avions.

Le 5 juillet, le TGI a donné raison à l’État : il a estimé que le navire réduit à l’état d’un coque était encore « un matériel de guerre », que son démantèlement relevait de « prérogatives de puissance publique », que le contrat contenait des « clauses exorbitantes de droit commun » et que, par conséquent, le tribunal n’était pas compétent pour
empêcher son départ. Il a « invité l’Andeva à mieux se pourvoir ».

Face au risque de voir partir le Clemenceau avant que le juge n’ait pu se prononcer sur la légalité du transfert en Inde, l’Andeva a décidé de faire à nouveau appel de la décision du TGI et d’engager en même une procédure devant le tribunal administratif. Dans le premier cas, c’est le contrat entre l’État et la société SDI qui est attaqué en ce qu’il contient
des dispositions contraires à la loi ; dans le second cas, c’est la décision
administrative qui a donné naissance au contrat qui est visée.

Au-delà des problèmes de compétences des différentes juridictions, l’objectif de l’Andeva est de faire en sorte que l’illégalité du transfert du
porte-avions soit enfin jugée sous l’angle de la sécurité sanitaire et écologique.

François Desriaux


QUELQUES CHIFFRES


Poids du porteavions
 : 24 200 tonnes

Hauteur : 70 mètres

Quantité totale d’amiante : 210 tonnes

Quantité d’amiante restant à enlever : environ 20 tonnes


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva N°18 (octobre 2005)