"On n’a pas le droit de jouer avec la santé et la vie des populations"

 

En Corse, on trouve des zones où l’amiante est à fleur de terre dans 133 communes. Pour 49 d’entre elles ces affleurements se trouvent près des habitations. Une brochure de la DDASS présente une carte des zones amiantées faite par le BRGM (bureau des études géologiques et minières) et donne la liste de ces communes.

Un danger connu de longue date

« Cela fait plus de 10 ans que nous posons le problème des terres amiantifères en Corse du Nord. » explique Solange Marie Simonetti, de l’association Monserato. « Un rapport du professeur Boutin révélait une fréquence des mésothéliomes très supérieure à celle de la population générale. Nous avions alerté le préfet Erignac en 1996. Il ne nous a pas écoutés. »

Dix ans après, le rapport de la mission amiante du Sénat confirme la réalité du danger :
Elle évoque l’alerte lancée par l’ARDEVA Sud-Est, qui a signalé aux sénateurs « les chantiers de BTP réalisés sur les terrains amiantifères diffusaient des poussières d’amiante alentour, menaçant tant les salariés des entreprises que les riverains. »

« M. Dubois, médecin du travail, a indiqué que les études révélaient des pics de pollution très importants sur les chantiers lors des opérations de creusement et de chargement des déblais ». Il craint une « explosion des pathologies dans 20 ou 30 ans ».

« Mme Burdy, inspectrice du travail, a alerté la mission sur le fait qu’aucune protection spécifique n’existait pour les ouvriers de ces chantiers. » Après la délivrance de plusieurs procès-verbaux « une enquête préliminaire, débouchant sur une citation directe par le parquet, devant le tribunal correctionnel, a été ouverte. »

L’association U Levante dénonce « les poussières blanches envolées des camions » lors du transport des déblais. »

Face à la multiplication des alertes, les mesures prises par les pouvoirs publics et les autorités sanitaires ne sont pas à la hauteur du danger : en février 2004 un groupe de travail sur l’étude des effets de l’amiante en Corse a tiré les conclusions d’une campagne de mesures d’empoussièrement. Malgré une méthodologie contestable qui aboutit à minimiser le danger, elle révèle des niveaux de pollution inacceptables, en particulier à Murato et à Bustanico. Elle confirme également l’existence d’un sur-risque de mésothéliome.

La DDASS a édité une plaquette d’information sur l’amiante environnemental en haute Corse, avec un certain nombre de recommandations.

Un problème majeur de santé publique

Ces initiatives restent très insuffisantes :

L’information sur le risque n’a jusqu’ici touché que des cercles restreints. C’est une campagne d’information grand public dans les zones amiantées qui est aujourd’hui à l’ordre du jour.

La mise en place d’un registre des mésothéliomes est prévue. C’est une avancée, mais elle devrait être complétée par l’organisation d’un signalement systématique de toutes les maladies dues à l’amiante par les médecins de l’île.

Les mesures d’empoussièrement ont révélé un risque de contamination important pour la population et même, à Murato, pour les enfants d’une école maternelle. La préfecture ne peut esquiver ses responsabilités en donnant carte blanche aux maires des villages. S’abstenir d’intervenir, c’est accepter de mettre en danger la vie et la santé d’autrui.
Dans les zones où l’amiante affleure, rien n’est fait pour signaler le danger. Il faudrait immédiatement mettre en place une signalisation apparente et surtout agir pour éliminer le risque, en recouvrant les zones dangereuses.

Les constructions d’immeubles sur les zones amiantifères continuent à un rythme accéléré. La préfecture se contente d’adresser un voeu pieux aux maires en les appelant à la vigilance. Face à un tel risque, c’est le problème de l’interdiction de délivrer des permis de construire en zone amiantifère qui est posé. Il est incontournable.
Malgré l’action exemplaire de l’inspection du travail, qui avait élaboré dès 1997 une méthodologie d’intervention pour les chantiers en zone amiantifère, les normes élémentaires de sécurité sont régulièrement bafouées par les patrons du BTP. Il faut renforcer la loi : durcir les sanctions et donner aux inspecteurs du travail le pouvoir d’arrêter ce type de chantier, pouvoir qu’ils ont déjà sur les chantiers de désamiantage.
La construction d’immeubles génère des dizaines de milliers de mètres cubes de remblais amiantifères. Le Procureur de la République de Bastia signale qu’ils « sont transportés dans des camions non bâchés et déversés quelques kilomètres plus loin, sans aucune précaution ».

« Si la réglementation actuelle impose le stockage de l’amiante dans une des douze installations existant en France, autorisées à recevoir les déchets issus du traitement des résidus industriels spéciaux, la Corse, première région amiantifère, en est dépourvue », constate la mission amiante du Sénat.

La création d’une installation classée apte à recevoir les déchets amiantés dans de bonnes conditions est une urgence. L’association U Levante propose qu’elle soit créée à Canari, par une reconversion du site de l’ancienne mine.

« Notre lutte se heurte à de puissants intérêts, explique Michèle Salotti, responsable de cette association. L’industrie du tourisme et le BTP pèsent lourd dans l’économie de l’île. Ici on a construit 20.000 bâtiments en 5 ans... »

« Il y a d’ores et déjà beaucoup de contaminations environnementales, explique Monique Nowak, présidente de l’Ardeva Sud Est. Nous assurons des permanences sur place tous les deux mois pendant une semaine. Il y a toujours de nouveaux dossiers, parmi lesquels des cas de cancers de femmes et de personnes contaminées dans leur enfance, sans aucune exposition professionnelle à l’amiante. Il n’est pas rare de rencontrer deux voire trois victimes dans la même famille. Notre combat a gagné en crédibilité en Corse, lorsque le tribunal de Bastia a condamné la direction de l’ancienne Mine de Canari pour faute inexcusable pour 23 dossiers plaidés par maître Ledoux »


CANARI
Le littoral pollué par l’ancienne mine d’amiante

Eternit est parti en cédant la mine « avec ses vices et ses défauts » à la petite commune de Canari, laissant derrière lui une kyrielle de malades et de morts parmi les salariés et la population voisine.

Le site n’a jamais été dépollué : 40 ans après la fermeture, la poussière d’amiante est partout aux abords de la mine. Des milliers de tonnes de déchets amiantés ont été rejetés directement dans la mer qui les a renvoyés sur le rivage.

L’ADEME avait dégagé des fonds pour assurer la dépollution du site. Rien n’a été fait.
C’est le pollueur qui devrait payer. Mais les pouvoirs publics n’ont engagé aucune action judiciaire contre lui.


BASTIA
Immeubles neufs bâtis sur terrains amiantifères

On construit beaucoup à Bastia. N’importe où et souvent n’importe comment. Les promoteurs ont le bras long. Les immeubles poussent comme des champignons.
Les chantiers soulèvent des nuages de poussières, que le vent éparpille. Les règles élémentaires de sécurité (arrosage, bâchage des camions transportant les remblais) y sont rarement respectées.

Quand le chantier est fini, les problèmes continuent. A 30 mètres de l’immeuble où sont logés la médecine du travail et l’APAVE (organisme officiel de contrôle), on peut voir une paroi verticale de 3 à 4 mètres non stabilisée, laissée par les engins de chantier. Il suffit d’y poser la main, pour que des roches amiantifères s’en détachent...


MURATO
19 fibres par litre dans une école maternelle !

On sait depuis longtemps que la pollution par l’amiante est très forte dans la commune de Murato : une étude d’Henri Pézerat rappelle que sur 83 personnes de plus de 50 ans examinées par le professeur Boutin en 1989, 41% avaient des plaques pleurales. Cette proportion atteignait 60% chez les plus de 70 ans... Des mesures réalisées récemment dans l’école maternelle de Murato ont donné des résultats inquiétants : 19 fibres par litre d’air (la valeur limite est de 5 fibres). Le maire n’a pas fermé l’école. Les enfants y respirent des fibres d’amiante tous les jours. Rendez-vous dans 30 ans pour compter les cancers... Ni les autorités sanitaires ni la préfecture n’ont pris la mesure du danger.



Articles parus dans le Bulletin de l’Andeva N°21 (novembre 2006)