Claude Aufort est enseignante retraitée. Elle vit avec un mésothéliome depuis plus de cinq ans. Elle
raconte ses combats.


« C’est au printemps 2003 que ça a commencé. Nous faisions beaucoup de manifestations sur les retraites. Il faisait très chaud. J’ai attrapé une bronchite, puis une pleurésie. Je suis allée chez un pneumologue. Il n’a rien vu. Quelques mois plus tard, j’ai passé une bronchoscopie et une biopsie : j’avais un cancer de la plèvre, un mésothéliome.

J’étais prof d’anglais, un métier où l’on ne s’attendrait pas à attraper une telle maladie. En fait j’ai travaillé pendant vingt-cinq ans dans un lycée Pailleron, un infâme bâtiment délabré, qui avait été refait après les bombardements de la guerre, puis agrandi en 1963-64. Une vieille école communale avait été transformée en lycée. A l’époque on mettait de l’amiante partout : sur les façades, dans les préfabriqués… Nous nous sommes battus pendant 25 ans pour avoir un lycée neuf. Le bâtiment a été démoli. Je n’ai jamais pu retrouver de documents techniques prouvant mon exposition professionnelle.

Quand on m’a annoncé que j’avais un cancer, j’ai réagi en militante : quand une calamité me tombe dessus, je résiste. Cela fait 40 ans que je mène des batailles. Il faudra bien mener celle-là aussi...

J’ai choisi d’aller à Curie. J’avais besoin d’un cocon, d’une structure où je serais prise en charge. J’ai pris rendez-vous. Trois jours après j’étais reçue. J’étais bluffée ! Ils ont commencé tout de suite le traitement par une radiothérapie et m’ont expliqué que la chimiothérapie se ferait avec l’Alimta, un médicament qui venait de sortir.

J’ai apprécié l’attitude des médecins de Curie. J’étais une patiente, mais j’avais le sentiment qu’ils considéraient les malades comme des interlocuteurs à part entière.

J’ai eu 6 séances de chimio, à 3 semaines d’intervalle. C’était en 2004. Je me suis sentie tout de suite en confiance. Cela m’a aidée à les supporter. J’ai eu la chance de ne pas perdre mes cheveux et de ne pas avoir d’effets secondaires graves.

En février 2005, à la fin du premier traitement, j’ai commencé à reprendre une vie normale. Je continuais à être suivie tous les mois. J’ai gardé la pêche jusqu’en septembre 2005, mais au retour des vacances, ils ont vu sur les clichés que le cancer repartait. J’ai eu alors une seconde série de séances de chimio, avec le même protocole. Elle s’est terminée en février 2006. J’ai eu la paix jusqu’en décembre 2007.

Ma mère a 94 ans. Elle s’était cassée une jambe. Je me suis beaucoup occupée d’elle. Je crois que j’ai tiré sur la corde... Au bout d’un moment je me suis sentie fatiguée, crevée, comme jamais. J’ai dû me reposer avant de reprendre une nouvelle chimio en janvier.

J’ai une grande confiance dans l’équipe médicale. Ils m’ont dit : « vivez normalement ». Mon passé militant m’a aidé à le faire. Quand j’ai fait des séjours à l’hôpital, j’ai rencontré des personnes qui avaient la même maladie que moi. Elles étaient effondrées, repliées sur elles-même. Elles me demandaient : comment faites-vous pour garder cette pêche ? Je crois que mon entourage m’aide beaucoup. Mes enfants sont à mes côtés. Mes copains aussi. C’est aussi pour eux et par eux que je dois faire face. Mon objectif c’est d’essayer de tenir cette « merde » en respect .

Et puis, j’ai continué à voir des amis retraités, avec qui j’avais milité au SNES, syndicat des enseignants du secondaire. Je suis engagée dans l’action syndicale enseignante depuis 30 ans. Avec mes collègues avons fait les 400 coups : des grèves, des blocages d’autoroutes... On nous prenait pour une bande d’allumés. Entre nous se sont tissés des rapports d’amitié, de solidarité qui m’ont apporté une aide formidable lorsque j’ai dû affronter mon cancer. Aucun ne me plaint, mais tous râlent contre cette maladie.

Avec ce mésothéliome, je n’ai pas arrêté de vivre. J’ai continué, en cherchant à élargir mes connaissances et mes combats.
L’amiante est devenue une nouvelle cause, qui s’ajoutait aux activités syndicales et politiques que j’avais pu avoir par le passé. C’était une raison de se battre, une raison d’engager de nouvelles actions.
J’ai finalement rejoint l’Andeva. C’est à Curie qu’on m’a parlé pour la première fois de l’association. Ce jour-là, un médecin me posait un cathéter. Cela n’avait pas marché d’un côté. Il essayait de l’autre. Pour m’aider à supporter, il plaisantait, tout en me donnant des informations, sans avoir l’air d’y toucher.

C’était un ancien élève de Jacques Brugère, qui avait fait un formidable travail sur les maladies professionnelles comme cancérologue à Curie. C’était aussi l’un des fondateurs de l’Andeva. Il m’a conseillé de prendre contact avec lui. Jacques Brugère m’a adressé au siège de l’Andeva à Vincennes.

D’emblée, j’ai eu un bon contact avec l’équipe soignante. C’était des médecins et pas seulement des techniciens. Ils étaient battants. Ils travaillaient en équipe. Lorsqu’on parlait avec eux, on avait l’impression d’être sur un pied d’égalité, d’être finalement plus des partenaires que des patients. J’ai apprécié qu’on me donne cette information, qui correspondait tout à fait à ma démarche personnelle : pendant les traitements, je recherchais le contact avec les autres malades, et j’essayais de les aider. Adhérer à une association, c’était finalement prolonger cette démarche.

J’ai donc rejoint l’Andeva, et je me suis rapprochée du comité anti-amiante de Jussieu, qui connaissait bien les particularités du secteur public. Je vais aux assemblées générales. Je participe aux discussions.
J’ai agi pour que mon syndicat enseignant, le SNES, prenne en charge la question de l’amiante. J’ai fait des motions et des interventions à ses congrès. Quand j’explique que je suis malade de l’amiante et que j’ai travaillé comme prof d’anglais dans un CES Pailleron, on m’écoute. Je participe aussi, avec d’autres syndicalistes, à un réseau contre les cancers professionnels en Seine-Saint-Denis.

Les batailles que j’avais menées dans ma vie militante m’ont finalement préparée à me battre contre la maladie. Être malade, cela peut aussi aider à faire passer des messages de prévention. Un jour un journaliste m’a proposé de participer à une émission sur France 2, avec Xavier Bertrand. C’était une occasion à ne pas manquer. Quand je suis intervenue au téléphone, il venait de tenir des propos rassurants. Je tombais pile. Il a commencé par me demander : « Comment allez-vous ? » J’ai répondu : « Aussi bien qu’on peut aller après une deuxième chimio ! »

J’ai expliqué comment j’avais été contaminée. Puis je l’ai accroché : « Vous savez très bien, Monsieur le Ministre, qu’il n’existe pas de Médecin du Travail à l’éducation nationale »… Après l’émission, des amis de Toulouse m’ont téléphoné : « si tu avais pu voir la tête du Ministre... ». Il y a quelquefois de bons moments...

On ne demande pas à être malade. Cela vous tombe dessus. Mais, quitte à être malade, mieux vaut s’en servir pour faire avancer la prévention.

Suivre le conseil des médecins d’essayer de « vivre normalement », cela facilite la vie de tout le monde : la mienne et celle de mon entourage.
Je vis seule, mais j’ai gardé un réseau d’amis avec lesquels je pars en vacances. Nous sortons au restaurant ou au théâtre. Tous les jeudis je passe 8 heures dans un atelier de peinture. Je peins depuis que je suis en retraite. Mes amis m’ont aidé à organiser une exposition. La solidarité qui s’est créée entre nous m’a permis d’être entourée d’une amitié vigilante, qui m’a beaucoup aidée.

Pour moi, vivre normalement, ce n’est pas me replier sur moi-même, c’est me tourner vers les autres. Lorsque je vois une personne atteinte de la même maladie que moi, je l’incite à faire valoir ses droits : « Ils nous ont empoisonnés. Il faut qu’ils payent. Il ne faut pas se laisser faire ». C’est une démarche revendicative : « Nous avons le droit de vivre mieux, pour compenser ce qu’on nous a fait ». Comme je suis malade, on m’écoute. Des barrières tombent… C’est ensuite à chacun de savoir s’il veut ou non aller jusqu’au bout. On n’est pas dans la même situation quand on a 86 ans ou quand on en a 50.

Au début, je ressentais moi-même une certaine gêne à demander une indemnisation financière. L’argent n’est pas mon but. Ma vie ne s’est pas faite comme ça. Et puis, j’en ai discuté avec des bénévoles de l’association. Ils m’ont dit : « Il y a des responsables. Le seul argument qui compte pour eux, c’est l’argent. Il faut les faire payer suffisamment pour que la prévention du risque amiante leur coûte moins cher que la réparation des préjudices des victimes ». Ce raisonnement était imparable. C’est devenu pour moi une évidence.

Mon indemnisation m’a aidé à acheter une grande maison. Elle sera pour mes enfants. Mais je souhaite que beaucoup de gens y passent des moments agréables.

Pour finir, je voudrais exprimer un souhait : que les malades soient mieux informés des progrès de la Recherche. Je ne suis pas médecin. Je n’ai pas envie de me faire des frayeurs en naviguant sur Internet à la recherche d’informations médicales plus ou moins fiables. Mais j’ai besoin de savoir sur quoi portent les recherches actuelles et quelles perspectives elles peuvent ouvrir pour les personnes atteintes de cette maladie. "

Claude Aufort


Article extrait du Bulletin de l’Andeva N° 25 (janvier 2008)