La reconnaissance des cancers se heurte encore trop souvent à des
difficultés administratives et médicales.


 

LES TABLEAUX N° 30 ET 30 BIS

La victime (ou l’ayant droit) envoie à la caisse primaire une déclaration signée et un certificat médical initial. La caisse instruit le dossier. Dans les tableaux de maladies professionnelles 30 et 30 bis figurent :

1) Le mésothéliome et d’autres tumeurs pleurales
- 30-D : mésothéliome primitif de la plèvre (mais aussi du péritoine et du péricarde)
- 30-E : autres tumeurs pleurales (tumeurs primitives n’ayant pas les caractéristiques histologiques d’un mésothéliome)

2) Le cancer broncho-pulmonaire primitif (CBP).
- 30 Bis : cancer seul
- 30-C : cancer associé à une maladie de l’amiante non cancéreuse (plaques pleurales, épaississements de la plèvre viscérale, asbestose pulmonaire).

Pour chaque pathologie le tableau fixe des critères : désignation de la maladie, délai de prise en charge (entre la fin d’exposition à l’amiante et le début de la maladie), durée d’exposition, liste de travaux.

Si tous ces critères sont remplis, la maladie doit être reconnue et indemnisée. La loi prévoit en effet que l’assuré bénéficie de la présomption d’imputabilité : la caisse doit présumer que la maladie a une origine professionnelle.

Elle ne peut refuser de la reconnaître en invoquant une cause non professionnelle.


Prouver l’exposition professionnelle

Retrouver la mémoire d’expositions professionnelles 20 ou 30 ans après n’est pas toujours facile. Il faut essayer d’être précis et de retrouver des témoignages.

Pour le mésothéliome, maladie spécifique de l’amiante, le tableau 30-C n’impose aucune durée minimum d’exposition et comporte une liste de travaux qui n’est qu’indicative : une exposition professionnelle de quelques mois pour des travaux ne figurant pas dans la liste doit être prise en compte.

Une circulaire de Gilles Johannet (CNAM-TS) demande aux caisses de procéder à une enquête simplifiée pour cette pathologie.

(pour les autres tumeurs pleurales primitives, une durée d’exposition minimum de 5 ans est exigée).

En fait c’est pour le cancer broncho-pulmonaire que les critères d’exposition sont les plus sévères.

Le tableau 30 bis (CBP seul) exige en effet une durée minimum d’exposition de 10 ans et des travaux figurant impérativement sur une liste limitative (les autres travaux exposant à l’amiante sont exclus). L’expérience montre que ces critères sont souvent difficiles à réunir.

C’est pourquoi, chaque fois qu’un cancer broncho-pulmonaire doit être déclaré, il faut d’abord rechercher s’il existe une autre pathologie non cancéreuse due à l’amiante (plaques pleurales par exemple). L’existence d’une pathologie associée permet en effet de déclarer la maladie non pas sur le 30 bis, mais sur le 30-C (dont les critères sont moins sévères : durée minimum d’exposition de 5 ans et liste indicative de travaux).

En l’absence d’une pathologie cancéreuse associée, il faudra démontrer non seulement que la victime a été exposée à l’amiante (cela ne suffit pas pour qu’elle soit reconnue sur le tableau 30 bis), mais aussi et surtout qu’elle a fait un ou plusieurs travaux figurant dans la liste, tels que « l’usinage, le ponçage ou la découpe de matériaux contenant de l’amiante » ou des « travaux d’entretien ou de maintenance » sur « des équipements contenant des matériaux à base d’amiante » par exemple.


Confirmer le diagnostic de la maladie

Seuls des cancers primitifs du poumon et de la plèvre peuvent être reconnus et indemnisés sur les tableaux 30 et 30 bis.

Or le poumon aussi bien que la plèvre sont des terrains de prédilection pour accueillir des métastases de cancers issus d’autres organes. Il s’agit donc de vérifier qu’on est bien en présence d’un cancer primitif et non pas d’un cancer secondaire.

Lorsqu’une tumeur se forme sur la plèvre, il ne s’agit pas - dans l’immense majorité des cas - d’un mésothéliome, mais d’un cancer secondaire, métastase d’un cancer d’un autre organe, le plus souvent d’un adénocarcinome.

L’examen anatomo-pathologique peut avoir du mal à faire la différence avec un mésothéliome et fait appel alors à des techniques d’immunomarquage (on parle aussi d’examen immunohistochimique) permettant de préciser plus finement s’il s’agit d’un mésothéliome ou d’un adénocarcinome.

S’il s’agit d’un adénocarcinome, il est souvent d’origine pulmonaire. Encore faut-il le prouver. Là aussi, on fait appel à l’immunomarquage pour essayer d’identifier l’origine.


Le système complémentaire

On peut faire reconnaître un cancer par le Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) :

1) Si tous les critères du tableau ne sont pas remplis (alinéa 3)

Exemples : 7 ans d’exposition (au lieu de 10) pour un cancer broncho-pulmonaire sans pathologie non cancéreuse associée ; ou travaux exposant à l’amiante mais n’étant pas dans la liste limitative du 30 bis.

La reconnaissance par le CRRMP est possible (305 maladies dues à l’amiante reconnues en 2005), mais plus difficile, car il faut établir un lien direct entre cancer et exposition à l’amiante (la présomption d’imputabilité ne joue pas).

Ce cancer étant une maladie multifactorielle (plusieurs causes possibles), ce lien direct est médicalement difficile, voire impossible à établir. Il faudra donc « muscler » le dossier avec un faisceau de présomptions assez serré pour avoir valeur de preuve. On mettra ainsi l’accent - témoignages ou documents à l’appui - sur l’intensité de l’exposition, les autres maladies reconnues dans le même établissement, la synergie avec d’autres cancérogènes, la présence d’un nombre significatif de corps asbestosiques… Mais cette procédure qui reste incertaine n’est qu’un dernier recours.

2) Si la maladie ne figure dans aucun tableau (alinéa 4)

Exemples : cancers ayant un autre siège que le poumon ou la plèvre.

Les critères sont encore plus sévères puisqu’il s’agit de démontrer l’existence d’un lien direct et essentiel entre le cancer et l’exposition professionnelle. Les avis favorables sont peu nombreux : en 2005 n’ont été reconnus que 9 cancers du larynx, 2 mésothéliomes de la vaginale testiculaire, 1 cancer de l’oropharynx, 4 tumeurs malignes du sinus piriforme, et une tumeur de la vessie ! Malgré des enquêtes épidémiologiques montrant un sur-risque de cancer du côlon chez les ouvriers de l’amiante, nous ne connaissons à ce jour qu’un cas reconnu en France…

C’est peu, mais il ne faut pas hésiter à tenter une procédure de reconnaissance dans le cadre du système complémentaire, car les connaissances médicales évoluent régulièrement et les différents CRRMP n’ont pas la même appréciation.

Pour faire aboutir un dossier, il faut documenter l’exposition à l’amiante et ne pas avoir peur de croiser le fer sur l’interprétation des données épidémiologiques. Il importe pour ces cancers hors tableau de prendre aussi en compte l’exposition à d’autres cancérogènes, tel que le trichloroéthylène (plus déterminante que l’amiante pour le cancer du rein). Cela ne peut se faire qu’avec l’aide technique d’une association.


 

L’IMMUNOHISTOCHIMIE
son intérêt et ses limites

L’examen anatomopathologique classique consiste à examiner au microscope des fragments de tissus traités avec des divers colorants pour visualiser les différentes structures. Il permet d’identifier les différents types de cancer, mais reste cependant approximatif.

L’immunohistochimie est basée sur le principe du repérage de certaines molécules spécifiques contenues dans les cellules cancéreuses en utilisant des anticorps dirigés contre ces molécules et auxquels sont accrochés des « chapeaux » colorés. Il permet une analyse plus fine.
Dans le cas du mésothéliome pleural, si deux marqueurs sont positifs (par exemple calrétinine et CK 5/6) et si deux autres marqueurs sont négatifs (par exemple ACE et Ber-EP4), on peut affirmer qu’il s’agit bien d’un mésothéliome. Autre exemple : un adénocarcinome broncho-pulmonaire aura pour « signature » typique : CK7+, CK20, TTF1+.

Mais la réalité est plus complexe. Ainsi le marqueur TTF1 est spécifique des adénocarcinomes broncho-pulmonaires (et des carcinomes thyroïdiens), mais il est négatif dans 25 à 30 % des cas.

L’existence d’un TTF1 négatif ne saurait donc être considérée comme un test suffisamment probant pour remettre en cause un diagnostic clinique d’adénocarcinome pulmonaire primitif. Les constatations cliniques restent primordiales. Si l’immunohistochimie peut aider au diagnostic, elle ne peut tout expliquer.


 

QUEL TAUX D’IPP POUR UN CANCER ?

Le barème maladies professionnelles prévoit un taux d’incapacité partielle permanente de 67 à 100 % pour un cancer broncho-pulmonaire, en fonction du code TNM et des suites thérapeutiques et un taux de 100 % pour le mésothéliome.

Certains médecins conseil et certains experts attribuent des taux d’IPP inférieurs aux règles établies. Il faut leur rappeler ces règles et leur expliquer qu’il n’est pas « anormal » de vivre avec un taux d’IPP de 100%, sachant que si le taux d’IPP répare un handicap fonctionnel, il était prévu au départ pour compenser une perte de gain.


Article extrait du Bulletin de l’Andeva N° 25 (janvier 2008)