L’ARRÊT QUI NIAIT LA FAUTE DE RENAULT EST CASSÉ

Annick Freulon, André Pousse et Michel Bouvet de l’ADVARM 72 tirent les leçons d’une longue bataille judiciaire contre les mensonges et la mauvaise foi de l’employeur.

« Michel, mon mari, est tombé malade il y a 12 ans, explique Annick Freulon. C’était en février 1996. Il travaillait de nuit. Il était très fatigué. Je lui préparais ses repas, mais il les distribuait à ses collègues. Il n’avait plus d’appétit. Il ne mangeait plus. Un jour, son chef
d’unité m’a dit « il est hors de question qu’il vienne travailler aujourd’hui ». Le soir même il a été hospitalisé... »

Michel est atteint d’un cancer broncho-pulmonaire. Il déclare la maladie professionnelle. Il est reconnu en mai 1999. Il décédera onze mois plus tard.

Renaut savait
très bien...

« Michel travaillait au bâtiment GG 81, se souvient André Pousse, président de l’association. Il montait les trains avant et arrière destinés au montage des voitures : 2 plaquettes de freins par train, 8 plaquettes par véhicule, 800 plaquettes par équipe... »

« Les gars prenaient les plaquettes dans de grands bacs où elles étaient posées sur des cartons, explique Michel Bouvet, vice-président de l’association. Ils se plaignaient de « respirer une merde pas possible ». Les poussières d’amiante voltigeaient lors de l’enlèvement des cartons. Ils travaillaient sans information ni protection. »

« Quand Michel est mort le
23 avril 2000,
 raconte Annick, j’ai voulu continuer son combat , mais ça n’a pas débouché. Plus tard, je me suis tournée vers l’ADVARM, qui défendait les victimes de l’amiante. » .

Elle engage alors une action en faute inexcusable de l’employeur.

La première confrontation a lieu devant le TASS du Mans. Les avocats de Renault nient la réalité et prétendent que les ouvriers n’avaient « aucun contact » avec l’amiante. Le mensonge est énorme…

« Renault savait très bien que l’amiante était dangereux, souligne André. La preuve : elle exportait des véhicules avec des freins sans amiante pour l’Allemagne, qui avait interdit ce matériau dangereux bien avant la France. Mais au même moment, elle faisait travailler sans protection ses ouvriers sur des freins en amiante pour les véhicules destinés au marché
français ! ».

La bataille judiciaire fut longue et éprouvante. Elle commença par deux échecs : au Tass et devant la cour d’appel.


J’ai failli
baisser les bras

Annick se souvient : « En novembre 2003, le Tass a refusé de reconnaître la faute inexcusable de Renault. J’ai traversé une période difficile. Je m’isolais, je me renfermais sur moi-même...
Nous avons décidé de faire appel. L’année suivante, la cour d’appel d’Angers confirmait le jugement en juin 2004 ! Ce fut un moment terrible. Non seulement le tribunal donnait raison à ceux qui avaient empoisonné mon mari, mais il nous condamnait, mes enfants, ma belle-mère et moi, à verser 100 euros par personne à Renault au titre de l’article 700 du Code de Procédure civile. C’était insupportable, J’avais envie de tout laisser tomber. Si l’association et les avocats ne m’avaient pas soutenue, j’aurais baissé les bras. Ils m’ont encouragée à persévérer. J’ai alors saisi la cour de Cassation, qui nous a finalement donné raison. »

Un encouragement
à continuer

« Cet arrêt de la cour de cassation a renversé la vapeur, explique André. « Nous avons démontré la mauvaise foi de Renault, ajoute Michel. C’est très important. Dans la Sarthe, Renault a un poids social énorme. Cela pèse sur les décisions des tribunaux et de la Sécurité sociale. Pourtant, cette fois-ci, c’est le pot de terre qui a gagné contre le pot de fer... »

« Ce qui m’a motivée, explique Annick, ce n’est pas l’argent, c’est la volonté d’aller jusqu’au bout de ce que mon mari avait commencé en faisant reconnaître l’origine professionnelle de sa maladie. Ce cancer, il vient des conditions dans lesquelles l’a fait travailler Renault. Il fallait que cela soit reconnu. C’est maintenant chose faite. »

Pour fixer le montant des indemnisations, la Cour de cassation a renvoyé l’affaire devant la Cour d’appel de Rennes, très défavorable aux victimes.

« Mon mari est mort à 50 ans. J’ai touché 15.000 euros pour mon préjudice moral. 15.000 euros pour une vie brisée, ce n’est pas lourd ! Mais ma rente de conjoint survivant a été portée à 100% et surtout, j’ai fait reconnaître la responsabilité de Renault ».

André, dont les deux frères sont morts à 60 et 61 ans de l’amiante chez Renault, est lui-même atteint depuis peu d’épaississements pleuraux. Il souligne l’importance de ce jugement : « Nous avons 13 ou 14 dossiers en attente. La condamnation de Renault est un formidable encouragement à continuer ».

Il a fallu beaucoup de courage et de ténacité à Annick pour aller jusqu’au bout. Après le décès, elle a choisi de consacrer son temps à aider les autres aux restaurants du cœur, dont elle est devenue une responsable. Elle est membre du bureau de l’ADVARM 72.


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°25 (janvier 2008)