Le vendredi 7 mars, un groupe de chercheurs de l’université de Kyoto était reçu au siège de l’association à Vincennes.

Participaient à cette rencontre Kenichi MIYAMOTO, professeur honoraire ; Kazuhisa HIRAOKA, professeur ;
Hiroyuki MORI, professeur adjoint ; Gakuto TAKAMURA, professeur adjoint ; Shinji MINAMI, doctorant de la faculté de Sciences Politiques de l’université de Ritsumeikan, ainsi que Shinji NAKAMURA, doctorant de la faculté en Sciences politiques d’Osaka.
Au Japon, l’amiante est interdit depuis 2004. Un fonds d’indemnisation vient d’être mis en place. C’est pourquoi ce groupe de chercheurs a souhaité dresser un état des lieux des différentes législations en Europe (France, Belgique, Espagne). Ce programme de recherche sur les contentieux et l’indemnisation des pathologies dues à l’amiante doit durer trois ans.

Une curiosité réciproque

Durant leur visite en France, ils ont notamment rencontré l’Andeva, le Fiva, et les avocats du cabinet Teissonniere-Topaloff-Lafforgue.
C’est dans un esprit de curiosité réciproque, que l’Andeva a accueilli cette délégation universitaire au cours d’une réunion de travail animée par Hélène Boulot et Christine Preschner.
Cette réunion a permis un échange d’idées et de connaissances. « Nous avons pu expliquer l’histoire de l’amiante en France, présenter les combats de l’Andeva et les problématiques d’indemnisation, explique Hélène, mais aussi nous informer sur le système d’indemnisation en devenir au Japon ».

L’amiante au pays du Soleil Levant

Le Japon est un ancien pays producteur d’amiante, que son industrie a longtemps considéré comme « un matériau miracle ». La société Sakaeya, installée dans la région d’Osaka, a assuré une production massive dès les années 40. La consommation d’amiante s’est développée au Japon, culminant à 350 000 tonnes en 1974.
Ce matériau a été utilisé dans de nombreuses activités économiques : l’automobile, le bâtiment, et l’entretien de la flotte américaine (dans les navires, les flocages ont souvent été réalisés par des ouvriers japonais).
Avec la croissance rapide du nombre de pathologies mortelles (500 décès par mésothéliome en 1995, 772 en 2001), des inquiétudes s’exprimèrent sur les dangers de ce matériau. Certaines sociétés transformatrices d’amiante furent délocalisées en Corée du sud.
Mais le gouvernement japonais fut très lent à réagir : il fallut attendre 1995 pour qu’il interdise l’utilisation de la crocidolite et de l’amosite et ce n’est qu’en 2004 que l’amiante fut interdit sous toutes ses formes.
S’en remettant à la bonne volonté des industriels de l’amiante, les autorités japonaises ont totalement sous-estimé l’ampleur des problèmes de santé publique posés par l’utilisation de ce matériau cancérogène.
Aujourd’hui le Japon doit répondre aux questions posées par cette catastrophe sanitaire : comment indemniser les victimes professionnelles et environnementales qui se multiplient ? Quelle prévention face à la présence d’amiante dans une multitude de produits industriels ?

Le procès Kubota a suscité une prise de conscience

Jusqu’en 2005 l’indemnisation des victimes de l’amiante est restée limitée au cadre forfaitaire de la reconnaissance en maladie professionnelle. Le procès Kobuta, largement relayé par les médias nippons, a suscité une prise de conscience : l’amiante a été interdit. Un système d’indemnisation plus abouti a été mis en place.
Comme en France, les associations ont joué un rôle important dans ce combat.
L’Association des Accidentés du Travail (AAT) existe depuis une vingtaine d’années. Plus récemment deux associations regroupant les victimes de l’amiante ont vu le jour : la Ban Asbestos Network Japan (BANJAN) et la Japan Association of Mesotelioma and Asbestos Related Diseases Victims.
En juin 2005, des victimes environnementales soutenues par l’AAT, ont poursuivi en justice la multinationale Kubota, une compagnie fabricant des moteurs industriels, pour avoir exposé à l’amiante ses employés et les riverains à ses usines. Des études épidémiologiques ont démontré l’existence d’un nombre important de mésothéliomes environnementaux dans un rayon de 1,5 kilomètre de l’usine. D’autres études ont montré que la contamination pouvait s’étendre dans un rayon de quatre kilomètres, selon la direction des vents.
La pression de l’opinion publique japonaise, fortement sensibilisée par les drames de Bhopal et surtout de Minamata (voir article ci-contre) a contraint la société Kubota à faire amende honorable en proposant des indemnités d’environ 300 000 euros pour les riverains et 150 000 euros pour les travailleurs atteints de mésothéliome.
Toutefois la société n’a pas encore reconnu l’existence d’une relation de cause à effet entre son industrie et ces pathologies. Les compensations proposées sont suspensives des poursuites en justice, ce qui n’est pas sans rappeler la position de Total sur la catastrophe de l’Erika.

Création d’un Fiva japonais

Depuis le procès Kubota, le gouvernement nippon tente de mettre en place un système d’indemnisation intégrale.
Jusqu’en 2005, le seul moyen d’être indemnisé pour une pathologie due à l’amiante était d’obtenir sa reconnaissance en maladie professionnelle.
Cette reconnaissance permet d’obtenir des indemnisations décentes (de l’ordre de 200 000 euros pour un mésothéliome), mais les conditions d’indemnisation sont très difficiles à remplir.
Alors que la majorité des emplois concernés sont précaires, on demande au salarié de prouver qu’il a été exposé à l’amiante pendant plus de dix ans chez le même employeur.
Les plaques pleurales ne sont pas considérées comme une pathologie. Elles ne donnent lieu à aucune indemnisation. Leur présence est considérée comme un simple élément de diagnostic pour la reconnaissance d’un cancer causé par l’amiante.
En 2005 le gouvernement japonais a créé un fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante.
Seuls les professionnels de l’amiante et l’État cotisent à ce fonds selon une logique « pollueur-payeur » plus marquée que dans le système français.
En France, le Fiva est financé par la branche Accidents du Travail-Maladies professionnelle (alimentée par les cotisations de tous les employeurs) et par l’État. Il est rare que le Fonds engage des actions récursoires en justice à l’encontre des employeurs directement responsables de la contamination.
Mais le système « pollueur-payeur » mis en place au Japon a aussi ses limites. Les montants des allocations octroyées par ce fonds sont faibles (environ 20000 euros pour un mésothéliome). Seuls les cancers dont l’origine est démontrée par la présence de fibres ou de plaques associées sont indemnisés. Aucune allocation n’est versée pour des plaques ou des épaississements pleuraux.

Les limites du système d’indemnisation japonais

Vu la difficulté de faire reconnaître une maladie professionnelle et la faiblesse des sommes octroyées par le Fonds d’indemnisation, des victimes de l’amiante, insatisfaites du système d’indemnisation, souhaitent engager des actions en justice pour faire valoir leurs droits. Mais, si des procès au civil ont été gagnés contre de grosses sociétés comme Kubota, il semble impossible d’engager des actions judiciaires contre toutes les PME du circuit économique de l’amiante : certaines ont disparu, d’autres n’ont pas les moyens de faire face à l’indemnisation.
Le contentieux s’est donc reporté sur la responsabilité de l’État dans le cadre des tribunaux administratifs. « Nous souhaiterions connaître le secret de la condamnation de l’État français » , dit Monsieur Takamura dans un sourire, très intéressé par l’arrêt rendu le 3 mars 2004 par le conseil d’État. Les chercheurs de Kyoto estiment que la responsabilité de l’Etat japonais pourrait être établie, car plusieurs études avaient démontré la nocivité de l’amiante bien avant l’interdiction.

Poursuivre les contacts

« J’ai trouvé cette rencontre très intéressante », dit Christine Preschner. « L’Andeva poursuivra les contacts avec ce groupe d’universitaires japonais », ajoute Hélène.
La comparaison des deux pays montre que le système d’indemnisation français est plus favorable. Mais on peut regretter que des études universitaires de même ampleur sur les difficultés du diagnostic médical ou les retours sur prévention des différentes voies d’indemnisation n’existent pas en France.

Fredéric HOUEL


LE SOUVENIR TOUJOURS PRÉSENT DU DRAME DE MINAMATA

Le terrible drame de Minamata a profondément marqué les consciences au Japon et dans le monde entier.
Entre 1932 et 1966 la compagnie japonaise Chisso, un modèle souvent cité pour sa réussite économique, a déversé pas moins de quatre cents tonnes de mercure dans la mer, provoquant l’empoisonnement de près de deux millions de personnes qui avaient consommé du poisson.
Beaucoup furent atteintes par le syndrome de Minamata, une affection dégénérative sévère du système nerveux causée par le mercure pouvant aller jusqu’à la démence et la mort.
L’épidémie décrite et comprise en 1949 ne sera enrayée qu’en 1966, date à laquelle cette production industrielle fut stoppée au profit d’un procédé plus économique et accessoirement moins polluant.
Cette catastrophe illustre la difficulté à désigner la responsabilité des employeurs dans un pays où l’on cultive un lien très fort à l’entreprise (« un emploi à vie, une vie pour l’employeur »).


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°26 (mai 2008)