UN ACCUEIL, UNE ÉCOUTE, UN SOUTIEN

Dans une ambiance chaleureuse, embrassades et petit café, Monique et Christiane sont accueillies par Pierrette et Jean-Pierre à la Maison des Associations de Bastia, qui met un local à disposition pour les permanences.
Mises en confiance, les victimes parlent de la dureté de leurs conditions de travail.
Avec pudeur elles évoquent les souffrances physiques et morales dues à la maladie.
Elles trouvent dans ces permanences une écoute, un encouragement et une aide afin que leur maladie soit reconnue.

 


MONSIEUR QUERCI

« Nous dormions et mangions dans l’amiante »

Monsieur Querci a connu l’association par un article de Nice Matin. Son asbestose, diagnostiquée en 2000 a été reconnue avec un taux d’incapacité de 45%. Sa maladie s’est aggravée. Opéré du poumon gauche, il vit sous oxygène depuis 2003.
Il doit bientôt passer une expertise. Monique lui conseille d’apporter tous ses clichés et de récupérer son dossier médical.
Il a travaillé à la mine de Canari de 1958 à 1964. « Quand on travaillait sur les tapis roulants, il y avait tant de poussière qu’on ne se voyait pas les uns les autres. J’habitais au cantonnement. Je montais à l’usine le lundi et redescendais le samedi matin. Un baraquement en dur nous servait de dortoir. Nous mangions dans un baraquement en bois. Il fallait nettoyer les tables et la vaisselle avant, car tout était recouvert de poussières d’amiante. Nous dormions et mangions dans l’amiante... ». Après Canari, il travaille aux chantiers navals de La Ciotat puis dans le nucléaire, à Châlon. « Pour souder, nous avions des tabliers en amiante ».

Se sentir diminué par la maladie

« Chez moi, quand je monte à l’étage je dois m’arrêter. Je n’ai plus de souffle : depuis deux ans je sens une diminution considérable. Me baisser même est très douloureux. Il me faut un moment pour récupérer. Mes déplacements sont de plus en plus difficiles. Aller à Ajaccio pour y passer deux nuits, c’est le parcours du combattant : avec l’oxygène, il y a des contraintes... ». Ses activités se sont réduites : «  Le jardinage est devenu très pénible. Je ne vais plus cueillir les champignons... »

La rage contre le pneumologue

L’aggravation fut un choc : « Nous avons demandé au médecin de la CPAM si c’était grave ; il a dit oui. Psychologiquement ce fut un moment très dur. J’ ai la rage contre le pneumologue. Il savait que ma pathologie était liée à l’amiante. Il n’a rien dit. J’ai dû payer cash l’avance des honoraires et des examens (près de 1200 francs) ».
Le couple est uni pour affronter ces épreuves : « Nous faisons tout ensemble, expliquent Monsieur et Madame Querci. Nous nous soutenons l’un l’autre ».

 


ALEXANDRE PASTINELLI

« On venait frapper à ma porte, la nuit, pour retourner à l’usine »

Monsieur Pastinelli a 86 ans. Il habite avec son épouse dans le village de Murato à une vingtaine de kilomètres de Bastia.
Les vieilles maisons du Village ont des toitures en lauze, qui se dégradent au fil du temps, devenant tendres et friables. Elles contiennent de l’amiante.
L’église San Michele di Murato du XII° siècle avec sa façade polychrome est construite en calcaire et en serpentine (une variété d’amiante).

Un travail exténuant

Monsieur Pastinelli a une asbestose. Il a travaillé à la mine de Canari à partir de 1952, comme manœuvre et y a fini sa carrière.
Il nettoyait les fours. « Ils étaient pleins d’amiante qui les bouchait, explique-t-il. On tapait toute la journée avec des bâtons et il en sortait des boules d’amiante ».
A l’époque, les conditions de travail étaient terribles : « on venait frapper à ma porte la nuit pour retourner travailler à l’usine. On balayait le soir avant de partir mais le lendemain matin il fallait tout recommencer car une couche épaisse de poussières d’amiante s’était redéposée durant la nuit. »
Le travail était exténuant : «  Un jour, un ouvrier a eu un accident de voiture. Il travaillait jour et nuit pour rembourser les dommages causés.
Il était si fatigué qu’il lui arrivait de s’endormir sur des tapis d’amiante. Il est mort.
 »

Je ne pouvais plus respirer

Monsieur Pastinelli évoque sa maladie : « A la fin de mon travail à la mine je m’étouffais, je me levais la nuit car je ne pouvais plus respirer. Pour aller dans ma chambre je monte l’escalier à l’aide de mes mains et mes pieds, et le redescends sur mon « train arrière », marche par marche... »
Lucie, son épouse, dit sa colère face à l’injustice. C’est la galère pour faire reconnaître la maladie professionnelle d’Alexandre.
Dominique, un des deux frères d’Alexandre est décédé à l’âge de 34 ans, à la suite d’une chute mortelle sur la falaise de l’usine alors qu’il travaillait encordé.
Noël son autre frère est décédé, contaminé par l’amiante. Sa veuve aussi est malade de l’amiante.

 


HENRIETTE GIGLI

« Quand mon père rentrait du travail, il était couvert d’amiante »

Fille d’un ancien docker de Bastia, Henriette témoigne sur les conditions de travail et la vie autour du port.

« Quand mon père rentrait du travail, il était entièrement recouvert d’amiante et comme on n’avait pas de douche il se lavait dans la cuisine.
Les dockers prenaient les sacs d’amiante sur les quais pour les amener à bout de bras ou sur le dos, dans les cales des bateaux. Les camions qui venaient de la mine de Canari traversaient la ville et arrivaient au « poids public ». Après la pesée ils repartaient. Des enfants s’amusaient à courir après ce chargement non bâché, dont l’amiante s’envolait.
Nous les filles nous allions à la plage de Toga qui était à 100 mètres des docks. Nous prenions un raccourci en passant par les quais. Des sacs éventrés traînaient partout. A notre passage l’amiante s’envolait. Nous ne connaissions pas la dangerosité de ce produit.
 »

 


Souvenirs d’école

« Quand nous passions près de l’usine avec le bus scolaire, le conducteur devait activer l’essuie-glace car nous étions dans un nuage blanc. A l’époque, des petites reprisaient les sacs d’amiante en toile de jute, que leurs papas ramenaient de l’usine. C’est ainsi qu’elles ont fait leur apprentissage de la couture ».

Une ancienne élève(fille et nièce de victimes de l’amiante décédées)


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°27 (octobre 2008)