Nous voici sur la route de Canari, où nous sommes attendus par d’anciens salariés de la mine d’amiante et par le maire du village.
Une équipe de journalistes du magazine Thalassa nous accompagne.
Que cette île est belle ! Sous le soleil, la mer scintille de mille reflets. Et pourtant, c’est un paysage de désolation qui s’offre à nos yeux, une quarantaine de kilomètres plus loin, lorsque apparaît l’usine abandonnée. « L’Enfer Blanc », c’est ainsi qu’on appelait la mine…
Je prends quelques photos de ce bâtiment. Il a quelque chose de morbide. J’ai l’impression qu’il est hanté par les fantômes des travailleurs qui y ont laissé leur vie.

Des cyclistes arrêtés sur le bas côté de la route contemplent l’ouvrage. J’ai envie de leur crier de partir. Ils ne savent sûrement pas que cette bâtisse est encore pleine de ce poison, comme toute cette montagne en décrépitude qui descend vers la mer.
Ils s’éloignent. Nous continuons notre chemin vers Canari. Le paysage est à nouveau paradisiaque, une brume descend lentement vers le village, verdoyant et calme.
Nous arrivons sur la place de la mairie où nos amis nous attendent. A quelques pas, des vaches se reposent ; plus loin ce sont des chevaux. La vue est splendide.
Dominique et Gilbert nous attendent. Au début, Dominique est réticent : « ça fait dix fois que je raconte la même chose, mais rien ne change ». Mais, après quelques minutes les langues se délient. Témoignages poignants où se mêlent un grand ressentiment, de la résignation et beaucoup de peine. Les yeux brillent, les larmes ne sont pas loin...

Monsieur Guerra, maire de Canari, lui-même ancien employé, nous rejoint. Il nous fait visiter le Conservatoire du costume corse qui n’est pas encore ouvert au public. Le musée abrite une galerie photos. Un vrai trésor. On y voit la mine et l’usine en activité, la plage et la Tour génoise de la Baie d’Albo, avant la construction de cette bâtisse de la mort. Sur les photos, Gilbert et Dominique reconnaissent des anciens collègues.
La journée s’achève par une collation. Monsieur Guerra évoque l’usine, la vie à Canari, la découverte des premières victimes, la fermeture de l’usine...

Nous quittons Canari. Sur le bas côté de la route un monticule de pierres attire l’attention de Monique : des roches pleines de fibres d’amiante, laissées là sans aucune protection.
Nous allons jusqu’au cantonnement de la mine : une baraque en bois pour la cantine, un bâtiment en dur pour le dortoir.
Les deux toitures en amiante-ciment ont été peintes couleur brique, sans doute pour faire croire qu’elles avaient été changées...
Nous continuons à pied sur la route de la mine. L’usine est adossée à une montagne grise, dont les parois sont gorgées d’amiante. Avec une simple clé, Monique en détache un cordon de fibres. Stupéfaite, je regarde ces roches plongeant à pic sur la route, s’effritant, prêtes à se désolidariser des parois de la montagne … !

Nous arrivons à la plage d’Albo. Elle est noire, vide, sans vie. L’usine d’amiante a rejeté des millions de tonnes de « stériles » à la mer. Elles ont comblé les fonds et recouvert la plage de sable de galets verts remplis de fibres d’amiante. Les amoureux y gravent leurs initiales…
La plage est couverte de plusieurs couches de cailloux. On dirait des terrasses.
Le soleil se couche sur cette plage sinistre.
Quel contraste entre la douleur de ces hommes frappés par l’amiante et l’indifférence des responsables, avides de profit, qui les ont exposés à ce poison.
Après avoir vu cette désolation, j’ai espoir que les projets de réhabilitation et d’assainissement du site, se concrétisent enfin et très vite.

Christiane Quintin


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°27 (octobre 2008)