A Montreuil (93) ils ont travaillé pendant des années dans une précarité extrême, respirant sans protection des vapeurs de plomb et des poussières d’amiante. Ils occupent leurs locaux depuis plus de trois mois, pour défendre leurs droits et leur santé.

Quelques planches de bois fixées sur les murs de parpaing, des bâches de plastique agrafées pour couper le vent et la pluie. Au sol des couvertures alignées laissent deviner des couchages…
Les 19 salariés de l’entreprise Griallet occupent l’entreprise depuis plus de 3 mois. Des photos sont punaisées sur un panneau de bois : la précarité n’a pas effacé les sourires. « Heureusement c’est l’été, dit Mamadou, mais nous risquons de perdre nos logements car nous n’avons plus d’argent pour le loyer ».
Spécialisée dans les travaux de démolition de terrassement et d’enlèvement, Griallet est une entreprise familiale qui emploie depuis des années des travailleurs sans papier maliens ou sénégalais. Sur 19 salariés, 18 sont en situation irrégulière.

La plupart travaillent pour Griallet depuis plus de 5 ans. Les fiches de paye de ces travailleurs de l’ombre présentent des états civils et des numéros de sécurité sociale fantaisistes. « Certains ont huit numéros de sécu sur leur diverses fiches de paye, nous confie Swen, de l’Union locale CGT de Montreuil. Un autre a signé deux contrats antidatés sous deux noms différents le même jour ».
Josselin, délégué syndical de l’entreprise, est français. Il connaît ses droits et ceux de ses camarades de travail.
Le 21 mai ils ont demandé au patron d’être régularisés conformément à la circulaire Hortefeux du 7 janvier 2008, qui demande une déclaration de l’employeur. Griallet a refusé et suspendu unilatéralement leur contrat, en toute illégalité, puis les a dénoncés à la police.

« Nous n’avons rien à cacher et plus rien à perdre »

Le 22 mai tous les salariés ont décidé d’occuper les locaux. « Nous sommes ici pour réclamer, nos salaires qui ont été illégalement suspendus depuis le 22 mai, pour obtenir une régularisation de nos situations ainsi que l’attestation d’exposition au plomb et à l’amiante. Et nous irons jusqu’au bout car nous n’avons rien à cacher et plus rien à perdre ».
Malgré leur détermination, l’occupation est fragile. Le campement dressé depuis trois mois a reçu le soutien logistique de la mairie de Montreuil ainsi que de caisses de solidarité intersyndicales et citoyennes. Une pétition de soutien à l’initiative de la CGT, du réseau Éducation sans frontière et de la Ligue des droits de l’homme circule sur le Net. Mais les ressources s’épuisent et les salariés sont sous le coup d’une expulsion prononcée par le TGI de Bobigny prenant effet le 4 septembre. 21 dossiers ont été déposés aux prud’hommes. On est sans nouvelle des Griallet depuis le 10 août.

Le monde selon Griallet.

Ce n’est pas la première fois que l’entreprise fait parler d’elle. En décembre 2007, elle est sous le coup d’un arrêt de chantier de trois semaines suite à une visite de l’inspection du travail.
Monsieur Griallet vient d’être condamné par le tribunal d’instance de Montreuil pour fraude à l’élection des délégués du personnel, alors qu’il est radié du registre des métiers depuis 24 ans ! Difficile de tenir le compte des irrégularités commises par cet entrepreneur sans scrupule.

Dans l’usine, il a fait fabriquer des cages pour ses chiens

Les conditions de travail sont terribles : la poussière d’amiante-ciment , les nuages de peintures plombées avec pour seule protection un chiffon mouillé sur le visage. Les chantiers sont calfeutrés, les fenêtres obturées, exposant les ouvriers aux émanations toxiques.
Les salariés ont pris conscience des risques. Griallet a d’abord menacé de les congédier puis leur a fourni des équipements inefficaces et non réglementaires. Chez Griallet on ne remplace une paire de gants que s’ils sont percés sur tous les doigts...
Les chantiers s’enchaînent pour des donneurs d’ordre comme Mallet, Leclerc ou la SEAP. Les gravats toxiques sont dissimulés puis évacués sur les déchetteries classiques (Pantin, Pont de l’Alma, Tolbiac).
Griallet a fait fabriquer des cages pour ses chiens dans l’entreprise. Il aurait laissé entendre aux salariés qu’ils étaient dressés contre les noirs... C’est la police qui ordonnera l’évacuation des chiens lors de l’occupation des locaux…
Exposés au plomb, ils ont demandé des bilans sanguins. En 2007, la médecine du travail a accepté. Les résultats individuels, communiqués à l’employeur, ont été affichés aux yeux de tous dans les vestiaires...
Chez certains, la plombémie atteint plus du double de la valeur normale. Pour l’employeur, c’est la preuve qu’ils travaillent bien.

Que fait la médecine du travail ?

Pendant des années les salariés n’ont eu aucune visite médicale. Les premières n’ont été obtenues qu’en 2003. Les examens cliniques faits par le médecin du travail se limitent à des visites de routine : réflexes, analyses d’urines… « Je n’ai pas identifié de risque amiante, je n’ai donc pas prescrit de radiographie », nous explique-t-il. Doit-il s’en remettre à la bonne foi d’un employeur qui nie tout danger ? Pourquoi les risques spécifiques de la démolition n’ont-ils pas été pris en compte ? Il suffit d’une visite de chantier pour voir qu’ils existent, quand on détruit à la masse de vieux bâtiments contenant du fibrociment ou du plomb. Interrogé par l’Andeva, le médecin du travail s’est déclaré prêt à leur faire passer des radiographies. On attend des actes…

La précarité contre la santé

Si l’amiante est interdit depuis 1997 elle reste le quotidien de milliers de travailleurs ignorés, sans-papiers ou intérimaires qui viennent travailler en France et repartent mourir au pays. Dans une situation d’extrême précarité, les salariés de Griallet mènent un combat difficile, Leurs revendications font le lien entre droit à la régularisation et défense de la santé au travail. Ils ont besoin de notre solidarité.

Frédéric Houel


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°27 (octobre 2008)