À 14h, la place Le Corbusier, à Sèvres Babylone, est pleine de monde. On déplie les banderoles, on discute, on est heureux de se retrouver. On évoque aussi les absents. Ceux qui ne sont plus là. Ceux qui sont trop malades pour faire le voyage. C’est en leur nom que l’on manifeste, contre l’oubli, pour que justice soit faite.

Pour un grand procès pénal de l’amiante

Dans le cortège défilent des délégations régionales de l’ANDEVA venues de la France entière. Sur les banderoles on peut lire la détermination des manifestants à obtenir un grand procès de l’amiante, la revalorisation et la modification de l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante.
Deux géants, l’un représentant une victime de l’amiante portant une bouteille d’oxygène, l’autre un magistrat, prêtés par la Ville de Denain, ouvrent la manifestation.
De Thiant, une délégation de 200 personnes est venue manifester. C’est dans cette ville que le premier comité de victimes de l’amiante est né en France.

« A Thiant, on compte les malades par centaines »

C’est la présence d’Eternit, l’usine de fibrociment, qui a incité les victimes et leurs familles à se regrouper. « À Thiant, on compte les malades par centaines, tout le monde a un voisin, un père, une mère ou un mari, qui est malade ou mort, explique Michel qui a travaillé 34 ans comme mouleur, nous manifestons surtout pour que la préretraite amiante, l’Acaata soit revue à la hausse. Aujourd’hui on ne nous verse qu’une partie de notre salaire. Beaucoup de mes anciens collègues hésitent pour cette raison à la prendre. »
« À l’Addeva de Brest nous sommes environ 1400, dans notre association, on trouve des malades dans tous les corps de métiers, dans la navale, dans l’industrie et même des profs. Il y a aussi beaucoup de veuves qui manifestent en mémoire de leurs maris disparus » explique un adhérent.
 

« On ne lui a jamais dit qu’il risquait sa vie »

« Il s’agit d’une faute inexcusable s’indigne Claudine, il faut que les responsables soient jugés, Mon mari, est mort à 54 ans d’un cancer pulmonaire lié à l’Amiante. » «  Le chagrin, c’est quelque chose de personnel, ajoute Annie, mon mari, Claude est mort à 57 ans d’un mésothéliome, il travaillait comme mécanicien sur le porte-avion Foch. Ce qui me révolte c’est qu’on ne lui ait jamais dit qu’il risquait sa vie. Jamais, on ne lui a expliqué qu’il devait porter de gants, ou un masque de protection. Je suis ici par solidarité envers tous les malades et leur famille. »
À Arjuzanx, les anciens employés d’une Centrale Thermique rasée en 1992 et leur représentants de la CGT se battent pour de meilleures indemnisations et pour que le procès pénal aboutisse un jour.
De Saint-Nazaire, une délégation de L’Addeva 44 est aussi présente. « Il y a eu beaucoup de victimes sur les Chantiers de l’Atlantique et nous nous battons pour que justice soit faite » explique un des manifestants.
L’instruction de ce grand procès de l’amiante, les victimes et leurs familles l’attendent depuis plus de douze ans.

De Montpellier, du Gard et du Languedoc, des adhérents de la CMCAS, d’autres victimes manifestent. «  Certains sont « empégués », c’est-à-dire malades, ceux qui sont encore d’aplomb sont là pour les soutenir dans leur combat » explique, un militant.
Une délégation de l’Ardeva Midi Pyrénées est venue de loin. « Albi est un site particulièrement touché, entre les mines, les centrales, EDF, Eternit, et la SNCF explique Christiane. L’amiante c’est comme une épée de Damoclès. Ceux qui pour le moment ne sont pas malades, ont toujours à l’esprit ce qui pourrait leur arriver. Nous avons l’impression de survivre plus que de vivre. On évite de trop en parler mais le risque et la maladie sont omniprésents dans notre esprit. »
« Mon mari, Gaëtan, est mort d’un mésothéliome, il était cadre chef d’équipe chez EDF, explique Claudine, on ne me rendra pas mon mari, si je suis ici c’est pour défendre ceux qui sont encore vivants, pour que la justice soit plus rapide. »

« Défendre ceux qui sont encore vivants »

De Bordeaux, le collectif, Allo amiante, soutient les travailleurs de la poudrerie de Saint Médard, qui veulent que leurs maladies soient reconnues comme des maladies du travail. « On parle toujours des dangers du tabac mais qu’en est-il de l’amiante ? » s’écrie un manifestant.

Après avoir passé la Seine, le cortège, arrive près du ministère de la justice, place Vendôme. C’est là que la manifestation doit achever son parcours. À la tribune, Michel Parigot et François Desriaux interviennent sur les grands problèmes du moment : l’indemnisation, le pénal, le Fiva, la politique criminelle du gouvernement canadien.

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Article paru dans le bulletin de l’Andeva n°29 (avril 2009)

Lea Veinberg