Le 5 décembre, la cinquième chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris examinait deux appels contre des mises en examen décidées par Madame Bertella-Geoffroy, juge d’instruction au pôle de Santé publique : le premier était formé par le docteur Raffaëlli, médecin du travail de Valéo, le second par six anciens chefs d’établissement.

Les avocats du docteur Raffaëlli invoquaient des motifs de nullité de l’instruction. A les entendre, les droits de la Défense n’auraient pas été respectés, car il n’était pas visé à titre personnel dans la plainte.
L’avocat général balaya l’argument : la plainte était centrée sur des faits et mettait en cause le comportement d’une partie du corps médical. Le juge avait été saisi in rem (sur des actes délictueux). C’est à lui qu’incombait la recherche des auteurs des délits.

Médecin du travail : des indices « graves et concordants »

En fait - comme l’expliqua clairement l’avocat général - la seule question à de poser du point de vue du droit est de savoir s’il existe des « indices graves et concordants » permettant de considérer la mise en examen comme justifiée.
Pour Michel Ledoux, défenseur des victimes, la réponse à cette question est évidente : à Condé-sur-Noireau, ville martyre de l’amiante, dans la vallée de la Vère que ses propres habitants ont surnommée la « vallée de la mort », la catastrophe sanitaire a atteint un niveau exceptionnel : 1200 victimes de l’amiante recensées entre 1966 et 1996 !
Ce chiffre ne prend d’ailleurs en compte que les maladies professionnelles déclarées et reconnues. Il est donc nettement inférieur à la réalité. Beaucoup de retraités atteint d’un cancer du poumon dû à l’amiante n’ont pas fait de déclaration. Un grand nombre de victimes environnementales demeurent inconnues.
Lorsqu’on a pour le même établissement, 1130 victimes des mêmes maladies de l’amiante comptabilisées selon les archives du service médical pour la période de 1996 à 2001, dont au moins 300 morts il n’est pas illégitime que la Justice examine les faits reprochés au médecin du travail par les victimes.
Rappelons que le docteur Raffaëlli était aussi membre du Comité Permanent Amiante, structure de lobbying, créée et manipulée par le patronat de l’amiante à partir de 1985 et jusqu’à sa dissolution.

« Recentrer le débat sur les infractions fondamentales »

Les chefs d’établissement mis en examen étaient classiquement poursuivis par Madame Bertella-Geoffroy pour « homicide et blessures involontaires », mais aussi - de façon plus inhabituelle - pour « non assistance à personne en danger ». La juge d’instruction considérait que même après leur départ de l’établissement, les chefs d’établissement auraient pu et dû sonner l’alerte.
L’avocat général n’a pas retenu cette argumentation. Il a estimé que vu l’importance de cette catastrophe sanitaire et le nombre de personnes susceptibles d’être poursuivies, il importait de « faire le ménage », en se « recentrant sur les infractions fondamentales ».
Devant la chambre de l’instruction la procédure est écrite, les plaidoiries sont courtes et les débats se tiennent à huis clos. Deux cars de l’Aldeva Condé-sur-Noireau avaient fait le voyage. Partis à quatre heures du matin, ils ont dû attendre patiemment à l’extérieur que l’audience se termine...
Quand ce fut le cas, Michel Ledoux sortit leur faire un compte-rendu des débats, en présence de la presse, de la télévision et de la radio régionales.
La chambre de l’instruction rendra son arrêt le 6 février.

 


FERODO-VALEO EN QUELQUES CHIFFRES

Les quantités

6 novembre 1978 : Le responsable Sécurité de Ferodo fournit les renseignement suivants :
« En 1977, la quantité d’amiante mise en œuvre est de 2950 tonnes.
Nuisances engendrées par cette activité
 :
- Pollution atmosphérique
- Déchets solides : poussières d’amiante (2 200 tonnes par an)
- Sacs ayant contenu de l’amiante : 65 500 »

Les maladies

1130 victimes comptabilisées par le service médical, dont 300 morts
- Elles sont toutes atteintes d’une pathologie relevant du tableau 30 ou 30 bis de maladies professionnelles.
- Ces maladies ont toutes été induites par l’exposition à un même matériau : l’amiante.
- Elles ont toutes travaillé dans les mêmes usines Ferodo ou Valeo dans la Vallée de la Vère.

QUI OSERA DIRE QU’ILS IGNORAIENT LE DANGER ?

En 1906, les premiers cas de fibrose pulmonaire chez des ouvriers exposés à l’amiante sont décrits par l’inspecteur du travail Auribault, dans une étude sur des décès à l’usine de Condé-sur-Noireau (une cinquantaine survenus entre 1890 et 1895).
Le 2 août 1945 est créé le tableau N° 25 de maladies professionnelles indemnisant les fibroses dues à l’amiante et à la silice libre.
Le 26 janvier 1956 dans l’usine Ferodo de la Martinique : le métier à tisser d’un ouvrier s’étant arrêté, le contremaître lui demande de balayer l’atelier. Il refuse, rappelant que l’inspecteur du travail avait demandé que le balayage se fasse en dehors des heures de travail et par un procédé ne soulevant pas de poussières. Il est mis à pied trois jours pour « refus d’obéissance ». Deux jours plus tard, les 550 ouvriers de l’usine de Condé se mettent en grève. Ouest France relate l’événement…
Les 29 et 30 mai 1964 trois médecins du travail de Ferodo participent à Caen (à quelques km de Condé-sur-Noireau !) au Congrès International sur l’asbestose. Le docteur Wagner y présente 120 cas de mésothéliomes dans les mines d’amiante d’Afrique du Sud. En 1964 l’asbestose est reconnue en maladie professionnelle dans plus de 70 pays.
Le 19 mars 1971 le Secours rouge distribue à Condé-sur-Noireau le texte d’une enquête sur l’asbestose intitulé : « Maladie due à l’amiante. FERODO : le sinistre privilège de provoquer le plus de cas de cette maladie en France ».
C’était il y a 38 ans...

_____________________________________________________________

Article paru dans le bulletin de l’Andeva n°29 (avril 2009)