La lutte pour l’interdiction mondiale de l’amiante est loin d’être gagnée. Deux événements graves viennent de nous le rappeler.

En octobre 2008, les représentants de 126 pays se sont réunis à Rome dans le cadre de la Convention de Rotterdam. Comme en 2004 et en 2006, une poignée de pays producteurs d’amiante a opposé avec succès son veto à l’inscription de l’amiante chrysotile sur la liste PIC des produits dangereux. L’inscription de l’endosulfan, pesticide neurotoxique et reprotoxique, a également été refusée.

Lorsqu’un produit est inscrit sur cette liste, son exportation n’est pas interdite. Elle est seulement soumise au consentement préalable, en connaissance de cause, des pays importateurs.

Le lobby des pays producteurs (Canada, Russie, Brésil, Chine, Zimbabwe, Kazakhstan) revendiquait le droit d’exporter des poisons dans des pays pauvres, sans informer du danger les destinataires. Il a une nouvelle fois obtenu gain de cause.

En décembre 2008, la commission européenne, sous pression du puissant lobby de l’industrie chimique, relayé par l’Allemagne, la Grande-Bretagne et la plupart des pays d’Europe centrale et orientale, a annoncé son intention d’élargir les dérogations à la commercialisation et à l’utilisation d’amiante dans l’Union européenne.

L’amiante est interdit en Europe depuis le premier janvier 2005. Une dérogation temporaire avait été accordée pour les diaphragmes utilisés par les industriels du chlore. Ils avaient jusqu’au 1er janvier 2008 pour trouver des procédés de substitution. La plupart ont remplacé l’amiante. Trois groupes (Dow Chemical, Solvay et Zachem) ont fait de la résistance.

La commission veut prolonger cette dérogation sans limite de temps, alors qu’aucun obstacle technique ne s’oppose à la substitution, accordant ainsi un avantage financier à ceux qui bafouent la réglementation. Elle veut même élargir le champ des dérogations, en autorisant « la mise sur le marché ou l’utilisation d’articles contenant des fibres d’amiante qui étaient déjà installés et/ou en service avant le 1er janvier 2005 (…) jusqu’à leur élimination finale ou leur fin de vie utile »

Cette position irresponsable, prise en connaissance de cause, ouvre la porte à l’importation de toutes sortes d’équipements contenant de l’amiante. Elle a été saluée par l’Institut du chrysotile, organisme financé par l’État et les industriels de l’amiante canadiens, pour promouvoir ce matériau cancérogène.

Mais la commission s’est heurtée à l’opposition active de la confédération européenne des syndicats et de plusieurs pays dont la France, l’Espagne et les Pays bas. A l’heure où nous bouclons ce numéro, un renvoi de la discussion en janvier ne semble pas exclu.
Notre position est claire : nous n’acceptons pas qu’au nom du profit, on exporte la maladie et la mort dans les pays les plus pauvres de la planète. Nous n’acceptons pas qu’après avoir interdit l’amiante, l’Europe fasse marche arrière en alourdissant encore le coût humain de cette catastrophe sanitaire.

Les multinationales ne connaissent pas de frontières. Pour les mettre en échec, les victimes et les travailleurs exposés de tous les pays doivent être solidaires. Trois échéances importantes s’annoncent :

- La première est la bataille contre les dérogations : si la commission maintient sa position, le Parlement européen aura 3 mois pour annuler sa décision. Nous demanderons à tous les députés européens d’intervenir pour que soient supprimées toutes les dérogations à l’interdiction de l’amiante.

- La seconde est le procès pénal qui doit se tenir prochainement à Turin. Près de 3.000 victimes italiennes ont porté plainte contre les dirigeants de la multinationale Eternit. L’idée d’une manifestation internationale de victimes de l’amiante en Italie a été lancée.

- La troisième échéance sera le procès en diffamation engagé contre François Desriaux et Marc Hindry par l’Institut du chrysotile. Qui commet un délit ? Ceux qui encouragent la diffusion d’un matériau mortifère ou ceux qui dénoncent leur action de désinformation et de lobbying ? Ces questions concernent les victimes de l’amiante de tous les pays.

Ne l’oublions pas : seuls une trentaine d’États ont interdit l’amiante. Le combat pour l’interdiction mondiale doit continuer.

Alain BOBBIO
Alain GUERIF


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°28 (janvier 2009)