Questions à Marie-Anne Houchot :
"Il n’est pas pensable de se contenter de décrire des situations de danger. Il faut faire quelque chose"

Quel est votre parcours professionnel ? Pourquoi vous êtes-vous intéressée au problème de l’amiante ?

Marie-Anne Houchot : Je suis arrivée en Nouvelle-Calédonie en 1983 avec un doctorat de pharmacie en poche. J’ai débuté ma carrière professionnelle en tant que pharmacien, dans un petit village du Nord de l’île.

Mon métier, au contact notamment des Mélanésiens, m’a amenée à me poser des questions sur la santé en général. Lorsque j’en ai eu l’occasion, j’ai repris des études de géographie à Nouméa. Fin 2005, j’ai commencé une thèse en géographie de la santé sur la problématique amiante en Nouvelle-Calédonie.

Qu’entendez-vous exactement par « Géographie de la Santé » ?

M-A. H. : La géographie ne se réduit pas à l’étude des montagnes et des fleuves. C’est d’abord l’étude des relations entre des communautés humaines et un espace de vie. S’il n’y a pas d’êtres humains, il n’y a pas de géographie. La géographie de la Santé étudie ces relations à partir de faits de santé. Elle est encore peu développée en France. Elle analyse par exemple les causes des inégalités de santé : Qui en est victime ? A quelle époque ? A quel endroit ? Dans quelle société ?

En lisant votre thèse on est frappé par la diversité des disciplines mises en jeu : médecine, géologie, statistique, épidémiologie, sociologie, ethnologie…

M-A. H. : On a reproché à la géographie d’être une science « touche-à-tout ». Si elle met à contribution diverses sciences, c’est pour parvenir à une vision globale d’une situation. Cette diversité d’approches est une richesse.

Sur la question de l’amiante environnemental, vous avez eu une démarche active : vous ne vous êtes pas contentée d’analyser une situation, vous avez réfléchi aux moyens de la changer.

M-A. H. Il n’était pas pensable que je me limite à décrire des situations de danger, sans essayer de contribuer à leur élimination. C’est pour moi une question éthique. L’idée de partir en laissant les habitants de Tendo vivre quotidiennement au contact de la « terre blanche » chargée d’amiante, sans rien faire, m’était insupportable. Il fallait essayer de faire bouger les chose, proposer des solutions.

Comment se pose le problème de l’amiante dans la société calédonienne ?

M-A. H. La Nouvelle-Calédonie est un pays pluri-ethnique. Elle a 250.000 habitants. Une moitié sont des européens, l’autre des Océaniens composés en majorité de Kanak. Plusieurs communautés coexistent donc sur le même territoire, avec des visions du monde différentes. La société mélanésienne ne fonctionne pas comme une société européenne. Elle a une logique de pensée, une culture différente.

Pour le géographe, la « terre blanche » chargée d’amiante est dangereuse, qu’elle affleure dans un village européen, à proximité d’un collège, comme à Ouégoa, ou en tribus mélanésiennes comme dans mon étude. Mais cette vision n’est pas forcément partagée par les populations, notamment kanak.

Les pouvoirs publics calédoniens ont dépensé deux milliards de francs CFP pour la destruction d’habitations dont les murs étaient recouverts d’un enduit chargé d’amiante, le « pö ». Cette opération était indispensable, l’Inserm ayant démontré la relation « cause à effet » entre la survenue de cancers et ce « pö ». Mais les pouvoirs publics n’ont pas pris, à cette époque, la mesure du risque environnemental

Dans la société mélanésienne, ce sont les femmes qui font bouger les choses. Les hommes ont le pouvoir politique, mais ce sont les femmes qui gèrent la vie quotidienne. Il y a des regroupements de femmes qui fonctionnent très bien.

En partenariat avec la DASS-NC, une information « pilote » a été mise en œuvre à la tribu de Tendo A travers les liens d’amitié que j’avais pu nouer, nous avons réalisé avec les femmes, une bande dessinée. Celle-ci a été traduite en langue nemi. L’objectif était de faire passer un message de prévention simple et compréhensible par tous.

Pour la géographie de la santé, le risque sanitaire ne peut s’appréhender indépendamment des comportements sociaux. Ainsi, le risque dû aux terrains amiantifères est accru par le mode de vie des Mélanésiens. En milieu tribal, les habitations n’ont pas de fenêtres, de vitres pour isoler les pièces de l’extérieur. Les meubles sont très réduits. On vit le plus souvent par terre, sur des nattes.

Comment sensibiliser la population ?

M-A. H. Il faut informer les gens, aider à une prise de conscience du danger, à une modification des comportements. Cette information doit être respectueuse de la communauté ethnique à laquelle elle s’adresse.
Les voitures qui roulent sur des pistes soulèvent des nuages de poussières chargées d’amiante et les travaux routiers dans des zones amiantifères présentent des risques importants.

M-A. H. La Direction du Travail et de l’Emploi de la Nouvelle-Calédonie (DTENC) est sensibilisée à cette problématique. Des études ont en effet souligné le risque d’exposition à l’amiante pour les personnes qui travaillent sur des terrains amiantifères. Mais des actions de prévention concrètes de grandes envergures sont difficiles à mettre en œuvre.

Quelle est la réglementation applicable ?

M-A. H. La Nouvelle-Calédonie est un pays d’outre-mer (POM). Le congrès de Nouvelle-Calédonie doit voter ses propres lois. Il y a un décalage flagrant entre la métropole et la Nouvelle-Calédonie : l’amiante a été interdit en métropole en 1997. En Nouvelle-Calédonie, il ne l’a été qu’en 2007.

Il n’y a à ce jour aucune obligation de repérage de l’amiante en place avant démolition, aucune mesure de prévention spécifique pour les travaux en terrain amiantifère. Malgré une série de rapports officiels alarmants, les autorités calédoniennes font preuve d’une remarquable inertie. Elles semblent ne pas prendre la mesure du problème. La complexité de l’organisation politique et administrative en Nouvelle-Calédonie retarde ou bloque la prise de décisions. Il y a aussi un problème de moyens financiers.

On ne peut aborder ici la question de l’amiante sans la resituer dans un contexte sanitaire global. Pour la géographie de la santé, un risque sanitaire s’appréhende au regard des autres situations à risque. Les pouvoirs publics calédoniens sont confrontés à des choix sanitaires. Le diabète constitue un défi majeur : le taux de diabétiques atteint 15% chez les Océaniens, dans la classe d’âge des 30-60 ans. Cette maladie a un coût humain, social et économique important puisqu’elle est à l’origine de maladies cardiovasculaires, d’insuffisances rénales, etc.. La consommation de tabac est élevée alors qu’on sait que fumer est un facteur majeur du cancer des poumons. Pourtant la législation telle qu’elle existe en métropole n’est pas applicable et appliquée en Nouvelle-Calédonie. Dans certaines zones du territoire, l’eau n’est pas bonne à consommer. L’hôpital actuel doit impérativement être rénové pour une meilleure qualité des soins...etc

Que faudrait-il faire ?

M-A. H. Des mesures de prévention simples et souvent peu coûteuses pourraient être prises immédiatement.

Il faut expliquer aux enfants qu’ils ne doivent pas jouer sur les talus de terre blanche ni badigonner leur peau de terre blanche pour se déguiser en diables.

Il faut que les sites où affleurent des terres amiantifères soient recouverts et revégétalisés, que ces sites se situent dans les tribus mélanésiennes ou dans les villages.

Il faut systématiser les prélèvements géologiques lors des travaux routiers.


LA THESE DE MARIE-ANNE HOUCHOT

Son titre : « De l’évaluation en santé publique à une démarche de géographie de la santé : Le risque amiante environnemental en Nouvelle-Calédonie »
On peut la télécharger sur Internet :

On y trouvera aussi une bibliographie très fournie, un glossaire, un index des sigles utilisés (pp 244 à 269)

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Article paru dans le bulletin de l’Andeva n°30 (septembre 2009)